Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Antoine : Je suis éducateur depuis 12 ans dans le secteur du handicap et j’allais aux concerts de Cheveu, le groupe de David, à leurs débuts. J’avais commencé à ébaucher les ateliers. Et ce que j’enregistrais sur cassette me faisait penser un peu à eux. Je les ai donc contactés sur Myspace et David s’est montré intéressé pour venir voir les ateliers. On a fait une rencontre et puis de fil en aiguille ça s’est mis en place. On a été à l’institution la plus proche, qui était à quelques centaines de mètres. On a proposé le projet, et c’est comme ça qu’on a commencé. Depuis on va d’institution en institution. Il y a d’abord eu Atelier Méditerrannée, qu’on a présenté comme un atelier de musique expérimentale à destination de personnes handicapées mentales et aussi des personnes autistes. Puis nous avons créé le collectif Transports en commun afin de devenir une sorte de réseau entre les institutions, les artistes et les autres initiatives.
Transports en commun, pourquoi ce nom ?
David : Quand on a cherché un nom de collectif on a pensé à ce qui pourrait faire échos dans l'imaginaire des jeunes avec lesquels on travalle. Et c’est vrai que les transports en commun sont une passion chez les autistes : c’est commun d’avoir un fan de train dans une insitution ! Il y en a même qui connaissent les stations de métro par cœur ! Ça représente quelque chose de codifié, de répétitif, et pour un autiste par exemple, c’est super rassurant.
Antoine, après toutes ces années en tant qu’éducateur, pourquoi as-tu voulu monter un projet comme celui-ci ?
A : En tant qu’éducateur il faut qu’on soit capable de proposer des activités pour que les jeunes s’amusent, pour faire émerger en eux le désir de faire. En général les éducateurs amènent toujours un peu de ce qu’ils sont, de ce qu’ils font. J’ai juste apporté ce que je pouvais, comme l’expérimentation sonore par exemple. Le fait d’avoir déjà un pied dedans, ça légitimait aussi le projet. Je sais ce qu’on peut demander, mais aussi ce qu’on ne peut pas demander aux personnes avec qui on travaille. Et le fait d’avoir un pied dans la musique, de bosser sur le même genre de matériau, a aussi facilité notre collaboration.
Au sein des ateliers, quels sont vos rôles ?
A : Il faut toujours initier un petit peu. On se rend vite compte que les jeunes accrochent sur des textures : il y en a qui adorent taper sur quelque chose, certains c’est l’instrument en lui-même, d’autres ce sont les séquences sonores graves. En général, ils utilisent un truc qu’ils aiment vraiment. Ils font beaucoup d’expériences. Et nous on est là pour les aider au besoin. Mais ils sont libres.
D : C’est un espace de liberté. Il peut arriver qu’on les accompagne avec des jeux pour apprendre le rythme par exemple mais le but c’est d’arriver à ce que chacun s’approprie les instruments et soit dans le plaisir de produire du son. Si on arrive à créer du "jouer ensemble" c’est super.
Vous êtes aussi dans la création d’instruments de musique…
A : Oui, on a attaqué cette nouvelle activité un peu plus récemment. Au départ on avait des instruments que tout le monde pratique : des claviers pas chers, des boites à rythme bon marché… Puis on a rencontré plusieurs univers musicaux qui nous a donné envie d’aller un peu plus loin dans le côté "instruments encore plus adaptés". Et surtout, sans que les instruments ne soient compliqués à utiliser. Par exemple une guitare, on ne met qu’une seule corde pour simplifier le principe de gratter correctement.
Vous avez fait une exposition au Point Ephémère en juin dernier intitulée Sur les rails, en copodruction avec Dokidoki éditions et le collectif MU, pour présenter une compilation du même nom. L’objectif était de proposer un panorama de ce que vous faites en atelier mais aussi de mettre en lumière d'autres initiatives comme la vôtre. Qu'en avez-vous pensé ?
A : On a eu une bonne presse donc ça aide. Mais comme dans n’importe quel événement au Point Ephémère, il s'agit de milieux musicaux particuliers. D’une certaine façon, c’est une réussite dans le projet d’intégration c’est à dire dans le projet musical. Après cela reste quand même confiné à des gens qui ont une oreille assez sensible pour ce type de musique.
D : On voulait sortir du milieu du handicap, l’idée c’était de faire des ateliers musicaux, hors cadre des institutions. Mais la réussite résidait aussi dns le fait de faire écouter les résultats des ateliers et de susciter l’intérêt des institutions. Ce qui a marché ! Pendant l’expo on a accueilli plusieurs responsables d’institutions qui étaient intéressés. Depuis plusieurs années, on fait notre truc à l’écart, en essayant de trouver des moyens de produire ces ateliers. Là, c’était un peu une récompense.
Un collectif musical comme un autre
Sur la compilation, Sur les rails, on retrouve ce que vous avez enregistré en atelier et on retrouve également le groupe, les Harry’s. D’où vient ce groupe ?
A : Depuis le début on est sur l’idée d’être tourné vers l’extérieur, de faire vivre ça comme si c’était un projet, un collectif musical comme un autre. Et on s’est dit qu’on n’était surement pas les seuls à avoir cette dynamique. On a essayé d’identifier des gens qui faisaient des choses un peu proches. Les Harry’s sont issus d’un atelier radio et musique qui a été mis en place par l’hôpital de jour d’Antony.
D : Ils ont fait un concert d’ailleurs pendant l’exposition au Point Ephémère et considérer les Harry’s comme un groupe capable de participer à un concert, c’était l’idée générale. On s’est dit qu’on allait faire un concert avec des handicapés mentaux et des autistes comme on organiserait n’importe quel autre concert.
Votre projet, c'es aussi la volonté de montrer que les handicapés mentaux et les autistes sont aussi capables de créer ?
A : On préfère que ça arrive tout seul sans qu’on le dise parce que finalement ça a plus de portée quand on ne le dit pas. On ne fait pas ça dans le but de les soigner de ce qu’ils sont. Il y a un vrai plaisir à passer du temps avec eux et une sensibilité qui est assez particulière. Le but ce n’est pas de voir le projet sous l’angle du déficit mental. Ça n’aurait pas de sens que des gens qui ne s’intéressent pas à ce genre de musique s’intéressent au projet juste parce qu’il est produit par des handicapés mentaux et des autistes.
Pourquoi appelez-vous votre musique de la "Brut Pop" ?
A : Il y a toujours l’idée dans le milieu musical de trouver des étiquettes, ça fait partie du jeu pour clarifier et c’est aussi une façon d’éviter les débats où on va nous coller une étiquette dont les contours seront flous. Un petit jeu de mots avec "Brit pop" c’est aussi une façon d’apporter un peu de légèreté.
Avec la compilation Sur les rails vous participez au festival Bande Originale qui a débuté le 09 juillet, et qui est une exploration artistique sonore du canal de l’Ourcq. Comment s’est déroulé ce partenariat ?
D : Le collectif MU, à l’original de ce festival, nous a invité à participer à Sound Delta, un dispositif mis en place par eux. L’idée, c’est une disposition de sons dans l’espace. Chaque participant a une balise GPS. Et quand un participant « croise » une des bulles, il peut l ‘écouter. Il va y avoir pendant l’été des croisières sonores où un bateau naviguera le long du canal de l’Ourcq et fera ce pont entre Paris et la banlieue. C’est vraiment une exploration sonore de l’espace. Une application mobile, Sound ways a été mise en place. Elle pour but de devenir aussi un réseau social sonore. On peut par exemple choisir de mettre une bulle sur un territoire et les gens pourront commenter et rajouter un son.
Et maintenant, quels sont vos projets après Bande originale ?
A : Le collectif est une première étape. Ça s’inscrit dans un truc plus large. Pourquoi ne pas exporter l’exposition. On pourrait aussi chercher un local, pour faire un labo sonore, avoir un endroit où on développerait des instruments et on ne serait pas obligé de tout le temps se trimballer une valise avec du matos.
D : Il y a aussi un côté art visuel et plastique qu’on n'a pas eu le temps d’explorer encore mais qu’on a l’intention de mettre en place. On a aussi un projet de artzine pour montrer les dessins que les gars qu’on découvre en atelier font.
> Sur les rails, par Transport en Commun, Dokidoki éditions, juin 2014.
> Cet article a été réalisé dans le cadre de notre partenariat avec la StreetSchool de Streetpress.