Rien à foutre de Nevermind

Rien à foutre de Nevermind

Rien à foutre de Nevermind

Rien à foutre de Nevermind

15 septembre 2011

Ou comment le vingtième anniversaire de la sortie du deuxième album de Nirvana me passionne autant que la campagne présidentielle d'Hervé Morin.

Le 24 septembre prochain, ce sont les 20 ans de la sortie de Nevermind. Eh oui, il y a déjà vingt ans que Cobain, Grohl et Novoselic ont sorti leur deuxième album qui, en quelques mois, a été vendu à plus de 27 millions d’exemplaires. Nevermind a donc popularisé le garage punk et fait sortir des groupes comme Chokebore ou Meat Puppets qui seraient sans doute restés dans l’ombre, sans le succès surprenant de cet album.

Pourtant, Kurt Cobain, le premier, n’a pas compris ce succès. Fortement influencé par Sonic Youth ou les Pixies, pour ne citer que les noms les plus ronflants, Nevermind n’était pas un album hyper-novateur. Il est sorti juste au bon moment pour une génération, cette damnée génération X, qui s’est vite reconnue dans le mal-être de Cobain et la puissance des morceaux du combo. Cette génération en bout de course voulait revenir à la simplicité et la fraîcheur du punk, en opposition avec les artifices de la worldpop ampoulée (prenez Michael Jackson…) auquel elle avait le droit .

Les médias ont donc surfé sur cette vague de dégoût tant qu’elle leur apportât ce qu’ils recherchaient, à faire croire qu’ils étaient en phase avec la jeunesse alors qu’ils essayaient juste d’être là où il faut, pour se donner l’image qu’il faut. Mais les petits grunges ne sont pas fait avoir comme leurs grands frères punks, ils ont généralement su mieux gérer leurs contrats (là, je pense aux Clash) et étaient sans doute encore plus cyniques sur le système que leurs aînés. Ils ne cherchaient même pas à le détruire sachant que c’était vain, que le système reposait aussi sur eux. Le système a besoin de la contestation. Il sait très bien la canaliser et en profiter. Les t-shirts floqués CCCP[fn]URSS en russe.[/fn] et du Che se sont aussi très bien vendus.

La grosse médiatisation du grunge est arrivée au zénith lorsque le genre était déjà mort. « Le punk est mort quand le premier gosse a dit que le punk n’était pas mort » (David Berman, leader des Silver Jews). Le mot était détruit, et tous les cinq ans, il est remplacé par un autre terme qui, finalement, revient aux bases du punk. Le lo-fi est mort à la fin des 90’s. Il a été remplacé par l’anti-folk. L’anti-folk est mort il y a cinq ans, tant mieux. Il sera remplacé par un autre genre qui se basera sur le principe premier : « Do It Yourself ». Fêter les 20 ans de cette sortie, c’est comme être nostalgique du punk, c’est absurde. L’autre paradoxe, c’est que cet album est devenu une sorte d’icône pour la génération X. Il y aura donc ceux qui le défendront becs et ongles et ceux qui le descendront car c’est une icône.

Nevermind ? Moins intéressant que In Utero

Donc comprenez-moi bien, loin de moi l’idée de contester le talent de Kurt Cobain and co. N’attendez pas là une sorte de descente en flammes avec des arguments à l’emporte-pièce comme quoi c’était un petit con de branleur qui était triste car il se sentait supérieur aux autres brailleurs avec qui il vivait ; et puis qu’il ne savait que composer des morceaux avec trois accords. On s’en fout. Il y a plein de bons groupes qui font de bons titres sur seulement trois accords. A l’inverse, Matthew Bellamy, le leader de Muse, fait des symphonies qui nous font saigner les oreilles, donc ça ne veut rien dire. Pour moi, Nirvana n’a jamais été qu’un groupe parmi d’autres et Nevermind moins intéressant que In Utero (à croire que ce qui nous plaît chez l’Artiste, c’est son mal-être ?). Pourquoi donc ce buzz sur Nevermind ? Parce que c’est fédérateur.

Pas besoin de chercher loin, pas mal aussi pour une première expérience. On m’a dit que c’était le meilleur groupe dans le genre, donc je l’écoute. Si j’adore, je vais essayer de renouveler l’expérience avec d’autres groupes. Alors pourquoi eux, en tête de gondole ? Je crois qu’il n’y a pas vraiment de réponses… C’est comme les audiences du foot ou de Roland-Garros… J’ai encore en mémoire une interview de Stephen Malkmus[fn]leader de Pavement.[/fn] qui, pour moi, a autant de valeur que la parole de Michel Platini et Jésus (c’est-à-dire inattaquable) se demandant pourquoi Nirvana a eu du succès et, par exemple, un groupe comme Sebadoh, non. Toujours cette facilité du groupe phare qui attire l’attention. Les Sex Pistols n’étaient certainement pas le groupe le plus intéressant du mouvement punk mais ils sont devenus les premiers représentants grâce au cynisme de Malcolm MacLaren. A croire qu’on aime plus un groupe pour ce qu’il représente que pour sa musique.
Ce n’est pas que je n’aime pas Nevermind : je n’aime pas ce qu’on en a fait. On a pris un album de grunge un peu au hasard, peut-être le plus facile, le plus enthousiasmant. On en a fait un truc monstrueux. On l’a déshumanisé.

C’est romantique un artiste qui brûle ses ailes !

Et puis, c’est vrai aussi que je ne suis pas compétent pour parler de l’effet Nevermind. Je n’ai peut-être rien compris, je suis arrivé après la bataille, au moment où c’était plus Cobain, l’artiste tellement désespéré qu’il s’est suicidé, que le compositeur de Polly. On adore les jeunes suicidés. Voyez l’extase de certains commentateurs quand ils déclarent le nombre d’artistes qui sont morts à 27 ans. Et c’est encore mieux quand c’est un suicide. C’est beau un artiste qui brûle ses ailes, c’est romantique, surtout quand il a une belle gueule et qu’il met des chaussures de clown pour aller nager dans le Mississipi.


J’étais un peu jeune lors de la sortie dudit album. Je n’ai pas senti le souffle. J’étais en CM1, ce qui est trop juste pour faire croire que je les ai vus aux Transmusicales de Rennes en 1991 (par contre, à la place, j’avais vu la Compagnie Créole dans la zone industrielle du Pigeon Blanc). J’ai néanmoins quelques souvenirs de la sortie de Nevermind, car la photo du bébé qui nage autour d’un dollar (plus des images fugaces d’un live sur Canal+) était bien frappante. Je n’ai dû vraiment écouter l’album que quatre ans plus tard. Juste après que la mode envahissante du port de chemises de bûcheron se soit estompée. Même s’il y avait encore quelques fans assez téméraires pour porter des t-shirts du groupe américain.

Mais ce n’est pas logique, Nirvana représentait une sorte de rebelle attitude officielle, un peu comme les punks à chien qui ont tous parfaitement le costume du punk à chien. Voilà, aimer Nirvana, c’était aussi passionnant et original que d’aimer Noir Désir, que d’être de gauche et d’être super bon au baby foot. Ainsi plus ou moins consciemment, moi j’ai évacué Nirvana de mon lecteur de cassettes pour y placer les œuvres des autres génies de l’époque, comme Beck et Lou Barlow. J’ai toujours préféré Martin Carr[fn]Leader des Boo Radleys.[/fn] aux frères Gallagher, Michel Cloup à Bertrand Cantat, Reynald Pedros à Youri Djorkaeff… On pourra me reprocher ce parti pris, cette posture "poulidoresque".


Et puis je n’aime pas les anniversaires. Je ne fêterai pas non plus les 20 ans d’Odelay[fn]Le troisième album de Beck.[/fn] ou de #3[fn]Le troisième album de Diabologum.[/fn] qui m’ont bien plus marqué que Nevermind. Ce que je n’aime pas dans les anniversaires de ce genre, c’est qu’il ya forcément ce relent de vieux combattant – « ah mes petits, à l’époque c’était autre chose, ce n’est pas comme maintenant » – très déstabilisant. Serions-nous tous devenus comme ces grosses bedaines qui se sont arrêtées d’écouter d’autres groupes après Led Zeppelin ? L’actualité musicale est-elle si pauvre ? Joe Strummer gueulait en 1977 : « plus de Beatles et de Rolling Stones ». Pas parce qu’il crachait sur la qualité de ces groupes mais qu’il en avait marre de leur omniprésence, de leur sacralisation.
Donc non, je ne participerai pas à la messe et j’écouterai Nevermind un autre jour, quand je ferai ma vaisselle, parce que c’est quand même un putain de bon disque.