Quand Robin sort des bois

Quand Robin sort des bois

Quand Robin sort des bois

Quand Robin sort des bois

1 novembre 2011

Robin des bois, on connaît. Il est chouette, c'est un preux chevalier, tout ça. Par contre, associé à une taxe sur les transactions financières, tout de suite, il perd de son charme. Dit comme ça, ça fait peur, mais promis, une fois qu'on a compris de quoi il s'agit, c'est simple, efficace et nécessaire. Comme Robin himself. On vous explique.

Robin des bois est bien réel, nous l’avons rencontré. Il était place de la Bourse, à Paris, le 14 octobre dernier, peu vêtu en vérité, et interpellait les dirigeants internationaux sur la nécessité de mettre en place une taxe sur les transactions financières. Un certain nombre d’associations, Oxfam en tête, a décidé de mener un véritable combat pour sa mise en œuvre. Une telle taxe aurait un double objectif : réguler la spéculation tout en réunissant un pécule qui pourrait servir à régler des problèmes sanitaires humains et écologiques.

Ces associations ont choisi leur combattant : Robin des bois, qui prend aux riches pour donner aux pauvres. Le personnage est devenu l’emblème et le symbole d’une campagne à la fois politique et médiatique qui commence à porter ses fruits. En France, l’association Attac, dont c’est le cheval de bataille, mais aussi Oxfam France, Aides et un certain nombre d’associations et syndicats se mobilisent pour que les pays membres du G20, qui se réuniront les 3 et 4 novembre, prennent enfin les décisions qui s’imposent.  
 


 

L’ancêtre : la taxe Tobin

La spéculation, c’est l’économie passée à la roulette du casino : les décisions de vendre ou d’acheter ne sont pas prises en fonction des performances, du potentiel de développement de l’entreprise ou du produit mais simplement sur la probabilité de faire un profit, le plus immédiat possible. Imaginons que ma voisine veuille faire une tarte aux pommes. Je fonce chez l’épicier, j’achète toutes les pommes afin de pouvoir les lui revendre bien plus cher. Dans ce cadre là, le prix de la pomme ne dépend pas du produit lui-même mais de ce que moi, spéculateur, je décide d’en faire.

Pour lutter contre ces dérives, l’économiste James Tobin propose, en 1972, une taxe sur les transactions financières, TTF pour les intimes. Il proposait de les taxer à hauteur de 1 % pour lutter contre la spéculation. Aujourd’hui, le montant de la taxe proposé est seulement de 0,05 %. Ainsi, si une transaction financière est régulière, la taxe n’est pas handicapante : 0,05 %, elle n’empêchera pas ma voisine d’acheter trois pommes. En revanche, s’il s’agit d’échanges purement spéculatifs, la taxe devient alors contraignante. Tobin ne se souciait que de réguler la spéculation, à chaque Etat de décider à quoi elle pourrait servir. Aujourd’hui, loin de l’avoir régulée, nous lui avons donné une place si importante qu’elle est en grande partie coupable de la crise dans laquelle nous nous trouvons. On a bien décerné à Tobin un prix Nobel d’économie en 1981 pour son analyse des marchés financiers, mais de là à concrétiser la proposition… Toutefois, on commence à prendre l’idée au sérieux et à comprendre que réguler la spéculation pourrait être bénéfique pour la santé de nos économies devenues boulimiques.

Aller plus loin

Si Tobin récusait tout lien entre sa proposition et une quelconque démarche altermondialiste, les associations ont vite élargi l’idée de la taxe : d’accord pour réguler, mais tant qu’à faire, autant bien utiliser cet argent. La santé publique, l’éducation, la lutte contre les changements climatiques et leurs conséquences humaines et sociales, la pauvreté et l’inégalité, etc. De nombreux domaines liés à l’aide internationale pourraient bénéficier du produit d’une taxe sur les transactions financières. Prendre aux riches pour donner aux pauvres, la boucle est bouclée et revoilà Robin.

Sans proposer quoi que ce soit sur le produit de la taxe, Tobin avait tout de même raison. Et il est vite apparu nécessaire d’utiliser un porte-voix pour faire entendre l’utilité d’une TTF dont le produit irait à ceux qui en ont besoin. La campagne Robin des bois est née d’un besoin de se faire entendre au G20. La métaphore est parlante et la campagne a d’ores et déjà permis au regroupement d’associations un certain nombre de victoires. Cette année, le G20 a mandaté la Fondation Bill Gates pour réaliser une étude sur les financements innovants du développement via notamment la création d’une TTF. Et à l’occasion d’un dîner de travail, un communiqué du ministère des Affaires étrangères rappelait « la détermination de la France à obtenir qu’un groupe de pays pionniers se prononcent en faveur de l’instauration d’une taxe sur les transactions financières ». 
 


 

Faisable, simple et efficace

Elle est loin, l’époque où la TTF était vue comme une utopie d’extrême-gauche. Aujourd’hui, un millier d’économistes a apporté son soutien à la taxe Robin des bois, affirmant par là la faisabilité et l’intérêt d’une telle taxe. Fut un temps, Dominique Strauss-Kahn, alors directeur général du FMI affirmait que « les transactions financières étant très difficiles à mesurer, une telle taxe serait très facile à contourner ». En avril 2010, un rapport émanant du même FMI (mais n’engageant que l’économiste l’ayant rédigé) affirmait l’inverse et proposait au G20 de se pencher sérieusement sur la question – ce qu’il semble s’être décidé à faire.

Aujourd’hui, la mise en pratique de ce que proposent les tenants de la taxe Robin des bois est de moins en moins contestée. Quid de son utilité ? Robin des bois n’est pas aussi gourmand que Tobin et ne réclame qu’un prélèvement de 0,05 % sur les transactions. Mais le volume des échanges est tel qu’une si petite taxation pourrait donner de grands résultats et permettrait de lever « entre 6 et 10 milliards d’euros chaque année en France, 220 milliards en Europe, et autant aux États-Unis », explique le site officiel de la campagne. Et afin de concrétiser ce que de tels chiffres signifient, l’association Oxfam, à l’origine de la campagne, tient les comptes (en dollars) : « Il faudrait au moins 168 milliards pour financer les Objectifs du Millénaire pour le Développement ; 156 milliards afin de lutter contre le réchauffement climatique (86 pour l’adaptation et 70 pour l’atténuation) ; 16 milliards chaque année pour financer l’éducation primaire pour tous dans les pays les plus pauvres et l’Organisation mondiale de la santé estime que 28 à 37 milliards par an seraient nécessaires pour renforcer les systèmes de santé dans les pays du Sud ».

Quels acteurs pour la mettre en place ?

Bien sûr, ce chiffre s’ajouterait à l’Aide Publique au Développement. L’APD est prévue au budget des Etats les plus riches (membres de l’OCDE) et sert à construire dispensaires, routes, écoles et aider l’agriculture dans les pays en voie de développement. Les Nations Unies recommandent 0,7 % du PNB, mais n’ayant aucune obligation, peu d »Etat s’y plie. Même si certains membres du G20 décident de signer un accord pour mettre en place une TTF sur le modèle de celle que souhaite Robin des bois, il reste que la mise en place n’est jamais simple ni, à ce jour, précisément établie.

Comme l’expliquait le communiqué du ministère des Affaires étrangères, la France s’est d’ores et déjà engagée à porter le projet et souhaite dégager un nombre certain de pays pionniers. La taxe pourrait alors être mise sous l’égide d’une organisation internationale, supranationale ou régionale selon le nombre de signatures. De son côté, l’Union européenne, portée par le couple franco-allemand, semble vouloir donner une impulsion. Le Parlement européen a récemment voté pour et la Commission européenne ainsi que le Conseil de l’Europe commencent à se pencher sur la question. D’autres pays (en Afrique, Europe, Amérique du Sud et Asie) poussent en ce sens autours notamment de la Déclaration sur les financements innovants pour le développement qui pose la nécessité d’une TTF ; de plus en plus, les réfractaires comme le Canada et les Pays-Bas semblent isolés.

Robin des bois a déjà gagné puisque son combat est désormais reconnu. Près de 100 000 personnes en France et 500 000 dans le monde ont signé la pétition qui a été remise le 21 octobre dernier à Nicolas Sarkozy pour les membres du G20. Les différentes prises de position sont encourageantes mais rien n’est joué. Sur Facebook et Twitter, la mobilisation continue. Et ce week-end, c’est bien du côté de Cannes qu’il faudra porter toute notre attention.