Jeune turc né en Allemagne, Murat Kurnaz est arrêté en 2011 au Pakistan et remis aux autorités américaines. Suspecté sans preuve d’être un terroriste, il est envoyé dans le camp de Guantánamo. Sa mère Rabiye Kurnaz (Meltem Kaptan) enclenche alors une longue procédure judiciaire aux côtés de l’avocat Bernhard Docke (Alexander Scheer). Leur aventure va les mener jusqu’à Washington pour attaquer le président George W. Bush devant la Cour suprême des États-Unis.
Les yeux de la mère
Le déclic date de 2008 lorsque le réalisateur Andreas Dresen se voit confier Five Years of My Life: An Innocent Man in Guantanamo par un producteur. Dans cette biographie, Murat Kurnaz raconte comment cinq ans de sa vie ont été volés par l’administration américaine. Son seul crime : se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Séduit par ce drame à l’esprit kafkaïen, le cinéaste rencontre Murat Kurnaz à Brême. L’entretien confirme qu’il y a matière à un film passionnant autour de sa tragédie Pourtant, malgré l’enthousiasme, le projet va mettre plusieurs années avant de se concrétiser.
Andreas Dresen a en effet du mal à trouver l’angle pour raconter cette période sombre dans la vie de Murat Kurnaz. Tout s’éclaire lorsque Rabiye, la mère de Murat entre en scène. Avec son humour et son entrain communicatif, elle s’impose comme une évidence. Le projet prend alors une tournure inattendue : l’histoire de Murat Kurnaz sera portée à l’écran sous forme d’une comédie adoptant le point de vue d’une mère qui veut sauver son fils du pire lieu carcéral du monde. Et contre toute attente, ce pari risqué fonctionne parfaitement.
Funtanamo
Il faut une dose de courage – ou d’inconscience – pour adopter un ton léger pour évoquer l’horreur de Guantánamo. Cela a pourtant été une évidence dès la première rencontre entre la scénariste Laila Steiler et Rabiye Kurnaz. Mère famille terriblement attachante, Rabiye possède une force morale et un humour qui lui a permis de tenir pendant des années dans l’attente de la libération de son fils.
Loin d’être une construction scénaristique artificielle, le ton du film s’inspire honnêtement de la véritable Rabiye Kurnaz qui devient un incroyable personnage de cinéma attirant naturellement empathie et sympathie. Comédienne de stand-up jouant pour la première fois un rôle principal sur grand écran, Meltem Kaptan incarne cette mère aussi forte que touchante avec subtilité. Une performance qui a valu à la comédienne l’Ours d’argent de la meilleure actrice lors du festival de Berlin.
Le tort tue
La mère expressive et l’avocat très réservé forment un couple de cinéma dépareillé qui fonctionne très bien. Là encore, le film s’inspire de la personnalité du véritable avocat allemand qui a décidé de défier les États-Unis. Alors que Rabiye incarne le courage et la ténacité, Bernhard Docke symbolise la justice. Sa vision de la justice universelle qui ne souffre d’aucune exception est au cœur de leur combat commun.
À travers les échanges entre la mère et l’avocat, Rabiye Kurnaz vs. George W. Bush résume habilement toutes les questions fondamentales que posent le cas de Murat Kurnaz et de tous les autres détenus de Guantánamo. Rabiye en est convaincue : son fils est innocent. Pour Bernhard Docke l’enjeu est ailleurs. Sa conception de la justice interroge un enfermement qui se déroule en dehors de toute réglementation.
La captivité du jeune turc met en lumière la dérive d’une démocratie qui décide de se passer des règles les plus élémentaires de la loi. Car ce qui rend fou l’avocat est son impuissance légale face à la situation. Guantánamo est en effet en dehors de toute juridiction, un no man’s land où les recours légaux n’ont aucun poids. Avant même la question de la culpabilité des prisonniers, c’est leur droit à une défense équitable qui est posée. Une thématique qui ne pouvait que séduire Andreas Dresen, lui-même juge constitutionnel dans le Brandebourg.
De quel droit ?
Alors qu’une série comme 24 heures chrono (2001-2010) légitime l’usage de la torture dans les cas extrêmes comme le terrorisme, Rabiye Kurnaz vs. George W. Bush offre un point de vue plus complexe sur ces pratiques. Jusqu’où la lutte contre le terrorisme peut nous mener en tant que société ? Quels droits sommes-nous prêts à bafouer ? Autant de questions qui résonnent avec le sort personnel de Murat Kurnaz qui n’a pas seulement été enfermé pendant cinq années mais aussi torturé.
Des innocents sacrifiés comme des victimes collatérales d’une lutte nécessaire contre le terrorisme ? C’est le choix qui a été fait à l’époque par l’administration Bush. Mais pas seulement. En naviguant dans les méandres légaux de l’affaire, l’avocat Bernhard Docke découvre que l’Allemagne et la Turquie jouent également un jeu politique au sens le moins noble du terme en se renvoyant la balle. De la diplomatie inversée qui n’a fait que retarder la libération de Murat Kurnaz.
Incroyable marathon judiciaire d’une mère pour sauver son fils, Rabiye Kurnaz vs. George W. Bush met nos démocraties en face de leurs contradictions dans leur bataille contre l’horreur. Au-delà du renoncement aux valeurs fondamentales, Andreas Dresen rappelle au passage que ni Murat Kurnaz ni sa famille n’ont jamais reçu d’excuses des pays concernés. Sans parler de compensation pour ces années confisquées.
> Rabiye Kurnaz vs. George W. Bush (Rabiye Kurnaz gegen George W. Bush), réalisé par Andreas Dresen, Allemagne – France, 2022 (1h59)