« Chroniques d’Haïfa – histoires palestiniennes », famille sous tensions

« Chroniques d’Haïfa – histoires palestiniennes », famille sous tensions

« Chroniques d’Haïfa – histoires palestiniennes », famille sous tensions

« Chroniques d’Haïfa – histoires palestiniennes », famille sous tensions

Au cinéma le 3 septembre 2025

Entre conflits générationnels et tabous, la vie des membres d'une famille palestinienne est chamboulée. Film choral portant un regard bienveillant sur ses personnages, Chroniques d'Haïfa - histoires palestiniennes dénonce les pressions sociétales - à commencer par un patriarcat pesant - qui étouffent les individus. Un puzzle familial qui possède, à son corps défendant, un écho tragique dans la situation actuelle.

Au sein d’une famille bourgeoise palestinienne vivant à Haïfa, Fifi (Manar Shehab), 25 ans, est hospitalisée après un accident de voiture qui risque de révéler son secret à ses proches. Son frère Rami (Toufic Danial) apprend que sa petite amie juive hôtesse de l’air est enceinte de lui. Un événement imprévu qu’il n’imagine pas assumer.

Au cœur de ces bouleversements, leur mère Hanan (Wafaa Aoun) tente de préserver les apparences en se concentrant sur le mariage imminent d’une autre sœur de la fratrie. Mais les préparatifs de l’union sont assombris par les difficultés financières que doit affronter le père de famille. En pleine tourmente, les conflits entre les différents membres de la famille éclatent au grand jour dans une société où tout peut basculer en un instant.

Chroniques d'Haïfa - histoires palestiniennes © photo Fresco Films - Red Balloon Film - Tessalit Productions - Intra Movies - Nour Films

Quête d’identités

Chroniques d’Haïfa est né dans l’esprit de son réalisateur Scandar Copti d’une simple phrase qui l’a marqué lorsqu’il était adolescent : « Ne laisse jamais une femme te dire ce que tu dois faire ». Ce conseil donné par une mère à son fils a été pour lui le symbole des valeurs patriarcales profondément ancrées dans la société palestinienne. La thématique de cette pression sociétale et de la façon dont les femmes tentent de s’en affranchir est au cœur de ce récit.

Cette prise de conscience de l’emprise du patriarcat a été renforcée lorsque le cinéaste a pu observer des schémas similaires pendant ses études dans la société israélienne où des récits et rituels viennent, selon lui, renforcer cette contrainte et la militarisation de la société. Partant de ce constat, Scandar Copti s’avère un fin observateur des tensions familiales et des interactions sociales. Les deux étant intimement liées dans le comportement de la mère de famille notamment qui s’inquiète du jugement moral des gens sur sa progéniture.

Chroniques d’Haïfa est le lieu d’affrontement des valeurs morales de chacun qui s’entrechoquent et mettent à mal relations amoureuses comme unité familiale. Ces deux types de liens vacillent facilement face à la pression des normes culturelles et de la propagande. Les femmes sont au cœur des pressions qui bouleversent le quotidien familial et viennent parfois les opposer entre elles, loin d’une sororité de combat. En mettant en scène ces difficultés, Scandar Copti plaide pourtant pour une véritable émancipation pour faire évoluer les mentalités vers plus de liberté.

Chroniques d'Haïfa - histoires palestiniennes © photo Fresco Films - Red Balloon Film - Tessalit Productions - Intra Movies - Nour Films

Puzzle familial

Pour faire passer son message, Chroniques d’Haïfa emprunte des chemins tortueux. Le film est découpé en quatre chapitres, chacun dédié à la vision d’un personnage : Rami, Hanan, Fifi et Miri (Merav Mamorsky), une mère confrontée à la dépression de sa fille adolescente. Le spectateur découvre ainsi par bribes les histoires de chacun avec une vision subjective et incomplète. Au fil du récit, le puzzle familial se constitue, parfois avec des fausses pistes.

Le cinéaste assume totalement cette perception biaisée qui peut amener le spectateur à avoir des conclusions hâtives sur les personnages démenties ou atténuées par la suite. Après tout, il est ici question de préjugés, ceux du spectateur faisant écho à ceux des personnages et de la société qui juge et condamne leurs comportements. Avec ce jeu de piste qui peut dérouter, Chroniques d’Haïfa donne corps à son propos sur la dangerosité d’un jugement définitif.

Pour plus d’authenticité, le cinéaste a appliqué sa méthode « Singular Drama » qu’il décrit comme le « paradoxe de la fiction ». Aucun acteur du film n’est professionnel : chacun a été choisi pour sa proximité avec son personnage. Ainsi Raed Burbara qui incarne Walid est un vrai médecin dans la vie. Avec une méthode de tournage à la caméra portée et du matériel réduit à son strict minimum proche du documentaire, Chroniques d’Haïfa capte une immédiateté qui sert parfaitement son propos.

Chroniques d'Haïfa - histoires palestiniennes © photo Fresco Films - Red Balloon Film - Tessalit Productions - Intra Movies - Nour Films

Libre arbitre

Au fur et à mesure que les récits subjectifs se suivent et se complètent, le film de Scandar Copti dévoile le personnage invisible mais omniprésent qui pèse sur les décisions de chacun : un système aliénant qui pousse chacun dans ses retranchements. Avec cette vision renvoyant les personnages à des pions malmenés par des forces – politiques, raciales, sociales et économiques – qui les dépassent, Chroniques d’Haïfa plaide pour l’empathie d’une vision globale.

Si certains personnages commettent des actes contestables, y compris contre les membres de leur propre famille, le spectateur est invité à les mettre en perspective à travers ce kaléidoscope de regards subjectifs qui s’affrontent. Celà ne signifie pas que le spectateur doit absoudre les actes les plus terribles mais il est invité à se mettre dans la position de les comprendre, à minima.

Chroniques d'Haïfa - histoires palestiniennes © photo Fresco Films - Red Balloon Film - Tessalit Productions - Intra Movies - Nour Films

Ainsi Hanan et Fifi sont les incarnations de comportement dictés par les questions de l’honneur et de la honte qui traversent la société palestinienne. Mais que vont dire les gens ? Cette masse anonyme qui dicte sa loi face à laquelle la mère et sa fille optent pour des positions totalement différentes posant la question du libre arbitre et de la rébellion dans une société sclérosée.

En temps de guerre

Impossible de ne pas prendre en compte le contexte dans lequel ce film palestinien sort en salles. À mi-chemin entre la culture israélienne dominante et la « sous-culture » palestinienne, selon les mots du cinéaste, Chroniques d’Haïfa explore les relations d’interdépendance entre les deux avec un ciment commun, un patriarcat décidément tenace. Cette vision transversale qui cherche à créer des ponts prend une dimension toute particulière dans les circonstances actuelles.

Chroniques d'Haïfa - histoires palestiniennes © photo Fresco Films - Red Balloon Film - Tessalit Productions - Intra Movies - Nour Films

Le conflit entre Juifs et Palestiniens n’est pas le cœur névralgique de ce drame familial tourné en 2022. Pourtant, entre l’horreur du 7 octobre 2023 et la sidération face à la situation tragique à Gaza, difficile de ne pas extrapoler le propos du film de la famille à l’échelle d’un pays avec des points de vue devenus irréconciliables. Devant le constat désespérant et vertigineux imposé par l’actualité, l’espoir porté par le film d’une émancipation salvatrice des femmes semble plus que jamais obscurci par la folie des hommes.

> Chroniques d’Haïfa – histoires palestiniennes (Happy Holidays), réalisé par Scandar Copti, Palestine – Allemagne – France – Italie, 2024 (2h03)

Chroniques d'Haïfa - histoires palestiniennes (Happy Holidays)

Date de sortie
3 septembre 2025
Durée
2h03
Réalisé par
Scandar Copti
Avec
Manar Shehab, Wafaa Aoun, Raed Burbara, Meirav Memoresky, Toufic Danial
Pays
Palestine - Allemagne - France - Italie