« A Man », kaléidoscope d’identités

« A Man », kaléidoscope d’identités

« A Man », kaléidoscope d’identités

« A Man », kaléidoscope d’identités

Au cinéma le 31 janvier 2024

Lorsque son mari décède, Rie découvre qu'il n'est pas celui qu'il prétendait être. Elle décide d'engager un avocat pour dévoiler le mystère de sa véritable identité. Enquête kaléidoscopique tiraillée entre le passé et le présent, A Man jongle avec les identités entre fuite et réincarnation. Un labyrinthe dont les circonvolutions - un peu trop ? - tortueuses louent une identité morcelée pour échapper à une société qui manque de sens.

À la mort accidentelle de son deuxième mari, Rie (Sakura Ando) découvre que celui qu’elle aimait usurpait l’identité d’un autre. Si son compagnon (Masataka Kubota) n’était pas Daisuke Taniguchi comme il le prétendait, qui était-il ? Et où se trouve le véritable Daisuke dont ses proches n’ont plus de nouvelles ?

Pour résoudre ce mystère, Rie fait appel à l’avocat Akira Kido (Satoshi Tsumabuki) qui se lance dans une enquête pleine de rebondissements, quitte à se perdre dans les méandres d’identités mouvantes.

A Man © photo 2022 « A Man » Film Partners - Art House Films

Un homme disparaît

Œuvre multi-facettes, A Man débute comme une romance lorsqu’un homme discret vient acheter des fournitures à dessin dans le magasin de Rie. Au fil des visites, Rie, interprétée par Sakura Ando – vue notamment dans Une affaire de famille (2018) de Hirokazu Kore-eda – lire notre critique -, est intriguée par ce personnage à la timidité touchante. Lorsque Rie épouse Daisuke en secondes noces, ce dernier devient comme un père pour son fils.

La charmante histoire pourrait s’arrêter là mais Daisuke meurt subitement. Lors de ses funérailles, celui qui est supposé être le frère de Daisuke ne le reconnaît pas sur la photo de l’autel. Le véritable Daisuke s’est en réalité volatilisé depuis des années. Le mari de Rie devient subitement un étranger qui a usurpé son identité. Ainsi débute la quête de vérité d’un avocat que Rie charge de démêler cette affaire intrigante.

A Man est l’adaptation du roman éponyme de Keiichiro Hirano ayant rapporté le prix Yomiuri en 2018 – l’équivalent du Goncourt japonais. Cette enquête aux ramifications complexes a triomphé lors des Japan Academy Prize en 2023 en remportant huit récompenses succédant à Drive My Car (2021) de Ryusuke Hamaguchi. Un succès qui marque l’attrait de la société japonaise pour la thématique de l’identité manipulée par Kei Ishikawa dans son film.

A Man © photo 2022 « A Man » Film Partners - Art House Films

Amour perdu

Telle une pieuvre, A Man étend et enlace ses tentacules autour des différentes facettes de l’identité pour interroger ce qui fait ce que nous sommes. L’enquête menée par l’avocat Akira est parcourue par l’idée d’une identité difficilement saisissable. Mensonges, apparences et faux semblants ne cessent de brouiller les pistes.

La quête d’Akira est double : comprendre qui était « X », l’homme qui a épousé Rie, et retrouver le véritable Daisuke Taniguchi. Pour Rie, l’enquête confiée à son avocat dépasse la simple curiosité par son aspect sentimental. Qui était ce mari dont elle ne sait finalement rien ? Méritait-t-il son amour ? En fouillant dans le passé, Rie remet en cause ses sentiments à l’aune d’un passé potentiellement obscur. Ce qu’elle va apprendre peut-il changer ses sentiments à l’égard de celui qu’elle a aimé ? Le fantôme d’une existence passée peut-il tout gâcher ?

Cette confrontation entre les sentiments et un passé inconnu offre au film son premier vertige. Cette sensation obsédante d’avoir offert son amour à la mauvaise personne est le point de départ de cette enquête qui va s’enfoncer profondément dans les méandres d’identités difficiles à cerner.

A Man © photo 2022 « A Man » Film Partners - Art House Films

Identités insaisissables

Avec ses flashbacks, A Man joue pleinement la carte du labyrinthe dans lequel le cinéaste se plaît à perdre le jeune avocat et les spectateurs à ses côtés. De fausses pistes en voies sans issue, l’enquête emprunte des chemins tortueux et semble toujours un peu en retard sur une vérité qui s’échappe. La structure narrative complexe enchaîne les scènes déconnectées les unes des autres pour renforcer ce sentiment de grande confusion.

Akira rassemble les pièces éparses d’un puzzle qui ont bien du mal à s’associer. Et le labyrinthe menace sans cesse de s’écrouler. Mais cette complexité n’est pas pour autant synonyme de temps perdu. Si elle peut être frustrante, cette quête des origines dévie progressivement vers une réflexion plus profonde. Alors qu’il découvre les liens obscurs entre « X » et le véritable Daisuke, l’avocat est peu à peu absorbé par l’idée de disparaître pour se réinventer.

Derrière ces identités multiples, une réflexion sur la société japonaise s’immisce subtilement au cœur de l’enquête. Le casse-tête identitaire auquel est confronté Akira s’avère en réalité la critique d’une société corsetée. Ainsi Rie, mère célibataire qui se remarie, est un premier symbole de ce nouveau départ dont l’idée plane sur le film. De son côté, Akira, d’origine coréenne, est confronté à cette part de son identité qu’il a gommé pour mieux s’intégrer.

A Man © photo 2022 « A Man » Film Partners - Art House Films

Changer de peau

Cette pulsion qui pousse à changer d’identité est symbolisée par le tableau Reproduction interdite de Magritte devant lequel se tient Akira au début du film. Sur cette peinture, un homme de dos est face à un miroir. Au lieu de s’y refléter de face, le miroir le montre de dos. Ce reflet qui défie la logique fait écho à la notion de double identité partagée par « X » et Daisuke Taniguchi.

Tous deux ont fait le choix de changer de peau, d’incarner une autre possibilité. Et cette tentation d’un renouveau trouble le jeune avocat. Car derrière cette enquête sous forme de thriller, Kei Ishikawa évoque le rapport selon lui trop étouffant de la société nippone qui étouffe l’individu. Chaque année, environ 80 000 japonais disparaissent. Combien parmi eux ont suivi les pas de nos deux fuyards ?

Au fil de l’enquête, Akira plonge dans cette question existentielle d’une identité à redéfinir. Selon le cinéaste, les gens fuient un rapport à la société devenu trop étriqué. Ils se réinventent pour être plus libres, en périphérie d’une communauté qui n’a plus de sens. Ainsi la fuite dans A Man, au-delà du thriller, est moins un aveu de culpabilité qu’une seconde chance que l’on se donne pour se réinventer.

A Man © photo 2022 « A Man » Film Partners - Art House Films

Enquête vertigineuse, A Man assume la forme labyrinthique pour mettre en avant l’attirante promesse de tout recommencer dans une société qui n’a plus de projet commun à offrir à ses citoyens. Si la complexité du chemin peut être déroutante, l’ivresse d’une réincarnation fait son effet.

> A Man (Aru otoko), réalisé par Kei Ishikawa, Japon, 2022 (2h01)

A Man (Aru otoko)

Date de sortie
31 janvier 2024
Durée
2h01
Réalisé par
Kei Ishikawa
Avec
Masataka Kubota, Sakura Ando, Satoshi Tsumabuki
Pays
Japon