«Les médecins doivent investir internet»

«Les médecins doivent investir internet»

Web

«Les médecins doivent investir internet»

Web

«Les médecins doivent investir internet»

Web

7 février 2012

La recommandation ne vient pas de n'importe qui puisque c'est le Conseil de l'Ordre des médecins en personne qui encourage les praticiens à prendre possession de la Toile. Pour accompagner et guider le patient vers des sites fiables, à un moment où la recherche d'informations médicales en ligne ne cesse de progresser.

Le Conseil de l’Ordre encourage les praticiens à renforcer leur présence sur le net. | Photo FlickR, CC, jfcherry

Les médecins ne sont pas suffisamment présents sur la Toile. C’est en tout cas l’avis du Conseil de l’Ordre des médecins qui vient de publier un livre blanc intitulé Déontologie médicale sur le web. Une publication qui encourage vivement les praticiens à investir et renforcer leur présence sur les forums, blogs et autres réseaux sociaux. Et balise cette pratique médicale sur le net dans le souci de la déontologie et de l'éthique.
Au moment où la recherche de l’information santé en ligne, par le grand public, est devenue
« un véritable phénomène de société », le Conseil de l’Ordre n'a pas voulu rester passif. Loin de dénigrer ces e-informations médicales, il incite les professionnels de santé, à défaut d'écrire eux-mêmes, à aiguiller leurs patients vers des sites de référence.
Citazine s'est entretenu avec le docteur Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins, délégué général aux technologies de l'information et de la communication (TIC) en santé. Pour lui, l'utilisation de Twitter, par exemple, est une très bonne chose pour le médecin.

Pourquoi avoir publié un livre blanc de la déontologie médicale sur le web ?

Les échanges d'informations passent déjà, et passeront de plus en plus, par le numérique. Nous avons donc dit aux médecins qu'eux aussi, pouvaient y aller, que l'Ordre n'émettait pas d'objections ou de réticences à cela. C'est une volonté résolument proactive : les médecins doivent investir le web. Mais dans le respect de règles déontologiques. Nous avons donc fait des recommandations. Il ne viendrait à l'idée d'aucun médecin de faire une observation médicale au dos d'une carte postale et de l'envoyer comme ça par La Poste. On veut rappeler que, sur Internet aussi, certaines précautions doivent être prises afin de préserver le secret médical : faire respecter et respecter les données personnelles qui nous sont confiées et qui sont couvertes par le secret.

C'est un vrai encouragement à investir le net pour les générations de médecins plus réticentes ?

Nos jeunes confrères, en particulier les jeunes étudiants en médecine, sont très largement présents sur internet. Nombreux sont ceux qui ont un profil Facebook, un fil sur Twitter, certains ont même des blogs. L'étape suivante est d'utiliser les réseaux sociaux dans l'exercice même de la profession ou pour des activités se rattachant à la profession. Peut-être qu'un certain nombre est réticent et ne veut pas être présent sur le web.
Concernant internet en général, il y a une sorte de fracture générationnelle qui se situe aux alentours de 50-55 ans. Sur le plan professionnel, les médecins qui ont plus de 55 ans ont vécu dans un modèle dans lequel le médecin donnait un diagnostic et le patient prenait son traitement. Aujourd'hui, les médecins de moins de 55 ans ont bien conscience que les patients vont sur le web soit avant, soit après une consultation.

Jacques Lucas, délégué général aux technologies de l'information et de la communication. | Photo Conseil de l’Ordre des médecins

Parmi vos préconisations, vous incitez les praticiens à utiliser les médias sociaux. Concrètement, à quoi Twitter peut être utile à un médecin ?

Sur Twitter, des médecins qui exercent de façon isolée arrivent à créer une communauté virtuelle, amicale et même complice sur des échanges, sur ce qu'il faut faire en présence de telle ou telle situation pathologique. Ce qui ne veut pas dire que le médecin qui pose cette interrogation ne sait pas ce qu'il faut faire. Mais il peut avoir besoin de conforter son avis. Il peut aussi avoir une sorte de trou de mémoire : « Est-ce que vous donnez tel médicament, dans telle situation ? » On voit qu'il y a un réseau d'entraide confraternelle qui se fait via Twitter, compte-tenu de la réactivité de ce réseau social.

Votre incitation à utiliser Twitter, c'est donc plutôt pour l'échange entre médecins ?

Pas seulement. La communauté Twitter est protéiforme. Le médecin peut très bien être présent en tant que tel sur le réseau social pour exprimer des opinions qui se rattachent à l'exercice de sa profession. Ce ne sont pas forcément des opinions thérapeutiques immédiates ou préventives. Les médecins ont le droit de dire ce qu'ils pensent de tel ou tel protocole thérapeutique. Et dans ce cas, le sujet concerne tous leurs abonnés Twitter. Par exemple, lors de la vaccination contre la grippe, les médecins ont le droit – peut-être même le devoir – de s'exprimer sur ce sujet. Le réseau social le permet, et le permet d'autant plus que le médecin peut s'abriter derrière un pseudonyme.

« Sur internet, le praticien ne doit pas rentrer dans la confidence avec un patient »

Le pseudonyme pour un médecin, c'est aussi l'une de vos recommandations. Elle peut paraître surprenante…

Nous sommes tout à fait en accord avec le pseudonyme pour les publications sur les médias sociaux. Un pseudo oui, mais seulement dans des contextes distincts du strict exercice professionnel. Il peut avoir un côté positif sur la véracité même de l'expression du médecin. Il a moins de retenue pour dire ce qu'il pense. Le pseudonyme a des avantages : comme le médecin n'est pas connu, on ne peut pas l'accuser de se faire de la réclame. Par contre, le médecin qui a une activité se rattachant à l'exercice de la profession sous un pseudo doit le déclarer auprès de l'Ordre. C'est inscrit dans le Code de la santé publique. Nous sommes en train de mettre un outil à la disposition des médecins qui leur permettra de faire enregistrer leur pseudo en ligne, l'anonymat sera strictement respecté. De cette manière, l'Ordre pourra certifier que c'est un pseudo enregistré et que sous le pseudo, il y a un médecin qui n'est pas interdit d'exercice.

Le pseudonyme pour un médecin ? Oui, pour les publications sur les médias sociaux. | Photo FlickR, CC, siu.to

Quelle est la limite pour un médecin présent sur les réseaux sociaux ?

La présence du médecin sur les réseaux sociaux, c'est évidement la médecine 2.0, c'est-à-dire des échanges entre médecins mais aussi entre médecins et patients, pour exprimer des opinions. Mais le médecin ne doit pas s'impliquer au-delà d'un échange de portée générale sur une maladie, par exemple, un symptôme ou une façon de prendre en charge. Il ne doit pas rentrer dans la confidence avec un patient. Nous avons clairement dit que le médecin sur les réseaux sociaux ne peut pas être ami, au sens Facebook, avec un patient parce que, pour nous, cela crée une ambigüité dans la relation. A titre personnel, je pense que c'est une décision sage. Mais tout le monde ne partage pas ce point de vue. Parmi les Médecins Maîtres-Toile (MMT)[fn]Association qui regroupe des webmasters, médecins, généralistes ou spécialistes, passionnés par la médecine et par les nouvelles technologies de l’information.[/fn], certains me disent que je suis excessivement prudent à cet égard.

Sur internet, il est possible de trouver du téléconseil, c'est-à-dire un conseil médical à distance. C'est devenu un véritable marché. Vous souhaitez donc une clarification en ce qui concerne ces conseils payants pour les distinguer de la télémédecine qui elle, est définie et reconnue par le droit français.

Il est difficile de distinguer les deux. Aujourd’hui, seule la télémédecine est légale et réglementée. Le téléconseil en santé, par contre, ne peut pas être assimilé à un acte de téléconsultation en télémédecine. Tant qu'un site internet donne des conseils de portée générale ("que fait-on quand on a mal au ventre", "quand ça brule quand on va uriner", "quand, soudain, on ne voit plus d'un œil"), ce sont des informations grand public qui peuvent être vulgarisées. Nous trouvons cela très bien, tout en appelant l'internaute à la vigilance.
Mais certains sites ne font même plus d'informations de portée générale : un site d'approche emmène l'internaute vers un numéro de téléphone et lui permet de prendre un rendez-vous pour un téléconseil personnalisé. Que veut dire "téléconseil personnalisé" par rapport à une consultation médicale ? On voit que la frontière est ténue.

La recherche de l’information santé en ligne, par le grand public, est devenue un véritable phénomène de société
Il n'est pas possible, aux yeux du Conseil de l'Ordre, de laisser subsister un secteur marchand, payant, proposer ces conseils sans l'encadrer. Cela crée une ambigüité. Une ambigüité dommageable aux médecins. Pour les médecins généralistes en particulier, c'est presque une provocation de dire que ces téléconseils sont "personnalisés", alors qu'ils sont donnés par un médecin anonyme à un patient anonyme. Nous demandons à ce que cette activité de téléconseil soit encadrée.

Les contenus des sites institutionnels, donc fiables, sur lesquels sont publiées des informations médicales, sont-ils suffisamment vulgarisés pour attirer les internautes ?

Pas suffisamment, non. Il faut que ce que l'on appelle les sociétés savantes (la Société française de cardiologie, Fédération française de cardiologie, etc.) fassent un gros effort de vulgarisation et mettent sur leur site des données accessibles au grand public. Ce qui est difficile, je le conçois. Y compris la Haute Autorité de santé (HAS) voire l'Académie de médecine d'ailleurs. Le site de la HAS, par exemple, a besoin d'un sérieux coup de fraîcheur. La HAS devrait comprendre qu'on peut dire des choses validées et sérieuses en vulgarisant, sans que pour autant ça ne soit pas de bonne qualité. Cela fait très sérieux de raconter des choses que personne ne comprend mais ça ne sert à rien ! Les documents en ligne sont présentés sous une forme très institutionnelle, c'est-à-dire inaccessible au plus grand nombre. De même, il faut que les sites soient visuellement plus attractifs.

« La grande majorité des internautes recherche des informations
sur le net pour comprendre ce qu'a dit le médecin »

Avec la multiplication des sites d'informations médicales, ne risque-t-on pas d'aller vers de l'automédication régulière voire dangereuse ?

Il faut appeler l'internaute à faire preuve d'esprit critique. En dehors du cas de la télémédecine qui est réglée par un décret, il ne peut pas y avoir de diagnostic sur un site internet, uniquement des conduites à tenir. Il ne peut pas y avoir de prescription d'un médicament, mais des conseils de prise d'un antalgique par exemple. Si l'on échange sur un forum et que cela aboutit à des partages de "petits trucs" pour la vie quotidienne, pourquoi pas. Mais il ne faut pas que cela aboutisse à une perte de temps ou de chance pour l'internaute qui devrait consulter.
Attention toutefois. Il ne faut pas non plus exagérer les choses et penser que l'internaute est un gros benêt. S'il constate qu'au bout d'un certain temps il va plus mal, il ira voir son médecin. Il ne faut donc pas fantasmer sur le risque de retard au diagnostic lié à internet. En revanche, l'achat sur la Toile de médicaments, ou de substances présentées comme tels, peut être extrêmement dangereux. Cela peut être des substances frelatées voire de la tromperie avec un placebo enrobé.

Le Conseil de l’Ordre incite les praticiens à aiguiller leurs patients vers des sites de référence.| Photo FlickR, CC, kokopinto

Dans le livre blanc, vous dîtes que « l’utilisation du web santé peut enrichir et consolider la relation médecins-patients ». Qu'est-ce que cela signifie ?
Nous disons aux médecins : si vous ne créez pas votre propre site internet, recommandez vous-mêmes des sites de référence. On doit pouvoir, avec des sites fiables, faciliter les choses. C'est une sorte de prescription d'informations, comme on fait une prescription médicamenteuse, de l'éducation thérapeutique ou de l'éducation à la santé… Le médecin a un rôle à jouer pour accompagner le patient. Le Conseil de l'Ordre veut tendre vers cela. Non pas ressusciter l'information officielle, qui peut être suspecte aux yeux de certains, mais une information valide.
N'oublions pas que c'est ce que cherche la très grande majorité des internautes. Ils ne vont pas sur internet pour contester le diagnostic qui leur a été donné par le médecin ni pour le vérifier. Mais pour comprendre ce qu'on leur a dit. Le médecin a beau s'exprimer le plus simplement possible avec son patient, même sans le vouloir, il utilise des mots compliqués parce que c'est le jargon. Dans ce cas, le médecin peut leur dire : allez voir sur ce site fiable, c'est utile, vous trouverez des informations complémentaires. Un patient qui va sur le net ne signifie pas qu'il n'a pas confiance en son médecin. Il s'agit de mettre le web au service de la relation médecins-patients.

Vous ne croyez pas à la consultation de sites internet médicaux comme alternative à une vraie consultation chez un professionnel de santé ?

Non. Je pense qu'Internet peut permettre une orientation du citoyen, par un professionnel de santé, vers des informations pertinentes, après la consultation. Il est certain que sur le web, il y a des ragots. Mais que se passait-il autrefois quand il n'y avait pas tous ces échanges virtuels ? Les personnes se parlaient dans la rue, sur leur palier, ou écoutaient ce que la cousine de machin avait dit… C'était aussi des ragots. Le Conseil de l'Ordre dit qu'il vaut mieux aller sur internet et sur des sites fiables plutôt que d'écouter des ragots de bouche à oreille, dans son voisinage ou son entourage professionnel.
D'après une enquête que nous avons menée, parmi les 30 % des patients qui ne vont pas sur internet, quasiment tous iraient si leur médecin avait un site d'informations. Ca paraît évident. Mais tout cela prend du temps donc il faut aider les médecins pour qu'ils s'installent sur la Toile.