Dans la vie, certaines personnes sont naturellement drôles. Sasha (Sigrid Johnson) veut apprendre à le devenir. Depuis le suicide de sa mère, l’adolescente de 13 ans s’est promis de ne jamais lui ressembler.

Sa mère était dépressive ? Sasha sera une star du stand-up ! Une maîtrise de l’humour qui lui permettra de faire à nouveau rire son père Abbe (Oscar Töringe). En tout cas, elle l’espère. Mais cet apprentissage des vannes va surtout lui apprendre à canaliser sa colère envers une mère qui l’a laissée tomber. Et faire enfin son deuil ?

Teen spirits

Après un détour du côté des séries et du documentaire, Sanna Lenken revient à la fiction avec Comedy Queen, son second long métrage. Après My Skinny Sister (2015) dans lequel une jeune fille découvre que sa grande sœur a un trouble alimentaire, la réalisatrice suédoise se replonge dans les tourments adolescents. Avec cette fois-ci un drame non digéré par sa jeune héroïne.

Adaptation du roman La Reine de la comédie de Jenny Järgerfeld, le nouveau film de Sanna Lenken adopte un ton plus léger, en apparence. Car, dans le fond, le tabou du suicide plane sur le parcours de la jeune Sasha. Son projet est avant tout une drôle de fuite en avant face à un deuil impossible.

Abandonnée

Alors que son père est totalement effondré depuis la disparition soudaine de sa femme, Sasha décide de prendre le taureau par les cornes. Mais derrière cette apparente détermination, il y a beaucoup de colère. Le décès d’un proche est une épreuve rendue quasiment insurmontable quand la mort a été souhaitée. Comedy Queen traite avec tact du sujet sensible du suicide d’un parent et de l’incompréhension ressentie.

Pour ne jamais ressembler à sa défunte mère, Sasha décide de changer radicalement. Elle dresse une liste de points pour s’éloigner de cette pathétique dépressive qui n’a pas su résister à l’épreuve de la vie. Sa mère avait les cheveux longs, Sasha se rase la tête. Lorsque son père lui offre enfin le chien tant désiré pour son anniversaire, elle refuse. Elle ne veut surtout pas prendre la responsabilité d’un être vivant. On a bien vu ce que ça a donné avec sa mère.

Derrière ces changements parfois anecdotiques, Sasha impose une prise de position symbolique. L’adolescente exprime son incompréhension et sa rage devant un acte vécu comme une trahison. Comment expliquer que l’on puisse abandonner ceux que l’on aime ? Même si elle n’ose le formuler, Sasha est persuadée que si sa mère s’est suicidée c’est qu’elle ne l’aimait pas assez. Pour contrer ce désespoir qui menace désormais son père, Sasha a une arme imparable : l’humour.

Mort de rire

Le plan de Sasha de devenir une comique reconnue du stand-up a un côté assez naïf mais c’est avant tout une réaction épidermique à un abandon impossible à comprendre. Avec l’espoir de faire rire son père au bout du rouleau, cet objectif loufoque est une façon originale d’emmener l’adolescente sur le chemin d’une certaine résilience.

Comedy Queen accompagne ce processus d’autant plus compliqué dans le cas d’un suicide avec une apparente légèreté qui n’oublie jamais ce qui se trame en coulisses. Pour Sasha, faire rire son père est aussi une façon d’éviter qu’il sombre peut-être à son tour dans la spirale de la dépression, potentiellement mortelle. Les yeux rivés sur son téléphone, l’adolescente décrypte les stand-ups pour comprendre les rouages du métier.

Un véritable combat contre la morosité ambiante débute. Le défi de Sasha se transforme en bataille à mort à base de vannes pour terrasser le néant. Le remplir de rires pour contrer ce sentiment d’abandon et d’absurde vacuité. Rire tout simplement, pour ne pas pleurer.

Devenir drôle

Mais rire n’est pas si simple ! Si une rage interne empêche Sasha de verser des larmes pour sa mère, les rires d’un public ne sont pas plus faciles à obtenir. Et c’est d’autant plus vrai en ce qui concerne son père. Terrassé depuis le décès de sa femme, Abbe est l’ombre de lui-même. La vocation soudaine de sa fille pour l’humour le laisse perplexe tandis qu’il l’observe du coin de l’œil en train de peaufiner des vannes dans sa chambre devant un public imaginaire.

Peut-on apprendre à devenir drôle ? Cette question plane sur le périple de la jeune Sasha mais c’est bien l’acceptation du deuil qui est le moteur de cette drôle d’histoire. Une vérité à laquelle Sasha devra bien se confronter au terme de son initiation comique. Sa quête de la blague ultime aura pour effet de terrasser une frustration supposée inconsolable.

Drôle de drame attachant, Comedy Queen charme avec son projet loufoque de noyer l’incompréhension dans des larmes de rire. Le charisme de la jeune Sigrid Johnson sert à merveille ce parcours résilient. Derrière son sourire irrésistible se cache une fragilité touchante face à un acte à jamais mystérieux. Une drôle de vie, assurément.

> Comedy Queen, réalisé par Sanna Lenken, Suède, 2022 (1h33)