Condamnés à mort

Condamnés à mort

Condamnés à mort

Condamnés à mort

10 octobre 2011

10 octobre 2011, journée mondiale contre la peine de mort. Le 21 septembre dernier, Troy Davis, Noir et sans doute innocent et Lawrence Brewer, Blanc et sans doute coupable, ont tous les deux été exécutés aux Etats-Unis après des années passées dans le couloir de la mort. La peine de mort en questions avec Michel Taube, cofondateur d'Ensemble contre la peine de mort.

« Demain, grâce à vous la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées. » Le 17 septembre 1981, Robert Badinter, alors Garde des sceaux du gouvernement Mauroy, soutient devant l’Assemblée nationale le texte d’abolition de la peine de mort. La loi est adoptée puis promulguée le 9 octobre 1981. C’était il y a trente ans.
Depuis 2003, le 10 octobre, se tient la journée mondiale contre la peine de mort. Michel Taube, cofondateur en 2000 de l’association Ensemble contre la peine de mort, et ardent militant pour l’abolition universelle, défend la création d’une journée nationale contre la peine de mort. A quoi servirait une telle journée ? De quelle manière évolue l’opinion française et mondiale sur la peine de mort ? Les abolitionnistes mènent-ils des campagnes pertinentes ? Michel Taube répond à Citazine.

Vous militez pour une journée nationale contre la peine de mort. En France, son abolition n’est pourtant pas remise en cause. Que pourrait amener une telle journée à notre pays ?

Si la peine de mort a été abolie, si l’abolition est définitivement acquise en politique, par les décideurs et les grands partis démocratiques de notre pays, en revanche, au niveau de l’opinion publique, des citoyens, des justiciables, des personnes qui regardent les faits divers et l’actualité judiciaire, il faut sans cesse expliquer pourquoi une justice peut être plus efficace tout en étant plus humaine. Pourquoi la peine de mort est un acte de vengeance et non un acte de justice. Pourquoi la peine de mort n’est pas dissuasive. Cette tâche de sensibilisation ne fait que commencer alors qu’on a aboli la peine de mort voici trente ans.

 

Croyez-vous vraiment que l’opinion publique peut facilement se retourner en faveur de la peine de mort ?

Le basculement de l’opinion a été très long à obtenir. En 1981, lorsque la peine de mort a été abolie, 64 à 65 % des sondés étaient favorables à la peine de mort. Il a fallu attendre le début des années 2000 pour que, selon certaines études, malheureusement trop rares, une légère majorité se dégage, non pas pour ou contre la peine de mort mais hostile à son rétablissement. Car la question qui est posée est « Etes-vous pour le rétablissement de la peine de mort ? » Ce qui n’est pas la même question que « Etes-vous pour ou contre la peine de mort ? » Pour ma part, moi qui aie beaucoup milité contre la peine de mort et rencontré beaucoup de monde, je suis absolument convaincu que, pour un grand nombre de citoyens, le travail d’argumentation est toujours nécessaire. Beaucoup de nos concitoyens ne comprennent pas pourquoi la peine de mort est inutile, non dissuasive et qu’on peut s’en passer dans un système démocratique. Le travail d’explication, il faut le faire, et notamment de plus en plus auprès des jeunes générations, dans un monde qui est de plus en plus violent.

D’après vous, l’école ne fait pas suffisamment de travail de sensibilisation auprès des jeunes ?

L’école dispense des valeurs. Les cours d’histoire, d’instruction civique, permettent d’expliquer une évolution du monde qui va tout de même dans le sens de la liberté et de la démocratie. Cette sensibilisation reste tout de même nécessaire. Elle est nécessaire pour les écoles mais pas seulement. L’Eglise catholique a mis énormément de temps à se convertir à l’abolition. Il serait donc judicieux qu’à l’occasion d’une journée nationale pour l’abolition universelle de la peine de mort, par exemple à l’occasion d’un temps de catéchisme, qu’il soit expliqué pourquoi l’Eglise est devenue hostile à la peine de mort. Pour les mosquées, les différentes organisations musulmanes, il y a un gros travail pédagogique à faire pour essayer de comprendre qu’on peut vivre dans un Etat musulman sans la peine de mort. Tout le monde peut agir dans son domaine.

 

Vous répétez qu’il faut convaincre l’opinion publique de l’inutilité de la peine de mort. Mais si l’opinion bascule, ne serait-ce pas plutôt, pour crier à la vengeance suite à un crime odieux ?

Face à un crime odieux, on a tous plus ou moins une réaction passionnelle qui tend à vouloir crier vengeance. Mais la justice des Hommes n’est pas là pour se mettre à la place des victimes. Si la justice des Hommes suit les instincts compréhensifs des victimes, on serait toujours dans la loi du talion. Vengeances et meurtres se succéderaient les uns aux autres. Le rôle de la justice des Hommes est de pacifier les relations sociales, de trouver les moyens de stopper justement ce désir de vengeance qui peut nous animer.
Ensuite, je constate qu’aux Etats-Unis par exemple, qui est la dernière grande démocratie avec le Japon à appliquer la peine de mort, les principaux abolitionnistes se trouvent dans des associations de familles de victimes. L’organisation la plus active est Murder Families Victims for réconciliation, une organisation de victimes de crimes, des gens dont les enfants, les parents, les proches, ont été assassinés par des criminels et qui militent contre la peine de mort. Ils considèrent que ce n’est pas en tuant le criminel qu’on redonnera vie à leur proche assassiné. Beaucoup de victimes et heureusement, ne sont pas dans le fonctionnement « Vengeance, vengeance, vengeance » Il faut l’expliquer, il faut en parler, il faut prendre un temps pour en parler, cette journée que je défends. Il faut convaincre que la décision prise il y a trente ans était la bonne. Et qu’il ne faut pas revenir en arrière.

« Les Américains n’envisagent l’abolition que pour les innocents »

Récemment, les abolitionnistes ont mené campagne contre la mise à mort de Troy Davis, Noir, peut-être innocent et finalement exécuté. Le même jour, Lawrence Brewer, un Blanc membre du Ku Klux Klan dont la culpabilité n’est pas remise en question, était également exécuté. Les abolitionnistes n’auraient finalement pas plus de poids en utilisant en symbole le coupable ?

J’ai organisé trois congrès mondiaux contre la peine de mort en 2001, 2004 et 2007. En 2004, on l’a organisé au Canada, afin de mettre en lumière un pays d’Amérique du Nord contre la peine de mort et de toucher le plus près possible les Américains. Nous avons réuni d’anciens condamnés à mort du monde entier, soit innocentés, soit graciés parce la peine de mort avait été abolie dans leur pays. Le seul pays où seuls des innocents anciens condamnés à mort étaient représentés, était les Etats-Unis. Le condamné à mort français, Philippe Maurice, avait été reconnu coupable de son crime mais gracié sous Mitterrand. Il avait assassiné un policier et sa peine de mort a été commuée en réclusion à perpétuité : il a fait vingt-deux ans.

Aux Etats-Unis, contrairement à la France, à l’Europe, à l’Amérique latine, il n’est pas possible d’envisager pour une personne coupable, reconnue coupable, de ne pas l’envoyer à l’exécution. Pour les Américains, la seule question qui se pose est d’abolir la peine de mort parce qu’on risque de mettre à mort des innocents. Ils n’envisagent l’abolition que pour les innocents. C’est un comble puisque c’est une manière de ne pas faire le procès de la peine de mort et d’envisager de la supprimer pour des raisons extérieures à la peine de mort. En Europe, on a aboli la peine de mort pour des personnes jugées coupables des crimes les plus odieux.
Pour la justice internationale aujourd’hui, on ne condamne plus à mort les auteurs de génocides et de crimes contre l’humanité, ils ne sont pas innocents. Et pour répondre à votre question, je pense malheureusement qu’un message qui aurait dit : « Ce condamné à mort qui, par une idéologie d’extrême droite, a commis un crime odieux, ça ne sert à rien de l’exécuter parce que la société à des moyens autres de se protéger de lui ». Le message n’aurait pas été audible aujourd’hui aux Etats-Unis. Les arguments avancés aujourd’hui contre la peine de mort sont des arguments techniques, de procédure, de doute, mais il n’y a pas aux Etats Unis de procès de la peine de mort. Et il n’y a pas de Robert Badinter capable, dans la défense d’un prévenu, de faire le procès de la peine de mort.

Ceux qui sont contre la peine de mort le sont par crainte de l’erreur plutôt que par refus de donner la mort ?

Tout à fait.

Le 10 octobre se tient la journée mondiale contre la peine de mort. Aujourd’hui, la moitié du monde l’applique encore. Cette journée a-t-elle une réelle influence ?

La journée mondiale est une journée officielle soutenue par l’Union Européenne, le Conseil de l’Europe, elle a une vraie dimension. Elle donne également lieu à de multiples initiatives dans des pays où la peine de mort est pratiquée, mais qui sont des régimes ouverts qui autorisent ce genre de manifestations. Aux Etats-Unis, au Maroc, en Tunisie, à Hong Kong.

Dans ces pays où la peine de mort est appliquée, l’est-elle sous la pression de l’opinion, des politiques, des deux ?

On ne peut pas généraliser autant puisque ça dépend vraiment des régions. Grosso modo, il y a trois grandes régions du monde où la peine de mort est pratiquée. C’est l’Asie, avec la Chine et le Japon, les Etats-Unis et le monde arabo-musulman. Et en fonction de ces régions, les raisons sont vraiment très différentes. On constate en Chine qu’il y a une vraie réduction des condamnations et des exécutions, beaucoup de décideurs avouent en off que l’abolition est dans son principe envisageable mais encore trop tôt pour la Chine, où se trouvent des abolitionnistes assez dynamiques. Maintenant, la peine de mort est intimement liée à la nature du régime politique. La Chine reste un régime très autoritaire qui repose beaucoup sur la peur. Je ne reviens pas sur les Etats-Unis, ce sont surtout des avocats qui s’engagent, qui essaient d’innocenter des condamnés à mort, des familles de victimes qui se battent, par compassion.
Je voudrais insister sur le monde arabo-musulman. Aucun de ces pays n’a aboli la peine de mort. Des pays musulmans comme la Turquie et le Sénégal l’ont fait, mais pas les pays arabo-musulmans. On entre dans une période nouvelle pour le monde arabe. Avec le printemps arabe et ce vent de liberté qui souffle, il va y avoir vraiment un dialogue possible entre deux dimensions. La dimension démocratique, qui est en train d’émerger, et la dimension religieuse. Le monde arabo-musulman est souvent hostile à l’abolition de la peine de mort au nom de l’Islam. Or il existe des arguments au nom de l’Islam pour réduire son application voire pour son abolition. Il y a un dialogue qui va s’ouvrir dans les mois ou les années à venir, très intéressants, entre les démocrates qui commencent à exister et la dimension religieuse hostile à l’abolition de la peine de mort

 

> En 2011, Michel Taube a fondé le site Opinion internationale.