Dans le reflet des immeubles vitrés de La Défense, les éléments colorés et aux formes géométriques décalées par rapport à ce quartier d’affaires vertical étaient plutôt, jusqu’ici, réservés aux œuvres d’art éparpillées sur la dalle. L’espace de 53 hectares, où se croisent chaque jour 160 000 salariés, 20 000 habitants et bien sûr touristes et visiteurs, manque de lieux d’échange. C’est pour « créer des ponts entre les gens qui vivent ici et ceux qui y travaillent » que Defacto, établissement chargé de la gestion et de l’aménagement de l’espace public de La Défense, a mis en place Forme Publique, une Biennale de création de mobilier urbain.
A l’issue d’un concours, huit projets ont été désignés pour la création de prototypes. Des bancs géométriques, des balançoires colorées et à hauteur d’adultes, un hamac géant, une cantine géante, des cubes encastrés dans le paysage urbain pour à la fois s’asseoir et servir de point de distribution et stockage de paniers bio… Jusqu’à la fin de l’année, le mobilier sera testé par les usagers de La Défense.
Une fois le mobilier démonté, cette expérience et les remarques qui l’auront accompagnée serviront à enrichir l’appel d’offres de Defacto pour un mobilier adapté aux usages de ce quartier d’affaires. « Le mobilier actuel n’est pas à la hauteur du lieu. Plutôt que de choisir des éléments sur catalogue, nous avons voulu travailler sur les usages très spécifiques à ce site, indique Katayoune Panati, directrice générale de Defacto. Par exemple, à l’heure du déjeuner, des milliers de salariés s’installent sur les marches pour manger. On sait aussi que les gens venant dans le quartier pour un rendez-vous arrivent en moyenne trente minutes à l’avance, car ils ont peur de se perdre. Pour eux, et pour ceux qui désirent travailler sur un clavier entre deux rendez-vous, nous avons besoin d’espaces spécifiques », explique-t-elle.
Recentrer le quartier sur ses usagers
C’est précisément pour répondre à ces besoins que cinq usages ont été définis en amont du concours : poser, se reposer / attendre, s’abriter / déjeuner / travailler, se cultiver / trier, jeter. Sur plus de cent projets présentés, seul un a été proposé sur ce dernier thème, qui a finalement été retiré. « Faire une poubelle, ça n’intéresse personne, regrette Jean-Christophe Chobelet, scénographe urbain et concepteur de Forme Publique. On a donc demandé aux équipes d’intégrer les poubelles dans leurs projets ». Defacto a ensuite pris a sa charge les 500 000 euros nécessaires à la fabrication des prototypes.
Dans ce quartier où l’innovation s’écrit chaque jour derrière les fenêtres des immeubles de bureaux, le high-tech tient peu de place dans les prototypes à l’essai. C’est un choix : « les usagers de La Défense sont connectés en permanence. Lorsqu’ils descendent sur l’esplanade pour déjeuner, la plupart des salariés ont déjà un smartphone sur eux, observe Katayoune Panati. Les projets choisis s’intéressent plus à l’ergonomie et à la durée de vie des matériaux qu’à l’intégration des nouvelles technologies dans l’espace public ».
Tester d’abord pour proposer des projets plus créatifs
Le mobilier urbain intelligent, c’est à l’inverse le pari qu’a fait, juste à côté et au même moment, la ville de Paris. Là aussi, il s’agit d’un véritable laboratoire, mais les usages sont totalement différents. Quarante projets sont en phase de test, afin de connaître les besoins et la résistance du mobilier pour affiner un futur appel à projets. On trouve l’abribus avec plan tactile et diffusion d’infos pratiques et dépêches AFP, la borne multimédia muséographique pour s’orienter et s’informer dans les grands cimetières, ou encore l’espace de repos avec toit végétalisé et borne Internet.
Ce mobilier urbain hyper connecté aux Parisiens et aux touristes doit devenir « un point d’entrée vers des usages d’hyper proximité ou des informations du bout du monde », selon Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris en charge de l’innovation, de la recherche et des universités. « L’objectif est aussi d’observer et d’accompagner la transformation des relations entre les citadins ».
Les concepteurs des projets sont des start-ups mais aussi des entreprises familières de ce type d’innovation, comme JC Decaux ou Orange. La ville a engagé 250 000 euros pour la mise en place de cette expérimentation. Chaque entreprise loue l’espace où est installée son innovation pour 100 euros par mois.
Malgré la diversité des projets, une constante demeure derrière l’organisation de ces laboratoires à Paris comme à La Défense : la singularité des projets présentés. Pour Jean-Luc Missika, « si l’on avait directement lancé un appel à projets, le risque aurait été plus grand : certaines entreprises n’auraient pas forcément osé présenter des projets d’une telle créativité, d’une telle audace ».