Dans Peau d’homme, la pièce, la magistrale Laure Calamy interprète la jeune Bianca, qui se voit promise à un homme qu’elle ne connaît pas. Sa marraine lui propose de revêtir une peau d’homme magique, secret de famille précieusement gardé, pour approcher son futur époux incognito, « dans son milieu naturel ».
« Sans contrefaçon, je suis un garçon »
Marcher comme un homme, parler comme un homme, se battre comme un homme… Bianca pousse à l’extrême les leçons viriles de sa marraine. Subterfuge, double vie, libération des corps et des désirs, histoire d’amour inattendue, les rebondissements s’enchaînent. En toile de fond, la ville tombe aux mains d’un prédicateur fanatique, apôtre d’une croisade anti-LGBTQ+ avant l’heure, qui n’est autre que le frère de la future épouse. L’esthétique évangélique est poussée à l’extrême, et voici le spectateur, mué en fidèle extatique, qui applaudit en rythme sur une parodie de la déjà parodique chanson Jésus revient du film La vie est un long fleuve tranquille (1988).
Quelle ferveur dans la danse, le chant, l’interaction avec le public ! La musique signée Ben Mazué tour à tour grave et joyeuse, soutient à merveille l’ensemble. Et que dire de l’investissement ahurissant de Laure Calamy, qui explore avec brio tous les versants émotionnels de son double rôle, alternant finesse, fragilité et bravoure, masculinité surjouée et identité libérée, comique et tragique. Elle sublime, elle transcende.
Plantes en plastique dégoulinantes, dorures, statues et rideaux, robes et costumes foirfouillesques : censeurs du bon goût et gardiens du temple culturel se sont globalement étranglés devant le décor, d’un kitschissime absolu. Une scénographie d’Épinal à son extrême, évocation d’une Renaissance fantasmée, criarde, un poil vulgaire — et vous savez quoi ? Ça fait mal aux yeux mais c’est jouissif, tant de joyeuserie drolatique, un coup de pied dans la porte d’une programmation culturelle pas toujours légère. Ne nous méprenons pas, léger n’est pas superficiel : le grotesque est burlesque, la grivoiserie fait rire, l’ironie est assumée. Dans Peau d’homme, le mauvais goût devient manifeste politique, à mi-chemin entre conte pour enfants (pas) sages et fable queer subversive. Il fallait oser.
Un message de liberté
D’aucuns ont qualifié l’adaptation de Léna Bréban de moralisatrice : quel piètre raccourci ! Oui, le positionnement militant est assumé — et c’est tant mieux. Mais l’art n’a-t-il pas toujours été affaire de point de vue ? Ici, les choix esthétiques, le burlesque, l’humour et l’autodérision permettent une véritable distance critique. On ne nous fait pas la leçon, on nous tend un miroir, parfois déformant, souvent hilarant. Le public n’est pas pris en otage : il est emporté dans une fable, libre d’en rire, d’y réfléchir, d’y rêver.
Peau d’homme est audacieuse, satirique, pleine de tendresse et de provocation joyeuse. Fable initiatique d’émancipation, ode à la fluidité des genres et à la liberté des corps, elle se vit au second degré.
Je n’ai pas vu le temps passer — et croyez-moi, c’est sans doute le meilleur baromètre pour juger un spectacle. Quand les lumières se rallument, la salle est debout. L’ovation ne s’arrête pas. Et on comprend pourquoi.
Infos pratiques :
Pièce Peau d’homme
Jusqu’au 8 juin
Théâtre Montparnasse
31 rue de la Gaîté
75014 Paris
Durée : 1h50
Soirées : Mercredi, jeudi, vendredi & samedi à 20 h
Matinées :Samedi à 16h30 & dimanche à 15h30