« Adieu les cons », le misanthrope imaginaire

« Adieu les cons », le misanthrope imaginaire

« Adieu les cons », le misanthrope imaginaire

« Adieu les cons », le misanthrope imaginaire

Au cinéma le 21 octobre 2020

Gravement malade, Suze Trappet, 43 ans, décide de partir à la recherche de l'enfant qu'elle a été forcée d'abandonner quand elle était adolescente. Par un concours de circonstances farfelues, elle est soutenue dans sa quête par JB, un quinquagénaire dépressif, et M. Blin, un archiviste aveugle très enthousiaste. Drame pudiquement burlesque, Adieu les cons entremêle avec maestria le rire et l'émotion dans ce périple improbable qui s'avère, malgré son titre, foncièrement humaniste.

Dans le cabinet de son médecin, Suze Trappet (Virginie Elfira), coiffeuse de 43 ans, trouve la radiographie affichée sur l’écran du praticien plutôt jolie avec ses couleurs attrayantes. Les nouvelles sont pourtant très mauvaises : Suze possède un système immunitaire défaillant. Perturbé par les produits contenus dans les laques qu’elle utilise dans son salon, il s’attaque à ses poumons.

À bout de souffle, la coiffeuse condamnée décide de retrouver l’enfant que ses parents l’ont obligée à faire adopter lorsqu’elle avait 15 ans. Sa quête administrative lui fait croiser JB (Albert Dupontel), un informaticien quinquagénaire spécialisé en sécurité informatique en plein burn out. Sa tentative de suicide lamentablement ratée le lie bien malgré lui avec Suze.

Par une suite invraisemblable d’évènements, JB et Suze se retrouvent avec la police à leurs trousses. Dans leur périple, ils croisent M. Blin (Nicolas Marié), un archiviste aveugle, un soutien incongru mais très motivé pour réunir Suze et son enfant.

Adieu les cons © 2020 STADENN PROD / MANCHESTER FILMS / GAUMONT / FRANCE 2 CINÉMA

To be or not to be

Sans femme ni enfant, JB n’a plus vraiment de raison de vivre après qu’un projet qui lui tenait à cœur lui ait été retiré pour être confié à une équipe plus jeune. En toute logique, le responsable en sécurité informatique décide de se suicider symboliquement sur son lieu de travail.

À l’inverse, Suze devrait avoir la vie devant elle. Mais il ne lui reste que très peu de temps qu’elle décide de consacrer à la recherche de son enfant abandonné 28 ans plus tôt. Adieu les cons tient en grande partie sur cette dynamique entre deux opposés. D’un côté, le dépressif qui ne veut plus vivre et, de l’autre, cette femme à qui on ne laisse pas le choix. Son échappatoire : s’assurer que cet enfant perdu mène une belle vie et se projeter dans son existence avant de disparaître.

Ce mariage forcé de la carpe pleine d’espoir et du lapin dépressif fonctionne étonnamment bien. La tension construite autour de cette opposition face à la vie, cruellement refusée à l’une et sciemment rejetée par l’autre, entraîne le spectateur dans une spirale qui renvoie au second plan la crédibilité des situations.

Adieu les cons © 2020 STADENN PROD / MANCHESTER FILMS / GAUMONT / FRANCE 2 CINÉMA

Poétique de l’improbable

Albert Dupontel ne laisse aucun répit à ses personnages — et au spectateur — dans cette quête qui devrait être perdue d’avance. Avec son ordinateur qui semble posséder des pouvoirs magiques, JB réussit à trouver miraculeusement une piste inaccessible jusque là pour Suze. Ensuite, tout s’enchaîne rapidement, toujours grâce à cet outil informatique qui semble remonter le temps.

Plus l’aventure avance, plus l’enchaînement des évènements paraît improbable mais cela n’a après tout aucune importance. L’univers de Dupontel est peuplé de personnages fêlés, terriblement attachants, qui détournent habilement notre attention de toute notion de probabilité. Dans la réalité, Adieu les cons serait un court métrage dramatique dans lequel Suze meurt sans avoir accès à aucune information sur le devenir de son enfant.

Heureusement pour elle (et pour nous), l’univers créé par Albert Dupontel est à la marge de notre réalité. Le cinéaste assume d’ailleurs une partie du film tourné sur fond vert avec une ville fantasmée toute numérique. Légèrement surréaliste, ce monde possède le décalage nécessaire pour qu’on reconnaisse les failles de notre société tout en mettant en scène sa folie. Seul moyen de s’en échapper.

Adieu les cons © 2020 STADENN PROD / MANCHESTER FILMS / GAUMONT / FRANCE 2 CINÉMA

Hommage pythonesque

Albert Dupontel ne s’en cache pas, ce périple fantasque s’inspire de Brazil (1985) de Terry Gilliam. Film culte qui rappelle la menace anxiogène car indéfinie décrite par Kafka dans Le Procès. Terry Gilliam fait d’ailleurs une apparition amicale dans le film où les noms de certains personnages sont des clins d’œil aux protagonistes du film Brazil. Autre référence à la célèbre troupe des Monty Python, Albert Dupontel dédie son film à Terry Jones disparu au début de l’année 2020.

Si la dystopie de Gilliam semblait alerter d’un futur potentiel, Adieu les cons, par un effet de miroir, suggère que la prophétie s’est réalisée, du moins en partie. Citoyens connectés devant leur écrans et perdus dans les méandres de l’administration, la société déconnectée humainement connaît son heure de gloire.

Adieu les cons © 2020 STADENN PROD / MANCHESTER FILMS / GAUMONT / FRANCE 2 CINÉMA

L’oubli adroit

Une nostalgie douce-amère plane sur le nouveau film du réalisateur de Au revoir là-haut (2017) — lire notre chronique. Forcée à admettre une fin aussi tragique qu’injuste, Suze renoue avec l’adolescente qu’elle était. Elle est ainsi renvoyée à une identité qui semble par ailleurs contestée par la société. Lorsque le médecin de Suze ou le patron de JB écorchent leurs noms de famille, l’effet n’est pas seulement comique.

Dans l’univers de Dupontel, l’individu est nié et cette identité malmenée entraîne une révolte, forcément jouissive pour le spectateur. Symbole bien malgré lui de cette identité refusée, le médecin qui a accouché Suze désormais atteint d’Alzheimer. Incarné avec une justesse et une retenue bouleversante par Jackie Berroyer, le médecin évoque à son corps défendant ce passé disparu à jamais vers lequel Suze se précipite, en même temps que sa propre fin.

La quête de Suze met en lumière les changements survenus en près de trois décennies dans la société : la métamorphose des villes en espaces sans âme, la montée d’un climat de violence ou encore la froideur d’institutions déshumanisées. Cependant, la persévérance de la coiffeuse condamnée pour retrouver son enfant s’inscrit à contre-courant de ce constat amer. Sa démarche s’inscrit dans une volonté de souvenir : elle veut prouver qu’elle n’a jamais oublié. Cette nostalgie tardive est particulièrement touchante.

Adieu les cons © 2020 STADENN PROD / MANCHESTER FILMS / GAUMONT / FRANCE 2 CINÉMA

L’injuste milieu

Sans surprise, Adieu les cons s’inscrit dans l’univers loufoque mais engagé du cinéaste. Des violences policières au sentiment de déclassement, le drame burlesque proposé par Albert Dupontel brasse des thématiques très actuelles. Et pourtant son scénario a été écrit il y a deux ans. Le cinéaste possède-t-il des dons divinatoires ?

Albert Dupontel plaide plus humblement et logiquement pour une bonne mémoire et le fait que l’histoire ne ferait que se répéter. Des sketchs trashs de ses débuts, l’ancien humoriste a gardé un mordant toujours efficace sous un rire parfois clownesque.

Son humour s’est adouci avec le temps mais il frappe toujours juste : ce qu’il a perdu en provocation il l’a gagné en efficacité poétique. Avec toujours ce même point commun : cette injustice qui lui est toujours aussi intolérable.

Adieu les cons © 2020 STADENN PROD / MANCHESTER FILMS / GAUMONT / FRANCE 2 CINÉMA

Barrez-vous, cons de mimes !

Adieu les cons ! Ce cri du cœur, entre rage et désespoir, JB le déclame avant de presser la gâchette d’un fusil qui, lui aussi, le laisse tomber. Ce suicide raté est à l’image de cette année 2020 où décidément rien ne va. Une pandémie et des cons partout qui courent les rues sans masque ou avec des couteaux. Le titre du film est un écho parfait à cette annus horribilis.

Dépressif et suicidaire, JB est a priori une aide bancale pour Suze. Et pourtant, son mal-être rassure sur sa part d’humanité qui semble avoir quitté une administration incapable de répondre à la souffrance de Suze. Paradoxalement, son désespoir est réconfortant.

Dans un échange révélateur, JB plaide sa cause auprès de Suze en reconnaissant avoir craqué lorsqu’il a tenté de ce suicider. Tout le monde craque, non ? Mais il l’assure : il n’est pas fou ! Juste un peu trop émotif. Tout est dit.

Le cinéma de Dupontel touche car il façonne un monde décalé, légèrement improbable, qui permet aux émotifs de tenter leur chance. Pour Suze, il s’agit de réaliser l’impossible : remonter le temps pour retrouver son enfant né sous X. Pour JB, c’est l’occasion de vivre une vraie aventure. Un périple fou qui procure, enfin, des sensations et donne l’impression d’être vivant et utile.

Adieu les cons © 2020 STADENN PROD / MANCHESTER FILMS / GAUMONT / FRANCE 2 CINÉMA

Mauvaise vie

Malgré son titre provocateur, Adieu les cons n’est pas une œuvre misanthrope. Le film déborde au contraire d’un humanisme chaleureux. Albert Dupontel se méfie autant de la société qu’il célèbre les individus en marge, ceux qui n’ont a priori aucune chance de s’en sortir. Le réalisateur enveloppe leur drame dans un absurde risible, seul moyen de les sauver.

Au-delà de son aspect nostalgique, le titre Mala Vida de la Mano Negra symbolise parfaitement cette dualité propre au film. Quelques heures avant de concevoir cet enfant qu’elle n’élèvera pas, Suze danse sur ce titre avec son amoureux. La fête adolescente insouciante avant la douleur de l’abandon.

Dans Mala Vida, Manu Chao dévoile un amour contrarié sur une musique festive. Le contraste de la chanson est un écho parfait à ce film qui ridiculise le désespoir et s’amuse de la tristesse sans jamais dénaturer leur nature profonde.

Il faudrait rire d’un malheur plutôt que d’en pleurer. Mais pourquoi choisir ? Tragédie burlesque assumée, Adieu les cons fusionne avec grâce le rire et l’émotion au fil d’un périple aussi attachant qu’improbable. Une quête a priori impossible qui trouve son parfait dénouement dans une conclusion tendrement ambigüe.

> Adieu les cons, réalisé par Albert Dupontel, France, 2020 (1h27)

 

Adieu les cons

Date de sortie
21 octobre 2020
Durée
1h27
Réalisé par
Albert Dupontel
Avec
Virginie Efira, Albert Dupontel, Nicolas Marié, Terry Gilliam, Grégoire Ludig, David Marsais, Michel Vuillermoz, Kyan Khojandi
Pays
France