De la pudeur nippone

De la pudeur nippone

De la pudeur nippone

De la pudeur nippone

20 octobre 2010

Toujours au Japon, Gaëlle raconte son apprentissage de la pudeur nippone. Entre clichés et contradictions, l'expérience se révèle haute en couleur.

Ça y est, j’ai enfin pu voir de mes yeux l’illustration d’un des clichés qui circulent sur le Japon. J’avais beaucoup entendu parler de ces hommes qui feuillettent sans aucune discrétion des revues à caractère pornographique. Pas le gros truc trash, non, mais qui contient quand même des photos de jeunes femmes fort peu vêtues, et souvent dans des poses très… suggestives.
Pour ceux qui connaissent la chanson des VRP "Les livres de fesses", sachez que cette "prose", même parfaitement traduite en japonais, serait certainement incompréhensible ici. L’embarras éprouvé par les lecteurs de ces magazines n’est pas ressenti dans ce pays, semble-t-il.
On m’avait déjà décrit ce comportement, mais je n’avais jamais vu personnellement ce genre d’attitude. Jusqu’à ce soir, où, debout dans un métro bondé en rentrant du travail, j’ai vu !


Un homme d’une bonne cinquantaine d’années, costard cravate, avec attaché-case et coiffure impeccable, était assis sur une banquette juste en face de moi. Il a d’abord sorti un journal d’informations, a parcouru les titres, puis s’est saisi de son second magazine en papier glacé. Lorsqu’il l’a ouvert, j’ai écarquillé les yeux de surprise à la vue des premières images.

 Ah oui… Humm hummm… Effectivement…
Première page tournée.
Tiens, celle là non plus, elle n’a plus rien à se mettre !
Deuxième page.
Et encore une jeune demoiselle aux yeux de biche et au derrière exhibé.
L’homme continuait tranquillement à tourner les pages, passant rapidement sur les publicités et les rares pages de texte, cherchant la prochaine pleine page de photos. Il examinait attentivement chaque cliché, s’approchant parfois davantage pour mieux examiner un détail. Il ne cherchait pas le moins du monde à cacher ses lectures. « J’assume ! » 

Et de fait, personne ne semblait faire attention à lui. Aucun regard outré, aucune bouche pincée, aucune remarque désagréable. Personne ne trouve à redire à ce qu’un homme se mate un petit magazine "cochon" en public.
Un ami français expatrié au Japon comme moi, à qui je parlais de ma rencontre avec ce "cliché de la revue érotique", m’a l’autre jour raconté une visite chez le dentiste. Voici la scène :
Sur la table basse de la salle d’attente, il avait eu la surprise de découvrir plusieurs numéros de Playboy. Ils trônaient tout naturellement à côté des revues automobiles, des magazines féminins de l’an passé et des livres pour enfants.
D’abord étonné puis curieux, il n’avait cependant pas osé en prendre un. Quelques minutes plus tard, un « petit pépé » comme il le décrivait, était arrivé et s’était sans complexe emparé d’un exemplaire. Il l’avait feuilleté avec nonchalance, indifférent aux regards et aux possibles jugements des sept ou huit femmes présentes dans la salle d’attente… elles-mêmes parfaitement impassibles. Pour elles, il n’y avait rien de surprenant ou d’embarrassant à cette situation.

Ainsi la chanson des VRP sur les livres de fesses serait bien énigmatique pour des oreilles japonaises : être gêné à l’achat de ce genre de revues, ou bien risquer de se faire juger sévèrement dans le train par des passagers réprobateurs, voilà qui ici paraîtrait incongru.

Cette attitude totalement décomplexée est d’autant plus curieuse qu’une extrême pudibonderie se manifeste parfois dans des domaines qui, pour des Européens, ne posent normalement plus de problèmes, passée l’adolescence :
Dans une supérette de mon quartier, j’étais allée acheter deux ou trois bricoles : le caissier "bippait" un à un mes produits : du thé, du lait, une bouteille de jus de fruit… quand soudain !!! Oh ! Une boîte de tampons hygiéniques ! Vite vite, dès le truc passé en caisse, il s’empresse de le glisser dans un sac opaque en papier kraft, avant de le jeter dans le sac en plastique transparent. Probablement pour préserver ma pudeur. Voilà pourtant bien des années que j’assume parfaitement le fait d’acheter des tampons… Bien évidemment ce camouflage rapide vaut également pour la boîte de capotes. Lorsque désormais, anticipant ce déballage inutile de papier, je préviens les caissiers d’un « iranai » (ce n’est pas nécessaire), certains me jettent un regard surpris. Quelle audace de ma part !

Il m’est aussi arrivé une fois qu’on emballe mon paquet de papier toilette. Certes, se balader avec ses quatre ou six rouleaux de "PQ" visibles dans le sac n’a rien de bien glorieux, mais il ne me serait jamais venu à l’idée de les emballer honteusement. J’assume !