« Une famille heureuse », un appart à soi

« Une famille heureuse », un appart à soi

« Une famille heureuse », un appart à soi

« Une famille heureuse », un appart à soi

Au cinéma le

Mariée depuis 25 ans, Manana décide à 52 ans de quitter l'appartement familial pour vivre en toute indépendance provoquant la stupeur autour d'elle. Portrait de la société géorgienne, Une famille heureuse est également une réflexion touchante sur le statut de mère et sa difficile adéquation avec celui de femme.

Professeure dans un lycée de Tbilissi, Manana (Ia Shugliashvili) est mariée depuis 25 ans avec à Soso (Merab Ninidze). Ils vivent au quotidien dans un appartement qu’ils partagent avec les parents de Manana, leurs deux enfants et leur gendre. Ensemble, ils forment une famille en apparence soudée et sans histoire jusqu’au jour où Manana crée la surprise en annonçant le soir de son 52ème anniversaire sa décision de quitter le domicile conjugal pour s’installer seule. En rupture totale avec les traditions de la société géorgienne, le choix de Manana créé l’incompréhension au sein de ses proches qui lui conjurent de revenir sur sa décision.

Une famille heureuse

Mothers just wanna have fun

En s’installant seule dans un petit appartement sans donner de raison précise à son départ, la discrète Manana prend de court les membres de sa famille qui peine à savoir comment réagir à ce départ soudain. Aucun argument ne semble parvenir à faire entendre raison à la mère de famille qui a décidé de prendre ses distances avec son mari, ses parents mais également ses enfants. Une désertion salutaire pour Manana qui fait penser à l’essai Une chambre à soi de Virginia Woolf et donne au film un propos féministe, sans jamais avoir besoin de le revendiquer. En gardant floue pendant une bonne partie du film la raison réelle du départ, Une famille heureuse écarte de fait toute explication et rend paradoxalement l’exil de Manana d’autant plus significatif. Sans élément déclencheur, le départ de Manana interroge sur la lassitude de cette mère de famille qui doit au quotidien vivre au sein d’une famille rassemblée dans le même appartement. Les cinéastes dressent une analyse fine du conflit entre ses rôles d’épouse et de mère d’un côté et ses aspirations à vivre tout simplement sa vie de femme, en toute liberté.

Le film montre bien cette dualité chez Manana et comment elle est ramenée — malgré l’éloignement physique qu’elle a choisi — à son rôle de mère, notamment lorsque sa fille a besoin de son soutien. Elle lui conseille d’ailleurs de suivre son exemple et de s’affirmer en tant que femme indépendante face à ses problèmes de cœur. Libérée du quotidien, Manana peut se recentrer sur elle : elle réapprend à vivre seule et retrouve lors d’une soirée ses camarades d’enfance. Une réunion nostalgique et émouvante où la mère de famille se retrouve confrontée au temps qui passe et à son choix tardif de reprendre sa liberté. Car sa décision est évidemment commentée par tous : sa famille proche naturellement mais au-delà c’est la société géorgienne toute entière qui semble se préoccuper du sort de cette femme en quête d’indépendance.

Une famille heureuse

Liberté, société, maternité

En quittant le foyer familial, Manana laisse derrière elle une famille perplexe. Si son mari est compréhensif et semble attendre patiemment que cette folle idée lui passe, la mère de Manana, très attachée aux valeurs traditionnelles, exprime bruyamment son opposition. Et lors de conseils de famille où sont réunis des cousins et autres membres de la famille plus ou moins proches tous viennent faire la morale à la mère rebelle. Des scènes où les arguments plus ou moins sérieux fusent mais se heurtent à la détermination de Manana. Mais la contre offensive ne s’arrête pas là puisque des amis du couple viennent également s’inviter autour de la table. Tout le monde semble avoir un avis à donner sur le choix de Manana et n’hésite pas à l’exprimer, ce qui a le don d’exaspérer la mère de famille, accusée d’apporter le déshonneur sur les siens. Bien plus que son rôle de mère et d’épouse, pour ses proches c’est la question de la place de la femme dans la société géorgienne qui est remise en cause par son comportement.

Une femme, a fortiori une mère, peut-elle se permettre de vivre en toute indépendance, sans l’appui d’un homme ? Pour la société géorgienne, influencée par le poids des traditions et le discours de la religion chrétienne orthodoxe la réponse est toute trouvée. En infériorité par rapport à l’homme, une femme libre, donc seule, n’est pas protégée et s’expose à la précarité. Le patriarcat est donc une solution à un problème… qu’il a lui même créé ! La « logique » est imparable. Il serait réducteur pour autant de penser que la situation de Manana est spécifique à la Géorgie. Si la vie en communauté avec son manque d’intimité est une partie intégrante de la société géorgienne et rend la décision de Manana d’autant plus courageuse, le personnage porte en elle un message plus universel. Le combat de cette mère pour exister en tant que femme libre, sans être sans cesse ramenée à un statut d’épouse ou de mère est transposable bien au-delà des frontières géorgiennes. C’est ce qui rend l’histoire de cette professeure — sublimée par l’interprétation en état de grâce d’Ia Shugliashvili — si bouleversante : il s’agit du parcours intérieur d’une femme à la recherche d’elle-même, courant après ses années perdues.

Touchant, Une famille heureuse ne saurait se réduire à une réflexion sur le statut de la femme au sein de la société géorgienne. Le film dresse un magnifique portrait intime d’une femme en quête de liberté, interrogeant la définition même des rôles de mère et d’épouse. Forcément émouvant pour tous ceux qui ont une maman.

> Une famille heureuse (Chemi Bednieri Ojakhi), réalisé par Nana Ekvtimishvili et Simon Gross, Géorgie, 2017 (1h59)

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