« The Amusement Park », le tour de méninges inédit de Romero

« The Amusement Park », le tour de méninges inédit de Romero

« The Amusement Park », le tour de méninges inédit de Romero

« The Amusement Park », le tour de méninges inédit de Romero

Au cinéma le 2 juin 2021

Dans un parc d'attraction, un homme âgé erre sans but. Totalement désorienté, il est confronté à des étrangers, mystérieusement hostiles. Film commandité par une association caritative religieuse, The Amusement Park devait alerter sur les maltraitances envers les personnes âgées. Réalisé par George A. Romero, le résultat est un pamphlet horrifique au message politique acerbe qui a vite été enterré. Invisible depuis plus de 45 ans, ce projet improbable d'une actualité brûlante revient nous hanter pour notre plus grand bonheur.

Vêtu d’un costume blanc, un vieil homme (Lincoln Maazel) erre seul dans un parc d’attraction de Pittsburgh. Alors qu’il est mal accueilli partout où il se rend, il est bientôt pris à partie par des étrangers. Tous semblent vouloir l’humilier sans raison.

The Amusement Park © Yellow Veil Pictures - Potemkine Films

Apocalypse sociale

Le 16 juillet 2017, George A. Romero disparaissait, laissant derrière lui de nombreux cinéphiles inconsolables. Véritable icône du film d’horreur, le cinéaste était plus particulièrement connu pour avoir réinventé le film de zombies. Un thème auquel il reviendra souvent, jusqu’à sa dernière réalisation, Survival of the dead en 2009.

En 1968, La Nuit des morts-vivants marque un véritable tournant. Tourné en noir et blanc avec des moyens limités, son premier long métrage est un coup de maître qui impose le style Romero. Le cinéaste propose un cinéma d’épouvante efficace qui se double d’une satire sociale et politique.

Un film de Romero possède plusieurs facettes. Derrière les effusions de sang et les thèmes horrifiques, le cinéaste explore des sujets sociétaux tels que l’hystérie des foules, la lutte des classes ou encore la mise à la stigmatisation des marginaux. Cette conscience sociale du réalisateur est peut-être ce qui a encouragé les commanditaires du film à se tourner vers lui. S’ils avaient su…

The Amusement Park © Yellow Veil Pictures - Potemkine Films

Service commandé

Découvrir enfin ce film inédit du maître est d’autant plus excitant que ses conditions de production sont invraisemblables. Cinq après la sortie de La Nuit des morts-vivants, George A. Romero est fauché. Le film avait révolutionné le genre mais, pour de sombres questions de droits, le cinéaste n’a pas profité de ce succès.

Pour vivre, il réalise des publicités ou encore des documentaires sportifs et, à l’instar d’autres réalisateurs, il n’est pas opposé aux films de commande. La proposition provient de la Lutheran Service Society de Pennsylvanie, une organisation religieuse luthérienne qui travaille de concert avec la Fondation Pitcairn-Crabbe.

Comme pour une dissertation, le sujet est évidemment imposé : éveiller les esprits à la maltraitance des personnes âgées aux États-Unis. Et pour réaliser ce film, leur choix se porte donc sur… un réalisateur de films d’horreur. La décision peut paraître étrange mais pas si rare à l’époque.

L’idée est de faire du sensationnel pour bousculer les consciences. Pour être bousculés, ils le seront… Tellement que le film controversé est soigneusement rangé pour qu’il ne soit surtout jamais vu par personne.

The Amusement Park © Yellow Veil Pictures - Potemkine Films

De vieux os

The Amusement Park est fascinant car il s’inscrit parfaitement dans l’œuvre du cinéaste. Malgré le statut de film de commande, George A. Romero a suivi son instinct en insufflant dans ce moyen métrage ses propres thématiques anxiogènes. Il entraîne dans ce projet l’acteur Lincoln Maazel que l’on retrouvera en prise avec un cousin vampire dans Martin (1977).

Cette visite au parc d’attractions met en scène un vieil homme sans cesse agressé. Lors de ce bad trip implacable, le personnage est ballotté d’un endroit inhospitalier à un autre, rejeté par tous. Avec d’autres seniors, il erre — tel un zombie — dans ce parc qui n’a rien d’attractif où les manèges ont laissé la place à des hôpitaux maltraitants. Alors que les mutuelles cherchent à vous arnaquer.

Difficile de ne pas faire le parallèle avec Zombie : le Crépuscule des morts-vivants (1978) que Romero réalisera cinq ans plus tard. Les personnes âgées errant sans but dans ce parc de malheur sont à l’image des zombies se baladant par habitude dans le centre commercial au cœur du film.

Ironie de l’histoire, le West View Park où a été tourné le film, au nord de Pittsburgh, a fermé ses portes en 1977. Il a été remplacé par… un centre commercial.

The Amusement Park © Yellow Veil Pictures - Potemkine Films

Brut de décoffrage

Tourné avec des moyens limités, les figurants sont fournis par la Lutheran Service Society. La réalisation audacieuse de Romero est marquée par son goût pour les expérimentations caractéristiques de ses débuts. Le montage est souvent brutal. Tout est fait pour faire partager l’expérience éprouvante du personnage battu et humilié de façon totalement gratuite.

Les agressions sonores constantes dans la bande son font écho aux agressions physiques que subit le vieil homme. Cette ambiance sonore et visuelle délétère accompagne son calvaire et projette le spectateur dans le costume de plus en plus piteux du personnage. Le résultat est efficace, trop au goût de l’association religieuse.

Le cinéaste devait apporter un message positif à la fin et proposer des solutions sur la maltraitance des personnes âgées. Pourtant, difficile de trouver une lueur d’espoir dans les recoins de ce parc lugubre. Radical dans sa forme et très politique dans son propos, The Amusement Park est un cauchemar éveillé qui a été jugé trop réaliste et donc dérangeant.

The Amusement Park © Yellow Veil Pictures - Potemkine Films

No future

La construction de ce cauchemar sans échappatoire fait irrémédiablement penser à la géniale série La Quatrième Dimension (1959-1964). À l’instar de Rod Serling introduisant l’épisode, The Amusement Park débute avec un prologue de l’acteur Lincoln Maazel. Hors personnage, il s’adresse directement au spectateur hors personnage pour introduire la thématique de la vieillesse.

Le film à proprement parler débute dans une pièce blanche immaculée. Sur une chaise, un vieil homme en costume blanc en mauvais état avec le visage ensanglanté. L’homme qui entre alors par une porte donnant sur le parc d’attractions est son double. Bien habillé et jovial, il l’invite à sortir pour faire un tour dans le parc.

Refus catégorique de l’homme assis à l’air hagard qui met en garde son double sur la dangerosité du parc. Malgré sa mise en garde, son double insouciant sort tout de même. Cette construction en boucle fermée n’aurait pas détonné dans l’anthologie de Rod Serling.

Dès le départ, The Amusement Park prévient, il n’y aura pas d’issue au cauchemar. Sa charge contre la société américaine, son mercantilisme et son rapport pouvant être malsain avec le divertissement n’en est que plus cruelle.

The Amusement Park © Yellow Veil Pictures - Potemkine Films

Same old, same old

Ce film inédit de George A. Romero a été retrouvé par son épouse Suzanne Desrocher-Romero en 2018, un an après son décès. Il a été restauré en 4K à partir des bobines 16 mm par la fondation George A. Romero qui s’est associé pour l’occasion à IndieCollect, une société qui préserve le cinéma indépendant américain.

Le fait que le film soit enfin visible en pleine pandémie mondiale ajoute à son intérêt. Par son propos radical, The Amusement Park renforce l’angoisse de vieillir et de mourir. Mais au-delà de cette peur existentielle, ce qui marque le plus est sa charge contre la maltraitance des seniors par la société.

Cet aspect fait écho aux questionnements actuels alors que le monde entier — ou presque — s’est mis sur pause afin de protéger la population âgée. Avec un prix à payer pour cette protection dénoncé par certains. Plus de quatre décennies plus tard, le traitement du sujet par Romero en fait un pamphlet d’une modernité incroyable.

Radical sur le fond et la forme, The Amusement Park est du pur Romero qui ravira à coup sûr les adeptes du maître de l’horreur autant qu’il a épouvanté ses commanditaires. George A. Romero délaisse ses mythiques zombies pour nous confronter à plus terrifiant encore : ce que nous sommes. Et ce que nous allons devenir.

> The Amusement Park réalisé par George A. Romero, États-Unis, 1973 restauration 2019 (53min)

The Amusement Park

Date de sortie
2 juin 2021
Durée
53min
Réalisé par
George A. Romero
Avec
Lincoln Maazel, Harry Albacker, Phyllis Casterwiler
Pays
États-Unis