Sankt Pauli borde la rive droite de l’Elbe et couvre une partie du port de Hambourg, le premier d’Allemagne. Latitude : 53°, longitude : 10°, altitude : 16 mètres. Nous voilà géolocalisés. Au XVIIème siècle les marginaux, pas forcément marins d’ailleurs, s’installent ici précisément, au même titre que les fabriques criardes et polluantes. Parmi ces prolos à l’espérance de vie faiblarde, débarquent les producteurs de câbles et cordages aka les Reepschläger. Des types qui avaient besoin d’espace pour fignoler leur besogne et qui donnèrent son nom à l’artère principale, Reeperbahn, 930 mètres de long aujourd’hui jonchée de travailleuses du sexe. A l’extrême fin du XIXème siècle, l’excroissance est finalement rattachée à Hambourg, Sankt Pauli devient alors quartier de.
Un quartier pour coucher, boire et rebuts
Le quartier popu voit, au fil des ans, s’ériger music hall, cabarets et autres tavernes. A Sankt Pauli, on danse, on vomit, on couche, dans un sens ou dans l’autre. Et puis. Et puis, les nazis arrivent au pouvoir. Dans un pays où l’art devient dégénéré, on imagine aisément que le déluré Sankt Pauli va pâtir de prohibitions à tout va. Oui, mais. Les Adolfiens savent qu’ils ne pourront pas liquider totalement ce haut lieu du fun. Alors ils ferment les yeux sur les cabarets mais les putes, faut pas déconner.
En ligne de mire, Herbertstrasse, une rue parallèle à Reeperbahn où la densité de filles de joie au mètre carré surpasse le nombre de catholiques dans la grotte de Massabielle. Les bordels restent ouverts mais deux murs en bois sont érigés à chaque extrémité de la rue et font office de rideau. Une histoire de rideau, une autre. Ladite rue est interdite aux femmes et aux enfants. Cette incongruité perdure depuis.
Et toujours, on vient ici pour faire la fête, exagérément. John Lennon aurait dit : « je suis né à Liverpool, mais je suis devenu adulte à Hambourg ». Top ten, Star Club, Kaiserkeller, Indra sont autant de clubs où les Beatles ont secoué leurs mèches et gratouillé en live entre 1960 et 1962, avant de ne plus pouvoir le faire faute d’évanouissements intempestifs. La musique a toujours tenu une place importante à Sankt Pauli. Aujourd’hui encore des clubs comme le Molotow ou le Hafenklang pour ne citer qu’eux continuent de faire les beaux jours du quartier. Le festival de Reeperbahn distille sa scène émergente, pointue et pas pêteuse, dans tous les clubs alentours. L’alternatif électrise aussi les théâtres, la rue, les squats et… le stade de foot.
No footure ou l’étrange mariage du gauchisme et du ballon rond
A Sankt Pauli la vie culturelle s’immisce partout, y compris dans les travées du Millerntor-Stadion, l’antre du club de foot du quartier. Souvent en deuxième division, parfois en troisième, jamais longtemps en première, le FC Sankt Pauli est un club moyen qui cultive un jeu sans contrôle. Si le football est parfois caviar, celui de Sankt Pauli serait plutôt œufs de lump. Les supporters ne sont pas dupes et sur le site, sous le logo du club, on arbore fièrement un « non established since 1910 », date de sa création. En vrai, le spectacle est autant dans les tribunes que sur la pelouse. Les matches apparaissent plus comme un prétexte pour se retrouver entre supporters, boire des canettes et agiter le drapeau à tête de mort – emblème du club – et symbole de la lutte du petit contre les gros. Car ce que le club préfère c’est taper – au sens propre et figuré – les gros comme le Bayern de Munich ou mieux, le Hambourg SV, le voisin « bourgeois » qui gagne des titres, lui.
Artistes, gauchistes, écolos, punks à chiens… les tribunes sont chamarrées et les idées claires : racisme, sexisme et homophobie sont proscrits. Comme un symbole, le club est le premier outre-rhin à faire jouer, au début des années 60, un footballeur venu d’Afrique noire. Mais au-delà des symboles, il y a les faits. Un stade rebaptisé lorsque les accointances du président historique du club avec les nazis ont été mises au jour. Une pub retirée du stade en 2002 parce que jugée sexiste. Le club qui se revendique anticapitaliste et œuvre concrètement pour la cohésion sociale du quartier. Les SDF sont invités, avant Noël, dans les loges VIP du stade et plusieurs associations culturelles sont parrainées par ce dernier. Plus qu’une philosophie, une politique.
L’histoire du quartier, de ses clubs underground et de ses putes, est étroitement liée à celle de son club de foot qui met à mal le système normatif. Mais, comme beaucoup d’autres quartiers alternatifs à travers le monde, Sankt Pauli doit aujourd’hui faire face à une gentrification et une spéculation immobilière qui menacent une vie de quartier bouillonnante. Heureusement, les clubs et les bars semblent bien décidés à ne pas baisser le son, les filles à ne pas rallonger leur jupe et le FC Sankt Pauli à continuer de ne rien gagner. Je dirais, qu’à partir de là, l’important, ce sont ces trois points… Rideau.