Shakespeare and Company, librairie refuge

Shakespeare and Company, librairie refuge

Shakespeare and Company, librairie refuge

Shakespeare and Company, librairie refuge

21 mars 2012

Depuis 1951, la légendaire librairie anglophone de la rive gauche attire touristes, lecteurs lambda et passionnés d'ouvrages rares. Un lieu mythique qui a vu défiler les écrivains de la beat génération, grâce au travail acharné de son fondateur, le non-conformiste George Whitman. Aujourd'hui encore, le charme et la magie agissent sur tous les visiteurs.

Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - Sylvia Whitman, à gauche, et Jemma Birrell. | Photo Anthony Renaud
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - Un classique d'Ernest Hemingway. | Photo Anthony Renaud
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - Le coin des raretés et premières éditions. | Photo Anthony Renaud
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - Sylvia Whitman, gérante depuis 2006. | Photo Anthony Renaud
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - Ne soyez pas inhospitalier envers les étrangers, ce sont peut-être des anges déguisés. | Photo A. Renaud
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - La machine à écrire, installée face à la Seine. | Photo Anthony Renaud
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - Des banquettes. | Photo Anthony Renaud
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Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - A l'étage, une bibliothèque, rien n'est à vendre. | Photo Anthony Renaud
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - Des étagères, souvent surchargées... | Photo Anthony Renaud
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - Un message pour les futurs visiteurs ? | Photo Anthony Renaud
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge
Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - L'une des fameuses machines à écrire. | Photo Anthony Renaud
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Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - Des étagères tentaculaires, des découvertes inattendues. | Photo Anthony Renaud
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Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - Un refuge aussi pour les étudiants... | Photo Anthony Renaud
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Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - ... qui peuvent s'installer au piano. | Photo Anthony Renaud
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Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - Des centaines de messages laissés par les touristes, les voyageurs, les écrivains. | Photo Anthony Renaud
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Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - L'escalier menant au premier étage. | Photo Anthony Renaud
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Diaporama Shakespeare and Company, librairie refuge - Un lieu authentique. | Photo Anthony Renaud
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Deux entrées, deux univers, une même librairie. A gauche, les livres anciens. Des classiques, en version rare. A droite, l’entrée la plus fréquentée, un lieu qui rassemble des ouvrages plus communs et un peu plus récents. Nous sommes au 37 rue Bûcherie, à quelques mètres de la cathédrale Notre-Dame, dans le Ve arrondissement, à Paris. Devant une librairie authentique, Shakespeare and Company, spécialisée dans la littérature anglophone. La boutique est une valeur sûre pour les lecteurs exigeants et un passage conseillé par les guides pour les touristes. Derrière les vieilles portes en bois aux poignées bringuebalantes, plus de 40 000 ouvrages neufs, 5 000 premières éditions et de (très) nombreux livres de poches d’occasion.

La maîtresse des lieux, Sylvia Whitman, veille aujourd’hui sur les ouvrages anciens, telle une antiquaire qui prendrait soin de ses objets d’art dans l’attente de trouver preneur. Les mains et l’esprit occupés par le tri de vieilles photos en noir et blanc – de futures cartes postales – elle s’arrête de temps en temps pour répondre aux interrogations des lecteurs. Curieux, passionnés, avisés et charmés autant par l’endroit que par les ouvrages proposés. Ici, The Old man and the sea d’Ernest Hemingway, une version illustrée de 1953, côtoie d’antiques éditions d’Anti-memoirs de Malraux ou d’Ada or Ardor de Nabokov. Illuminés par un lustre d’un autre temps. « De plus en plus de clients sont intéressés par le fait de posséder, ou d’offrir, leur roman préféré dans une édition très spéciale, belle, originale, pour construire une collection. Ou même d’avoir des premières éditions. Au-delà du contenu, c’est l’objet, le livre relié qui est intéressant. »

Le refuge des écrivains voyageurs… et rêveurs

Cette librairie atypique du quartier latin est une institution. Et Sylvia Whitman, la fille de l’homme excentrique (décédé en décembre 2011) qui a mis sur pied cette légendaire boutique parisienne. Shakespeare and Company a ouvert en 1951 – en fait, sous le nom Le Mistral. George Whitman, le fondateur américain, originaire de Boston, l’a créée de toute pièce, étagère (bancale) par étagère. Arrivé en France juste après la guerre, il décide de poursuivre le concept d’une librairie, celle de l’Américaine Sylvia Beach, appelée Shakespeare and Company et installée dans le quartier de l’Odéon. Un lieu célèbre dans les années 20 et 30 qui a vu défiler les écrivains de la « génération perdue« , tels que Francis Scott Fitzgerald et Ernest Hemingway.

En 1941, Sylvia Beach a dû fermer boutique. Après avoir obtenu l’accord de reprendre ce nom – Shakespeare and Company – George Whitman bâtit tranquillement un lieu qui va devenir mythique. Un centre littéraire et culturel. « Après la génération perdue chez Sylvia Beach, mon père a accueilli la beat génération, avec Allen Ginsberg, William S. Burroughs et Jack Kerouac », souffle Sylvia qui travaille à la librairie depuis 2001, mais tient les rênes en solo depuis 2006.

Le coin des raretés et premières éditions. | Photo Anthony Renaud

Depuis 1951, la philosophie est la même. Le lieu repose sur deux aspects : tout le premier étage est réservé à la lecture, une sorte de bibliothèque à l’allure vétuste mais aux ressources inépuisables. Là-haut, rien n’est à vendre. Deuxième spécificité qui dure depuis plus de soixante ans : chaque soir, la librairie accueille des écrivains, de passage dans la capitale, ayant besoin d’un toit pour dormir. Shakespeare and Company est connu pour servir de refuge aux voyageurs rêveurs. En ce moment, trois écrivains passent leur nuit entre les livres. Pour eux, cela fait quatre mois que ça dure. Ici, l’hospitalité, c’est sacré. « A l’époque, mon père, qui ne disait jamais « non », pouvait se retrouver avec quinze écrivains à la librairie, pour dormir. C’était l’enfer. Il y avait des corps partout », se souvient Sylvia.

Pour l’écrivain en mal de toit, le deal est simple : en échange de l’hébergement, il participe à l’ouverture et à la fermeture de la librairie, et donne une ou deux heures de son temps pour aider le client à chercher des livres. Dernière contrepartie, écrire une page de sa vie. « C’est un petit projet pour les lancer dans l’écriture », selon Sylvia. « Tous les écrivains du monde passent par Paris. Il y a toujours ce côté romantique qui plaît aux Anglo-Saxons », précise Jemma, Australienne, salariée de la librairie depuis six ans.

« Il y a toujours un coin caché quelque part… »

Shakespeare and Company, c’est un lieu où se croisent des touristes – venus visiter Notre-Dame et le quartier Saint-Michel – des Parisiens, des expatriés, des étudiants. Tous auront de quoi se mettre sous la dent dans cet endroit charmant et secret qui offre un style, une ambiance hors du commun. Sur des dizaines de mètres carrés, malgré l’étroitesse de ce labyrinthe, le long de chaque mur sont empilées des centaines de livres. Les étagères, souvent surchargées, penchent mais tiennent le coup.

A Shakespeare and Company, au milieu des vieilles affiches, des gravures et des photos écornées, tâchées, déchirées des invités de George Whitman, il faut fouiller. Se servir des échelles en bois pour débusquer la perle rare, en édition unique mais aussi les nouveautés de Paul Auster ou Philip Roth. Ce n’est pas vraiment le foutoir, mais chaque approche vers les étagères tentaculaires peut se solder par une découverte. « Ici, tu trouves les livres que tu cherches mais aussi des choses qui ne sont pas forcément attendues. Il ya toujours un coin caché quelque part… », révèle Jemma, habituée des lieux.

Au premier étage, après avoir affronté l’escalier en bois, apparaissent le coin pour enfants et l’espace idéal pour entamer une lecture, position couchée… ou pour faire une petite sieste. Des coins douillets, des fauteuils de velours et des banquettes habilement disposées pour permettre de s’installer. Pour faire une pause. En se plongeant dans l’œuvre d’Anaïs Nin (elle fut l’un des nombreux invités de George Whitman), l’énorme biographie de George V ou les recueils de poésie. Le va-et-vient des clients est permanent mais une atmosphère paisible s’en dégage malgré tout.

Un refuge aussi pour les étudiants... | Photo Anthony Renaud

On s’y sent bien. On peut même se prendre pour un écrivain grâce à la vieille mais robuste machine à écrire, installée sur un bureau face à la Seine. Ici, on murmure. Dans toutes les langues, même si l’anglais est largement majoritaire. Les poutres en chêne au milieu des allées ajoutent une sensation de hauteur. En s’approchant d’un recoin, le son du piano – en libre accès – se fait plus fort. Guillaume, étudiant en sciences, est concentré. Il défie aux échecs Cristina, étudiante mexicaine en français, sur la petite table ronde. S’y installe qui veut. « Cela fait un mois que nous avons découvert cet endroit. Depuis, nous venons souvent. C’est vraiment plaisant, souligne le jeune homme en ouvrant grand les yeux sur ce qui l’entoure. Tous ces livres… »

Un lieu de rencontres pour partager ses découvertes

Dans cet ancien monastère du XVIIe siècle règne encore une atmosphère de sérénité. Malgré un mobilier et des rayonnages qui peuvent sembler désuets et fouillis, à Shakespeare and Company, rien n’est laissé au hasard. L’esthétique est soignée. La volonté, c’est de mettre en avant le livre, l’objet et de permettre aux visiteurs d’en discuter entre eux. Pour partager leurs découvertes et leurs interrogations. « Un petit monde magique qui pourrait être dans un conte de fée, rêve Sylvia, la trentenaire. Cette librairie a une âme, une vraie personnalité. C’est aussi un lieu de rencontres. Pour moi, c’est symbolique de tout ce qu’on ne trouve pas sur les livres électroniques. Ici, on peut s’appuyer sur une forte communauté de lecteurs. »

Malgré les apparences, n’allez pas croire que l’équipe dévouée et cosmopolite de S. and Co baigne dans le passé, la nostalgie. Ils ont tous entre 24 et 35 ans. Viennent de Toronto, Vancouver, Londres. Ici, on ne vénère pas le vieux avec des œillères mais on vit avec son temps. Respectueux et amoureux du lieu, ils assurent une présence sur Facebook et Twitter. Avec respectivement 9 800 fans et 3 800 abonnés à travers le monde… « J’essaie de trouver le juste équilibre entre les changements qu’il faut faire pour être à jour, face à la concurrence sur internet, avec en même temps, la volonté de ne pas trop changer. Pour garder cet esprit si particulier qu’on trouve ici. Cette forme de communication sur Facebook, par exemple, c’est assez naturel puisque l’équipe est très jeune. »

L'une des fameuses machines à écrire. | Photo Anthony Renaud

Si la librairie a souffert d’un essoufflement au début des années 2000, Sylvia Whitman a voulu démontrer, dès son arrivée pour épauler son père fatigué, qu’il y avait toujours une vraie énergie. Malgré le poids des années et l’âge des murs. Shakespeare and Company surfait alors sur sa très bonne réputation dans le monde entier, mais n’innovait pas. « C’était un peu poussiéreux et triste. Mon père, âgé de 88 ans, ne pouvait plus tout gérer. Il n’y avait pas de nouveautés. Et je souhaitais aussi célébrer tout son travail. Ma première idée a donc été de créer un festival littéraire ». Lumineuse inspiration. La première édition de Festival and Co, en 2003, fut un véritable succès.

Depuis, tous les deux ans, Sylvia Whitman et son équipe offrent au public la possibilité de rencontrer Paul Auster, Jeanette Winterson, Alistair Horne, Philip Pullman ou Marjane Satrapi. Cette année pourtant, le festival fait une pause : c’est un livre sur l’histoire de la librairie qui occupe l’esprit de la fille Whitman. Un ouvrage très visuel, truffé d’archives, dont la sortie est prévue en fin d’année. Une manière de laisser une trace supplémentaire du travail acharné du non-conformiste George Whitman.