Le cuisinier, cet animal omnivore

Le cuisinier, cet animal omnivore

Le cuisinier, cet animal omnivore

Le cuisinier, cet animal omnivore

20 mars 2013

Le Palais de la Mutualité version années 2010, ce n'est pas que les meetings UMP. C'est aussi le lieu où depuis deux ans, convergent les représentants d'une jeune cuisine vivante des quatre coins du monde. Trois jours durant, ces chefs déboulent en musique sur des titres qu'affectionne le fondateur d'Omnivore Luc Dubanchet. Sans toque mais avec micro-casque pour travailler tout en expliquant leur vision d'une jeune cuisine toujours plus écolo. Mais surtout pas barbante.

On savait que le locavorisme, c’était sexy. Son représentant le plus célèbre étant le Danois René Redzepi, qu’Omnivore avait accueilli lors de sa première édition presque confidentielle au regard de l’euphorie de la Mutualité, en 2006 au Havre. Depuis, Noma, son laboratoire de Copenhague, a été sacré meilleur restaurant du monde et Redzepi promu chef de file d’une cuisine nordique qui continue d’inspirer dans le monde entier.

Alexandre Gauthier, chef de la Grenouillière. Photo Amélie Riberolle

En France, Alexandre Gauthier, qui a dégagé toutes les épices de sa cuisine par souci de cohérence avec son territoire, fait courir les foodies dans sa rock’n’roll auberge de la Grenouillère à Montreuil-sur-Mer dans le Pas-de-Calais, redessinée par le non moins rock’n’roll architecte Patrick Bouchain. Dans un décor de fer forgé et de cuir ouvert sur le jardin, on se prend de grosses claques avec un homard dans son fumant buissant de genièvre (à manger avec les doigts). Vécu : une petite larme sur les « herbes grasses », dessert autour d’une glace au gazon (oui oui) vous ramenant direct à vos galipettes d’enfant.

« Le meilleur régime alimentaire est omnivore » Sébastien Demorand

Fidèle d’Omnivore, Alexandre Gauthier a fait exploser la jauge de la petite salle réservée au sucré. Comme un résumé de cet amour pour son vert pays, son pommier fait de tranches de pommes confites puis déshydratées figurant les écorces, de résine et de sciure récupérée au moment des saignées…

Touchant hommage à un autre territoire par l’autre Alexandre, Couillon, récemment double étoilé pour sa Marine à Noirmoutier : bucolique « sapin » reconstituant le paysage du Bois de la chaise voisin, jusqu’au sable à la réglisse et aux galets. Illusion parfaite donnant envie à un petit millier de personnes de filer en week-end en Vendée… Malgré les boules de pétrole qui rappellent encore le naufrage de l’Erika sur la plage, qu’Alexandre figure sur une huître au lard et encornet, noyée sous un bouillon noir et sirupeux à l’encre de seiche… Le cuisinier en slim et baskets hype, l’assure, il ne « veut pas faire une cuisine cérébrale ».

La Saint-jacques de Tasmanie. Photo Amélie Riberolle.

Comme les Australiens de Garagistes (Hobart, Tasmanie) qui lui succèdent sur la grande scène. Avant sa Saint-Jacques/pomme verte sous un déchirant ruban d’algues, le chef Luke Burgess nous passe un film montrant ce territoire qu’il arpente avec bonheur comme un cueilleur des temps modernes… Qui rend à son maraîcher les épluchures du restaurant, pour le compost ou le déjeuner des cochons… « On ne cherche pas à réinventer le monde, on veut juste s’intégrer à la vie ici ».

Peu de gaspi donc sur la scène de la Mutualité, compensant le bilan carbone des cuisiniers venus des autres continents avec un peu (beaucoup parfois) de leur équipe… et les valises chargées des produits qu’ils avaient envie de montrer au public… Parfois dans l’illégalité comme Martin Juneau (Pastaga, Montréal) s’inquiétant de l’éventuelle présence de douaniers dans la salle, ses cochonailles des Laurentides n’ayant pas été déclarées…

Rien ne se perd

Jose Ramirez (Chez Jose, New York), qui traite l’oignon « comme de la viande », passe les peaux au déshydrateur pour en faire une poudre qui sert d’assaisonnement. Le sel, avec les trublions de Roseval (Paris) Simone Tondo et Michael Greenwood, c’est des crevettes séchées au four, également réduites en poudre. L’Ovni Ivan Berezutsky utilise lui le poisson jusqu’aux écailles, bouillies et frites qui deviennent de micro-chips sur une assiette lunaire.

Les oignons par le chef Ramirez. Photo Amélie Riberolle.

Ne rien gâcher des produits que le respect impose de ne pas triturer. « Je cherche à le travailler le moins possible », revendique Guillaume Foucault, lui aussi très attaché à son Perche natal où il ouvrira son Pertica d’ici quelques mois à Vendôme. Pour sûr, celui qui n’assaisonne même pas un foie gras cru « par amour pour son goût extraordinaire » n’est pas un fainéant, à voir ses recherches sur la conservation des variétés endémiques du Perche de ses poires chéries…

Pas plus que l’équipe du Kadeau qui n’ouvre pas en semaine. Celle-ci est consacrée à la cueillette sur la petite île presque déserte de Bornholm à l’est du Danemark, entre la Pologne et la Suède… et aux picklisations et autres fermentations qui permettent de tenir en hiver. Le chef, Nicolai Nørregaard, nous offre une assiette d’encornets et poireaux d’une complexité aussi insoupçonnée qu’époustouflante. Le beau gosse, au-dessus de son assiette de poireau balance de ses vingt et quelques années: « Les concepts c’est bien, mais faut pas oublier le goût ». Ovation. Sexy, on vous dit !

> Omnivore Paris, c’est le moment phare d’un World Tour de dix étapes à travers le monde, pour la deuxième année consécutive. Prochain rendez-vous Moscou du 23 au 27 avril.