Le bonbon enfumé

Le bonbon enfumé

Le bonbon enfumé

Le bonbon enfumé

23 août 2011

Les cigarettes bonbons sont interdites en France depuis 2009. Pourtant, les fabricants ont habilement contourné la législation et il est encore possible d'en trouver sur le marché. Emmanuelle Béguinot, directrice du Comité national contre le tabagisme, nous explique les subtilités utilisées pour que ces cigarettes parfumées soient vendues en toute légalité.

Des cigarettes à la vanille, à la cerise ou au chocolat. | Photo FlickR, CC, StreetFly JZ  

Le 3 août 2011, une circulaire signée par Claude Guéant (ministre de l’Intérieur), Xavier Bertrand (ministre de la Santé) et Nora Berra (secrétaire d’Etat à la Santé) demande aux préfets de renforcer les contrôles anti-tabac. Et insiste sur la nécessité de rester vigilant sur un produit du tabac en particulier : « la cigarette bonbon ». Cette cigarette parfumée, au goût sucré, vise à séduire un public jeune. Pourtant, ce type de cigarettes a été interdit en 2009, par la loi HPST (Hôpital, Patients, Santé et Territoires). Pourquoi cette circulaire fait-elle référence à un produit interdit ? Réponse avec Emmanuelle Béguinot, directrice du Comité national contre le tabagisme.

Les « cigarettes bonbons » sont interdites en France depuis 2009. Pourquoi le gouvernement y fait-il allusion dans la circulaire du 3 août 2011 ?

La loi HPST (Hôpital, Patients, Santé et Territoires) de juillet 2009 interdit les cigarettes bonbons. Mais le concept même de ce type de cigarettes était assez flou. Il a été défini par le décret du 30 décembre 2009[fn]Décret n° 2009-1764 du 30 décembre 2009 relatif à la composition des cigarettes aromatisées dont la vente, la distribution ou l’offre à titre gratuit est interdite. L’article D. 3511-16. stipule : « La teneur maximale des ingrédients donnant une saveur sucrée ou acidulée aux cigarettes aromatisées, mentionnés à l’article L. 3511-2, est fixée comme suit :
– Vanilline : 0,05 % de la masse de tabacs ;
– Ethylvanilline : 0,05 % de la masse de tabacs ;
– Edulcorant appliqué sur la manchette de la cigarette : seuil de détection analytique. »[/fn]. Celui-ci précise qu’une cigarette est considérée comme cigarette bonbon dès lors que ses teneurs en ethylvanilline (arômes, NDLR) et en sucres sont supérieures à 0,05 % de la masse de tabacs.
Problème, ce seuil n’est pas un seuil sanitaire. En-deçà, la cigarette reste un produit dangereux. Autre défaillance du décret : il ne concerne que les cigarettes bonbons et ne fixe absolument rien pour les autres produits comme le tabac à rouler, les cigarillos, les narguilés, etc. Alors qu’ils sont eux aussi concernés par les questions d’arômes, de sucres, etc.
Le décret définit précisément ce que cache le terme cigarette bonbon, mais les fabricants contournent la législation. Suite à ce décret, ils ont réduit les teneurs en ethylvanilline et en sucre. Si les teneurs sont inférieures au seuil fixé par le décret, la cigarette n’est pas considérée comme une cigarette bonbon. Elle n’est donc pas illégale.
Les fabricants jouent également sur le packaging. Avec des paquets de cigarettes fun, colorés, des éditions limitées et/ou spéciales, ils font oublier aux consommateurs qu’ils achètent un produit du tabac. C’est une stratégie qui fonctionne, en particulier auprès des jeunes. Ces paquets de cigarettes conditionnés dans un emballage attractif et à un prix légèrement en deçà des autres seront davantage perçus comme des bonbons.

Que peuvent faire les organismes comme le vôtre pour lutter contre ces cigarettes bonbons ?

Aujourd’hui, on tente de résoudre le problème des cigarettes bonbons par la réglementation de la composition des produits. Mais également par l’instauration des paquets neutres standardisés, c’est-à-dire en déterminant une présentation homogène et uniformisée des produits du tabac. Ces produits ne doivent plus être proposés dans le but de promouvoir un article. L’objectif doit être d’informer le fumeur, l’avertir des risques associés à la consommation du produit. Les paquets neutres standardisés vont être mis sur le marché en Australie à partir de janvier 2012. Et, sur le plan du principe, ils ont été adoptés fin 2008 par la France.

Emmanuelle Béguinot, directrice du CNCT. | Photo CNCT

Depuis quand les cigarettes bonbons sont-elles vendues en France ?

Cela fait longtemps que l’on trouve en France des arômes qui renvoient à des sucreries comme la réglisse, le miel, des arômes de fruits pour certains produits du tabac, le tabac à rouler, les cigarillos, le tabac à pipe, etc. Concernant les cigarettes, c’est un phénomène récent. Il y avait de rares exceptions, notamment pour l’anis utilisée pour les Royal mais il n’existait quasiment pas de cigarettes aromatisées jusqu’aux années 2000.
Elles ne concernent qu’une part de marché relativement limité. Les pouvoirs publics ont rapidement réagi. Ces cigarettes visent les jeunes, voire les très jeunes. On défend une cible. Comme je l’expliquais, les fabricants misent sur la packaging fun pour attirer les jeunes. Selon plusieurs études, ados et jeunes adultes sont séduits par ces paquets à collectionner.
Du packaging et la cigarette elle-même, tout a été pensé pour plaire aux jeunes. La Pink Elephant est une cigarette toute rose qui rappelle les fraises Tagada. Le public visé ? Les jeunes de dix ans. Et cette marque a prévu deux types de produits. Les cigarettes roses pour celles qui commencent à fumer, car ce sont surtout les petites filles qui sont visées. Les cigarettes mauves visant les jeunes filles qui entrent dans l’adolescence.

En France, avec l’arrivée de cette cigarette, avez-vous constaté que les jeunes fument plus tôt ?

C’est compliqué de répondre à cette question parce qu’il faudrait pouvoir comparer ce qui est comparable, des études avec les mêmes méthodologies. Ce qu’indique le Baromètre Santé 2010, portant sur un échantillon très important et qui ne concerne pas uniquement les jeunes, c’est une augmentation de la consommation de tabac pour quasiment toutes les tranches d’âges, y compris chez les jeunes, mais pas tous dans les mêmes proportions. D’autres études, comme celle de la Fédération française de cardiologie semble indiquer qu’il y a une reprise de la consommation des jeunes. Mais, je ne peux pas dire s’il y a une évolution d’une année sur l’autre parce que nous n’avons pas toutes les données.

Les cigarettes en chocolat encourageraient les enfants
à devenir fumeurs à l’âge adulte

Les cigarettes bonbons sont-elles plus ou moins nocives que les cigarettes classiques ?

Elles sont toutes aussi mauvaises, ça c’est clair. Certaines études tendent à montrer qu’elles pourraient être plus toxiques. C’est une question difficile. Toutes les études n’arrivent pas aux mêmes conclusions. Tout ce que je peux dire, c’est que les cigarettes bonbons sont tout aussi nocives que les autres.
Le problème essentiel pour une cigarette ou un autre produit du tabac c’est le phénomène de combustion. Lors de la combustion, 4 000 produits se dégagent, dont certaines sont cancérigènes. On peut donc penser que si l’on introduit un facteur supplémentaire (cacao, réglisse, arôme de fuit, etc.), même si celui-ci peut paraître, au départ, anodin au moment de la combustion, cet élément additionnel peut générer des risques supplémentaires. De toute façon, quelles que soit les cigarettes, elles sont toutes dangereuses.

Des cigarettes parfumées, mais tout aussi nocives que les autres. | Photo FlickR, CC, Mikee Showbiz

En France, la cigarette bonbon est interdite. Qu’en est-il dans les autres pays européens ?

Au niveau de la réglementation, peu de pays ont légiféré et interdit l’utilisation des arômes. La France est assez en avance à ce niveau-là. Actuellement, une importante discussion est en cours pour réviser la directive européenne de 2001, sur « la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac ». Une réflexion est menée afin de définir ce que l’on a le droit de mettre dans ces produits. Quels sont les produits que l’on accepte de mettre sur les marchés ? Comment doivent-ils être présentés ? Si l’on impose, ou non, les avertissements graphiques pour tous les pays de l’Union européenne. Si l’on met en place les paquets neutres standardisés, etc. Les Etats membres peuvent s’appuyer sur ces réflexions, mais peuvent également mettre en place leur propre réglementation, comme en France.
L’interdiction des cigarettes bonbons est préconisée, au niveau international, par les lignes directrices adoptées en 2010, sur la réglementation visant à supprimer tout produit pouvant être incitatif à la consommation et notamment les cigarettes bonbons. L’objectif, c’est de s’aligner sur la législation canadienne qui interdit l’utilisation de tous les arômes pour l’ensemble des produits du tabac.

L’objectif est-il, à terme, d’interdire un autre type de cigarettes : les cigarettes en chocolat ?

Oui, cela fait partie des obligations de la France qui a ratifié la Convention-cadre de lutte contre le tabac (CCLAT). Cette convention internationale contient des dispositions sur ces confiseries. Il a été démontré que tous les produits à confiserie et les jouets rappelant la norme des produits de tabac constituent une incitation. La petite fille ou le petit garçon qui commence par manger une cigarette en chocolat, c’est en quelque sorte une initiation. Cela encouragerait les enfants à devenir fumeurs à l’âge adulte. Il est donc préconisé, au niveau international mais également européen (recommandation du Conseil de l’Union européenne de décembre 2002 relative à la prévention du tabagisme, NDLR) d’interdire la vente de ces produits.

Les chiffres-clés en France

> L’âge de la première cigarette se situe en France vers 11 ans et 8 mois
(chiffre de l’enquête de la Fédération Française de Cardiologie réalisée annuellement auprès des jeunes de 10 à 15 ans).

> En 2010, 81,4 % des hommes et 67,4 % des femmes, de 15-85 ans, déclarent avoir « expérimenté le tabac » (en avoir fumé au moins une fois au cours de sa vie).

> En 2010, 26,9 % des 12-85 ans déclarent fumer quotidiennement.

> En 2010, 4,7 % des 12-85 ans déclarent fumer occasionnellement.

> Le tabagisme reste une pratique plus masculine, concernant 35,5 % des hommes et 27,9 % des femmes.

> Sur l’ensemble de la population des 15-75 ans, la part de fumeurs quotidiens a augmenté de 2 points entre 2005 et 2010, passant de 26,9 % à 28,7 %

[Source : Baromètre Santé 2010 – Evolutions récentes du tabagisme en France, Institut national de prévention et d’éducation à la santé (INPES)].