Toute l’originalité, et sans doute toute la force, de ce Canon Graphique est précisément de vouloir mêler, de façon systématique et assumée, deux univers que l’opinion publique aurait beau jeu de considérer comme hermétiques. La bande dessinée d’un côté, représentée sous toutes ses coutures : dessins réalistes ou style puéril, souci du détail ou minimalisme, noir et blanc stylisé ou couleurs pétaradantes… La grande littérature de l’autre, avec une série d’adaptations de textes qui ont fait date dans l’histoire des Lettres.
Convoqués par Russ Kick, déjà auteur de plusieurs anthologies et considéré par ses pairs comme un archéologue de l’information et un visionnaire, plus de cinquante auteurs de bande dessinée ont revisité autant de chefs-d’œuvre de la littérature mondiale. Chaque œuvre littéraire est remise en contexte par un petit texte introductif signé par l’auteur de la interprétation graphique. Parmi eux, quelques pointures internationales (citons le plus connu, Robert Crumb) et beaucoup de talents de l’avant-garde graphique, largement réputés de l’autre côté de l’Atlantique.
« J’ai demandé aux artistes de rester fidèles au matériau », précise Russ Nick. Pas de libre interprétation donc, pas de métamorphose du texte, pas de trahison de l’esprit. Ces réinterprétations sont avant tout des hommages, œuvres d’auteurs avant tout lecteurs, qui mettent leur talent graphique et leur créativité à l’honneur d’une œuvre connue, chérie et dont ils ont su s’imprégner, en tant que dessinateurs/scénaristes. L’un des premiers atouts du Canon Graphique est donc de sensibiliser ses lecteurs avec ces œuvres, de leur fournir un point d’entrée par le prisme particulier de la bande dessinée.
Hommage initiatique
C’est la portée instructive du recueil, son format anthologique sans en avoir l’air, qui risque de séduire en premier lieu les néophytes. Une fonction que Russ Kick lui-même place au premier plan, lui qui souhaite que son livre donnera à ses lecteurs l’occasion de revenir aux œuvres originales. Il leur fournit en tout cas les circonstances idéales pour (re)découvrir quelques textes piliers de la littérature (L’Iliade, L’Odyssée, L’Enéide…) tout en faisant la part belle aux grandes épopées anciennes, parfois moins connues des Occidentaux (Gilgamesh, Tao Te King, Popol-Vuh…). En passant, vous aurez fait un détour par les Mille et Une Nuits, La Divine Comédie, le Roi Lear ou les Liaisons Dangereuses…
Pour ceux qui seraient intimidés par l’impressionnante carrure de l’objet (à peu près aussi lourd que le bottin), voilà une nouvelle qui vous permettra de relativiser : ce livre, tout juste paru, n’est que le premier volume d’une trilogie à venir. Les prochains chapitres revisiteront quant à eux les œuvres du XIXème siècle et du XXème siècle. Bonne nouvelle au demeurant pour cette initiative hors normes, prévue pour tenir en 400 pages initialement, et qui en fera donc plus de 1500 finalement. Il fallait bien ça pour être à la mesure des œuvres recensées, du talent de ses interprètes et de la gageure de l’entreprise. Pari tenu.
> Le Canon Graphique, Tome 1, de l’Epopée de Gilgamesh aux Liaisons dangereuses, par Russ Kick, ouvrage collectif, éditions Télémaque, novembre 1012.