Au bois de Boulogne, la révolte gronde depuis plusieurs semaines maintenant. Les prostituées affirment être victimes d’un harcèlement de la part de la police. C’est un arrêté préfectoral du 1er mars dernier qui a mis le feu aux poudres. Michel Gaudin, ancien préfet aujourd’hui débarqué par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, a décidé d’interdire la présence de camionnettes et véhicules de ce type dans le secteur du bois de Boulogne. Un coup dur pour de nombreuses travailleuses du sexe : les camionnettes, aménagées, sont en effet leur lieu de travail.
Depuis, les contrôles s’intensifient, les amendes pleuvent, les filles sont emmenées au poste et mises en garde à vue. « Comme des criminelles », déplore Manuela. Elle a 20 ans de Bois de Boulogne derrière elle et est une porte-parole du collectif du XVIe arrondissement. Un regroupement d’une trentaine de prostituées qui ont décidé de s’unir pour résister et dénoncer le harcèlement quotidien dont elles se disent victimes. Manuela insiste : « Nous, le collectif du XVIè arrondissement, sommes toutes libres et avons choisi ce métier librement. Nous sommes indépendantes, nous payons nos charges, nos impôts. Nous sommes toutes en règle. »
Intimidation de témoins
Soutenues par le Strass, le syndicat du travail sexuel, les prostituées du bois de Boulogne ont déjà participé à plusieurs manifestations, la dernière avait lieu samedi, à Pigalle. Dans un communiqué daté du 5 juin dernier, le strass dénonce un acharnement à leur égard : « L’illégalité de ces arrestations est pourtant flagrante : les personnes concernées étaient dans leurs camions, et donc invisibles aux yeux du public. Dans la foulée, les putes en camionnette ont continué à être la cible de l’acharnement accru (PV de stationnement, mises en fourrière…) que nous dénonçons depuis plusieurs semaines ».
Dans un autre communiqué publié par leur avocate cette fois, Me Stéphanie Marcie commente : « Elles sont désormais quotidiennement arrêtées par la police, effectuent une longue garde à vue portant atteinte à leur intégrité physique et morale, passent une nuit au dépôt du Palais de justice pour être présentées, le lendemain, au délégué du procureur. Elles ressortent libres, sans condamnation…mais meurtries et affaiblies. »
En camionnettes, les prostituées espéraient pourtant échapper à la loi de 2003 sur le racolage passif. Que dit cette loi ? « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 Euros d’amende. »
Les prostituées sont à l’abri dans leur camion, mais incitent-elles les clients à y entrer ? « Les clients connaissent nos véhicules. Ce sont eux qui viennent vers nous, nous ne les appelons pas. Nous, on reste à l’intérieur et eux viennent nous voir. » L’une d’entre elle dénonce une intimidation policière auprès des clients. « Ils attendent à la sortie du camion que le client sorte. Ils l’incitent ensuite à signer un papier comme quoi nous lui avons demandé de venir. Et s’il refuse, ils lui disent qu’ils enverront le papier chez lui. C’est un délit l’intimidation de témoin ! »
Plus de sécurité dans un véhicule
Des solutions ont été proposées à la préfecture de police. Celle de remplacer les camions par des monospaces, comme Manuela qui depuis trois ans travaille dans un Multipla qu’elle a aménagé. La proposition a été rejetée. Elles sont inquiètes. Manuela a 50 ans, d’autres sont plus vieilles. Les prostituées du collectif ne sont plus toutes jeunes et sont là depuis des années. Pour elles, le camion, c’est un confort et une vraie amélioration des conditions de travail, tant sur le plan hygiénique que pour leur sécurité. « Quand on travaille à pied, on est dans la saleté. Quand il pleut toute la journée comme aujourd’hui, c’est vraiment difficile, on est toujours dehors. Et on travaille dehors. Et dans les bois, c’est dangereux. On peut se faire voler, agresser et même violer. En camion, on choisit nos clients, on décide et on a le contrôle. On est beaucoup plus en sécurité. » Le trottoir, elles n’en veulent plus. Le tapin, très peu pour elles.
Dans son communiqué, leur avocate poursuit : « Cette politique pénale va conduire à un retour à une prostitution cachée, soumise à la seule loi de la rue, et créer une plus grande insécurité tant pour les prostituées que pour le public côtoyant ce lieu. »
Les demandes de rendez-vous ont été lancées auprès de Manuel Valls et du nouveau préfet de police de Paris, Bernard Boucault. Mais rien ne devrait aboutir avant le second tour des élections législatives.
Au Bois de Boulogne, allée de la Reine-Marguerite, on ne compte pas baisser les armes avant d’avoir gagner la tranquillité. « On veut la paix. Et on veut pouvoir travailler dans la dignité. »