« After Blue (Paradis sale) », western d’un nouveau genre

« After Blue (Paradis sale) », western d’un nouveau genre

« After Blue (Paradis sale) », western d’un nouveau genre

« After Blue (Paradis sale) », western d’un nouveau genre

Au cinéma le 16 février 2022

Dans un futur lointain, sur une planète sauvage. Roxy, une adolescente solitaire, est condamnée à traquer une meurtrière qu'elle a libérée. Dans un monde débarrassé du patriarcat, ce western cosmique emprunte le chemin tortueux d'une quête initiatique pour l'adolescente. Trip sensiblement coloré à l'ambiance sonore envoûtante, After Blue (Paradis sale) devrait faire vibrer les plus fidèles adeptes du style baroque de Bertrand Mandico mais les autres risquent de s'enfoncer profondément dans ses énigmes sablonneuses.

Fuyant une Terre ravagée, des humains ont trouvé refuge sur After Blue, une planète sauvage où seules les femmes survivent. Roxy (Paula Luna), une adolescente marginale, découvre une femme (Agata Buzek) ensevelie dans le sable. La femme mystérieuse lui promet d’exaucer ses souhaits si Roxy la délivre. Mais, à peine libérée, la criminelle qui revendique le nom de Kate Bush sème la mort.

Tenues pour responsables, Roxy et sa mère Zora (Elina Löwensohn) sont bannies de leur communauté et forcées à traquer la meurtrière. Leur quête pour retrouver Kate Bush les mènent à travers les paysages surnaturels de cette planète si particulière, leur paradis sale…

After Blue (Paradis sale) © UFO Distribution

Vers l’infini, et au-delà

À l’origine, le projet de Bertrand Mandico devait être un western très classique. Imaginé il y a près de 20 ans, ce projet jamais tourné devait notamment réunir Katerina Golubeva, Guillaume Depardieu et Maurice Garrel. Les protagonistes disparus, le projet a muté pour finalement épouser les obsessions actuelles du cinéaste.

De traditionnel, ce western initiatique a muté pour devenir une œuvre de pure fantasy. En délocalisant son film sur une planète de secours, Bertrand Mandico l’inscrit dans une science-fiction qu’il a notamment convoquée dans le court métrage Ultra pulpe (2018). Dans ce film qui se déroule sur le plateau de tournage d’un film de fantasy, le terme « paradis sale » est d’ailleurs évoqué et certaines thématiques relient les deux œuvres.

Autre bouleversement du scénario original, et pas des moindres,  les genres des rôles ont été inversés. Les rôles masculins sont tous devenus féminins. Et le seul rôle féminin transformé en un androïde-polymorphe. Dans le monde idéal selon Mandico, le genre n’est jamais totalement figé.

After Blue (Paradis sale) © UFO Distribution

Les maux bleus

Signe – de la fin – des temps, le projet a également intégré l’effondrement écologique en cours. L’action se déroule sur After Blue – littéralement après la planète bleue – car une catastrophe a rendu la Terre malade et pourrie. S’il est évoqué, l’élément déclencheur d’un tel exil n’est jamais clairement explicité pour éviter, selon le cinéaste, de dater le film.

Une partie de l’humanité est donc parvenue sur After Blue mais un virus local a rapidement éradiqué de sa surface les humains nés hommes. Seules les « porteuses d’ovaires », désormais pourvues de long poils dans le cou, ont été épargnées.

After Blue (Paradis sale) reprend à son compte la mythologie des terres vierges du western à conquérir. Mais, sur cette étrange planète, ce nouveau départ porte le poids d’un échec amer, celui de ne pas avoir su préserver la Terre. Les humains ont été déracinés mais leur nouveau monde a naturellement éradiqué le patriarcat. Une option radicale mais logique car, dans l’œuvre de Mandico, les femmes sont omniprésentes.

After Blue (Paradis sale) © UFO Distribution

Drôles de genres

Second long métrage du cinéaste après Les Garçons sauvages (2017), récit se jouant habilement de la masculinité, After Blue (Paradis sale) s’inscrit dans la lignée d’un mélange des genres à tous niveaux. Pour ce western cosmique, Bertrand Mandico revendique notamment l’univers onirique de Jean Cocteau. La voix off (Natalie Richard) qui interroge Roxy pendant son périple est d’ailleurs directement inspirée par la voix de Cocteau dans Orphée (1950).

Bertrand Mandico revendique un style résolument libre qu’il nomme « entertainment expérimental ». Une reprise du terme anglais pour mieux s’opposer à l’imaginaire formaté des grands studios. Son univers déroutant prêche ainsi le faux pour dire le vrai. Ou du moins un simulacre de vérité.

À l’instar de son film précédent, After Blue (Paradis sale) vient de nouveau bousculer les genres. Si la domination entre tribus et individus est toujours bien présente sur cette planète, elle n’est plus patriarcale. Bon débarras ! After Blue rejoint, du moins sur cet aspect, le monde d’une fluidité absolue idéalisé par le cinéaste. Un bouleversement des genres qui lui permet de donner des rôles forts à ses actrices.
After Blue (Paradis sale) © UFO Distribution

La couleur des sentiments

Synesthète, Bertrand Mandico propose un monde naturellement très coloré. Son nouveau film confirme la règle d’un univers où les couleurs ont un sens en soi pour qui veut bien le percevoir. En observant bien, on remarque d’ailleurs que dans cet univers déroutant, rien n’est jamais figé.

Ainsi le pull de Zora change de couleur selon les scènes. Il s’adapte aux différents décors. Cinéma du ressenti, l’œuvre de Mandico incarne les sentiments de ses personnages à travers ces effets étranges, souvent déroutants, et n’hésite pas à déconstruire par ailleurs les repères habituels.

After Blue (Paradis sale) © UFO Distribution

Réincarner

Parmi ses méthodes déstabilisantes, le cinéaste propose un son expressionniste. Il n’hésite pas à réenregistrer ses actrices en studio pour pouvoir spatialiser le son. Et peu importe si le son ne colle plus exactement à l’attitude du corps à l’image. La respiration volontairement exagérée des actrices est également intégrée dans ce maelstrom auditif.

Des bruitages organiques ou encore des sons buccaux détournés viennent s’ajouter à des doublages étonnants comme ceux des chevaux ou autres créatures peuplant l’étrange planète. Un environnement sonore lié par les compositions planantes originales de Pierre Desprats qui rythment le périple. Sur le fond et la forme, l’univers de After Blue (Paradis sale) est pensé pour bousculer les repères.

Pourtant, le cinéaste souhaite un certain réalisme pour son univers fantastique. Il bannit ainsi les fonds verts et les effets de post production. Pour plonger ses actrices dans l’univers sauvage et mystérieux de la planète, Bertrand Mandico utilise la rétro projection directe numérique. Une technique qui permet d’être dans un monde concret, bien que surnaturel. Là encore, un mélange des genres assumé.

After Blue (Paradis sale) © UFO Distribution

À la longue

Volontairement déroutant, ce western fantasy qui se déroule dans un futur non daté s’amuse avec des références provenant d’un passé terrien lointain. Alors que les hommes restés sur Terre servent de reproducteurs à l’occasion, certains termes ressurgissent. Des vestiges d’un monde désormais moribond, réaffectés à cette nouvelle vie.

Parmi ces références amusantes à la pop culture, le nom de la criminelle, Kate Bush, et celui de Roxy, emprunté au groupe Roxy Music. Vimala Pons incarne elle une femme forte nommée Sternberg, clin d’œil à Jacques Sternberg, auteur de science-fiction. Dans ce nouveau monde, les objets ont également perdu leur signification initiale. Gucci devient ainsi une marque de pistolet à silex, signe que les choses ont dû mal tourner sur Terre.

After Blue (Paradis sale) © UFO Distribution

Ces clins d’œil viennent ponctuellement raviver un intérêt pour une quête qui s’étire en longueur. Alors que l’adolescente passe par les phases initiatiques du désir, du regret ou encore de l’empathie, sa destination finale reste incertaine. Avec ce western de l’espace décrit comme un anti « revenge movie », Mandico prend son temps et par conséquent le risque de dissiper l’intérêt pour un propos nébuleux.

Monde à la fluidité assumée, After Blue (Paradis sale) charme par sa liberté qui bouscule jusque dans les infimes détails sonores et visuels nos habitudes de spectateur.trice. Pour ce qui est du fond, il semble s’être égaré en chemin dans ces paysages mystérieux aux couleurs enivrantes. Ce western cosmique gagnera peut-être à être revisité à l’aune de la trilogie annoncée par le cinéaste. Les Garçons sauvages étant le Paradis, ce film le Purgatoire et le prochain Conann – transposition féminine du viril héros -, l’Enfer.

> After Blue (Paradis sale), réalisé par Bertrand Mandico, France, 2021 (2h07)

After Blue (Paradis sale)

Date de sortie
16 février 2022
Durée
2h07
Réalisé par
Bertrand Mandico
Avec
Elina Löwensohn, Paula Luna, Vimala Pons, Agata Buzek
Pays
France