Le travail en prison, un luxe mal payé

Le travail en prison, un luxe mal payé

Le travail en prison, un luxe mal payé

Le travail en prison, un luxe mal payé

15 mars 2012

Surpopulation, fouilles intégrales et humiliantes, fichage des détenus, conditions de vie de plus en plus mauvaises et précaires… Le rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, publié le 22 février dernier, dresse un bilan alarmant des conditions de détention en France. Une partie du rapport est consacrée au travail en prison qui a fait l'objet d'une analyse pointue. Près de 1 500 fiches de paie ont été passées à la loupe. Quelles règles régissent le travail en prison ? A quoi sert-il ? A quelles rémunérations peuvent prétendre les détenus ? Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, répond à Citazine.

Dès le début du rapport, vous écrivez que le travail est primordial en prison. Pouvez-vous commenter cette phrase ?
D’une part, beaucoup de détenus ne peuvent survivre en prison que s’ils peuvent acheter des choses à l’extérieur. On appelle ça la cantine. Pour manger convenablement, pour acheter des cigarettes, pour acheter un petit bien qui pourra les aider dans leur vie matérielle, comme une télécommande. On leur donne des listes de produits achetables. Si vous n’avez pas d’argent, vous ne pouvez rien acheter. Si vous ne pouvez rien faire parce que vous n’avez pas d’argent, des personnes vont vous dépanner moyennant service. Vous tombez alors sous la coupe de gens qui vous feront faire des choses, ou bien illégales ou bien répréhensibles. Etre démuni d’argent en prison, c’est nécessairement être faible et tomber sous la coupe des forts.
Et vous ne pouvez pas venir en aide à votre famille du dehors. Et comme généralement, les familles ont peu d’argent, d’autant plus si c’est le mari qui est en prison, si celui-ci ne travaille pas en détention, c’est une catastrophe absolue pour lui. Nous recevons plein de lettres tous les jours dans lesquelles des gens nous expliquent qu’ils sont sur liste d’attente, qu’ils aimeraient bien travailler mais qu’en attendant, leur femme crève la faim.

Ce qu’on apprend très vite dans le rapport, c’est que les chiffres avancés par l’administration pénitentiaire concernant les personnes qui travaillent en prison sont faux.

Dans les statistiques qu’elle avance sur le travail, l’administration pénitentiaire y ajoute les détenus qui sont en formation professionnelle, ce qui, pour nous, n’est pas un travail au sens classique du terme. Et d’autre part, elle y ajoute les personnes qui relèvent de ce qu’on appelle le placement extérieur. C’est un dispositif d’aménagement de peine qui permet à des personnes de travailler dans des conditions tout à fait exceptionnelles à l’extérieur. Donc, ce n’est pas non plus un travail tout à fait normal. C’est pour cette raison qu’au lieu de 38 %, le chiffre que donne l’administration pénitentiaire, nous arrivons nous, à un total de 27,7 % des détenus. C’est-à-dire un tout petit peu plus d’un quart des détenus au travail.

Vous pensez que cet amalgame est mené consciemment ou qu’il s’agit simplement d’une erreur de jugement ?
Je n’y prête aucune attention particulière. Je crois que l’administration pénitentiaire prend plutôt comme référence tout ceux qui touchent de l’argent d’une activité et y ajoute donc les stagiaires d’une formation professionnelle. Qui, comme leur nom l’indique, ne sont pas du tout des salariés au sens habituel.

C’est en réalité le sens du mot "travail" qui est transformé.
Elle prend "travail" au sens de toute activité rémunérée, ce qui est à mon avis une façon d’hypertrophier la réalité. Nous, ce qui intéresse, c’est la réalité. C’est-à-dire, savoir combien de personnes effectuent une tâche pour laquelle elles sont normalement rémunérées par un employeur, une définition plus restrictive donc. Je ne sais pas pourquoi elle fait cet amalgame et je ne veux pas le savoir. Ce que je veux, c’est faire apparaître la réalité la plus exacte dans les prisons.

Le code du travail ne s’applique pas en prison

Dans le rapport, vous expliquez que ce n’est pas le Code du travail qui encadre le travail en prison. Quelles sont les règles qui le régissent ?

Il y a une toute petite partie du Code du travail qui s’applique, une partie qui a trait à l’hygiène et la sécurité. On ne doit pas faire des ateliers dans n’importe quelles conditions. On ne doit pas employer des produits qui sont des substances volatiles dangereuses dans n’importe quelles conditions, etc. Mais encore faudrait-il qu’à cet égard, il y ait un contrôle de ces règles d’hygiène et de sécurité. Or, selon ce que nous observons, l’inspection du travail, qui est normalement compétente, vient de façon exceptionnelle en détention. L’application de ces règles d’hygiène et de sécurité n’est pas contrôlée.
Il n’y a aucune autre règle s’agissant du travail, sauf deux. La première est, depuis la loi pénitentiaire de 2009, que chaque personne qui effectue un travail, signe ce qu’on appelle un engagement de travail, signé à la fois par l’administration pénitentiaire et le détenu mais aussi par la personne pour laquelle il va travailler, une personne extérieure à l’administration pénitentiaire sauf exception. La loi définit le contenu de cet engagement de travail, qui fixe les tâches confiées à la personne détenue. Cet engagement de travail n’est pas un contrat de travail. Vous pouvez le rompre pas totalement comme bon vous semble, mais pratiquement sans formalité aucune. Cet engagement n’a en rien la valeur d’un contrat. Il n’y a pas de démission du salarié, d’indemnité de licenciement, etc.
La deuxième règle qui s’applique est une règle de salaire. Puisqu’il existe un salaire minimum de référence qui est lui-même un pourcentage de SMIC, selon les catégories, entre 20 et 45 % du SMIC. Un salaire qui fonctionne comme un SMIC carcéral, un salaire minimum que chaque personne en prison doit pouvoir percevoir. Là aussi, ce salaire minimum n’est pas observé dans une majorité de cas. Pour une raison essentielle, les détenus sont, pour la plupart d’entre eux, rémunérés à la pièce et pas à l’heure. Par exemple, dans une maison d’arrêt, il fallait assembler les deux branches d’une pince à linge, il fallait en faire disons 1 000 par heure. Vous arrivez au salaire minimum si vous parvenez à ce millier là. Mais si votre rythme de production est inférieur au millier, vous serez alors payé au prorata de ce que vous avez fait. Si vous faites 500 pinces à linge, vous serez payé la moitié du salaire.

La majorité des détenus ne parviennent pas à tenir le rythme imposé. Est-ce parce que celui-ci est trop élevé ?
Les entreprises ou l’administration pénitentiaire ont fixé un rythme que les détenus ne peuvent pas ou ne veulent pas soutenir. Pourquoi ? Premièrement, parce qu’ils sont d’une santé souvent médiocre. En plus, ils ne sont pas habitués au travail parce que ce sont des gens qui, pour beaucoup, étaient au chômage quand ils étaient à l’extérieur. Et ils ne sont pas très motivés tout simplement parce qu’ils sont mal payés. Pourquoi se fatiguer si c’est pour toucher des salaires aussi bas ? En réalité, c’est vrai que beaucoup sont au dessous du salaire minimum et dans le rapport, on cite l’exemple d’une maison d’arrêt, où, sur 210 détenus qui travaillent, 10 seulement sont au-dessus du salaire minimum. Donc la norme est de ne pas respecter le salaire minimum.

Qui est déjà faible.
Qui est déjà très minimum, oui. Une majorité de détenus travaille pour une rémunération qui n’est pas conforme à celle prévue par la loi.
Il y a un autre phénomène qui explique les salaires faibles. Quand vous êtes dehors et que vous avez un travail. Si votre cousin de province arrive et vous dit qu’il veut vous voir, vous répondez que c’est possible en dehors des heures de travail. Si vous devez consulter un médecin, vous prenez une journée de congé ou vous allez chez le médecin en dehors de vos heures de travail. En prison, vous ne maîtrisez pas vos horaires. L’atelier est à heures fixes. Vous ne fixez pas l’heure du proche qui vient vous rendre visite au parloir, de même que l’heure à laquelle le médecin de la prison veut vous voir. Beaucoup de gens travaillent, mais sont pris par d’autres choses qu’ils ne peuvent pas manquer. Alors, ils ne viennent pas au travail. Et on défalque d’autant leur rémunération puisque, pendant ce temps-là, on ne peut pas produire.

Des faibles rémunérations

On ne peut pas se permettre d’aménager sa vie privée en fonction des horaires de travail.
Ce n’est pas possible parce que les horaires dans une prison sont très contraints. Puisque toutes les cellules doivent être fermées à 5 heures du soir, 5h30 au plus tard, que certains parloirs ne se tiennent que l’après-midi, que le week-end ou que certaines journées de semaine, que les médecins ne sont pas là le week-end… Les temps de parloirs, de visites, de rendez-vous, vous ne pouvez pas les fixer et donc, d’ordinaire pour les travailleurs, pour ceux qui réussissent à travailler, tous ces rendez-vous sont fixés aux heures de travail, avec des rémunérations qui baissent d’autant.
En plus, le fait que vous soyez classé comme opérateur, ne garantit pas que vous aurez du travail tous les jours. L’offre de travail est très variable suivant les entreprises qui sont souvent des entreprises ayant des commandes précises pour un certain nombre de produits et qui doivent ensuite attendre la commande suivante. Une entreprise qui fabrique des emballages pour des flacons de parfum, a beaucoup d’emballages à fournir pour la période de Noël ou pour la fête des mères. Entre les deux, l’entreprise n’a pas beaucoup de commandes et ne fait pas appel aux détenus. Donc pas de travail pendant ces périodes.
Donc au bout du bout, des personnes qui sont censées être payées 4,17 euros de l’heure, pour une trentaine d’heures par semaine, se retrouvent avec des rémunérations qui peuvent être de l’ordre de 180 euros ou 150 euros, 60 euros ou 15 euros. Pour toutes ces raisons qui sont cumulatives, dans le sens de la baisse. Rendement à la pièce insuffisant, nombreuses causes d’absence qu’on ne vous paye pas et une offre de travail qui n’est pas constante. Tout ça fait que le montant des bulletins de paie peut varier complètement d’un mois à l’autre et, en général, ces bulletins sont incompréhensibles pour les gens qui travaillent. Ils ne savent pas à quoi ça correspond.

Peut-on voir en prison des grosses disparités de salaires entre les fiches de paie des détenus ?
Oui. Ce qui paie le mieux en prison est la Riep, la Régie industrielle des établissements pénitentiaires, un service de l’Etat, qui fait travailler une petite partie des détenus dans un certain nombre d’établissements pénitentiaires. Cette Riep fabrique des produits selon un travail industriel, comme les uniformes des surveillants, un travail textile ou de cordonnerie. Elle fabrique aussi des meubles métalliques pour le mobilier administratif, de la menuiserie métallique. L’imprimerie administrative fabrique tous les imprimés administratifs et est basée au centre pénitentiaire de Melun. C’est technique, industriel et correspond à des emplois plutôt qualifiés. En plus, la Riep verse des rémunérations qui peuvent être comprises entre 500 et 800 euros. Mais c’est complètement exceptionnel. Par ailleurs, on trouve des entreprises privées qui paient, selon les cas et le type d’opérateur, entre 200 et 400 euros, mais comme je l’ai expliqué, cela peut énormément fluctuer d’un mois à l’autre. Enfin, ceux qui travaillent pour le service général, balayage, nettoyage, service en détention, gagnent chaque mois, quand tout va très bien, entre 180 et 300 euros.

Etre sans argent en prison, c’est être faible

Quel est le rapport entre l’offre de travail et les demandes formulées par les détenus ?
Il existe de grosses différences qui se traduisent en détention par de longues listes d’attente. Certaines personnes demandent à travailler, on les admet, on les classe selon les termes de la prison, mais il faut attendre parfois plus de six mois pour qu’un poste se libère.
Le travail est un bien rare, les places sont chères. Et cela donne à l’administration un très grand pouvoir pour classer au travail des détenus qu’elle estime aptes, les plus sages, ceux qu’elle veut favoriser, ceux qui ont le moins d’argent, qui est le meilleur des critères. Cela lui donne aussi énormément de pouvoir de déclasser les gens. Un type qui ne plaît pas, qui rouspète… Voici peu de temps, j’ai croisé, dans un couloir, des auxiliaires de service général chargé du nettoyage. Je les vois nettoyer le mur. En leur parlant, j’ai su que ce n’était pas du tout prévu dans leur engagement de travail de nettoyer les murs : les sols oui, mais pas les murs. Je leur ai demandé s’ils avaient dit quelque chose. Ils m’ont répondu qu’ils seraient déclassés tout de suite s’ils protestaient.
J’ai écrit dans le rapport que le travail en prison avait des relents du XIXe siècle parce que si vous êtes un peu rouspéteur, on vous met dehors sans aucune autre forme de procès. C’est le déclassement, il est décidé par le chef de l’établissement, sur la base d’un incident comme une simple protestation d’un type pas content de son salaire ou du travail qu’on lui fait faire. Le salarié est soumis à l’arbitraire du patron, sauf qu’en prison il n’y a même pas de salarié et même pas de patron, puisqu’il n’y a pas de contrat de travail.

L’Etat aurait pourtant tout à gagner à développer le travail en prison ?
Il aurait tout à gagner mais toutes les prisons n’ont pas l’espace nécessaire pour accueillir des ateliers. Les nouvelles oui, mais pas les anciennes. Dans les petites prisons, on travaille dans les cellules. Mais il n’y a aucun contrôle. Moi, j’ai vu des détenus, lors d’une visite de nuit, qui travaillaient encore à 23h30, histoire de gagner un peu plus d’argent. Il n’y a plus aucun horaire de travail maîtrisable. Et il y a plus ou moins d’offres de travail et ça, l’administration pénitentiaire n’est pas responsable. Il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui veulent venir travailler en prison. C’est un travail spécifique, faiblement qualifié et dont la valeur ajoutée est faible.

Le travail en prison n’est-il pas censé être l’un des piliers de la réinsertion ?
Oui. Mais il ne l’est pas parce qu’il est minoritaire, très faiblement qualifié. C’est-à-dire que, sauf exception, on n’y apprend pas un métier durable ou on n’y acquiert pas des modules de formation reconnus comme équivalents grâce à la pratique. Le travail, pour beaucoup de détenus, est en réalité le seul moyen qu’ils ont de s’occuper, de sortir de leur cellule, notamment dans les maisons d’arrêt. Sinon, on reste enfermé dans sa cellule. Beaucoup de détenus le disent, le travail est purement occupationnel. C’est vrai que s’ils ne l’avaient pas, ils crèveraient d’ennui dans leur cellule, donc ils sont bien obligés quand même d’y avoir recours. Le travail est aussi un élément important dans ce qu’on appelle les remises de peine supplémentaires. C’est-à-dire que le Code de procédure pénale prévoit que vous pouvez bénéficier d’une remise de peine si vous montrez que vous œuvrez à votre réinsertion. Et pour le juge d’application des peines, être classé est bien un signe que vous travaillez à votre réinsertion. Mais si vous ne travaillez pas, vous n’aurez aucune chance d’obtenir ces remises de peine. Le travail est très attirant pour cette raison. Tant pour la condition en détention, le rapport aux autres, la famille, la durée de la peine, le remboursement des parties civiles, pour toute une série de raisons, le travail n’est pas un aimable passe-temps de la prison, mais un instrument indispensable de survie et de réinsertion.