En 1960, Napoléon, l'Empereur de la campagne de la froide Russie est représenté dans une publicité pour les… réfrigérateurs Far. En 1925, Marianne, pour sa part, était le symbole de la révolution. Celle du goût bien sûr, avec l'assaisonnement Suavitos. C'est cette utilisation des grandes figures de l'Histoire dans la réclame que retrace l'exposition L'histoire de France racontée par la publicité, à la bibliothèque Forney à Paris. 150 affiches, étiquettes, publicités parues dans la presse et documents vidéo présentent l'Histoire telle qu'elle a été utilisée ou détournée à travers les époques.
Et cela commence dans les manuels scolaires ! Car avec les lois Jules Ferry de 1881 et 1882, l'école devient gratuite, laïque et obligatoire. Les couches populaires accèdent à la lecture et à l'enseignement de l'Histoire. Alors les manuels scolaires, soucieux de raviver dans la conscience collective l'idée d'appartenance à une nation, mettent en valeur des personnages connus pour leur moralité ou leur courage. C'est ce transfert de notoriété qu'utilisera la réclame pour vanter ses produits à grands renforts d'affiches illustrées, en pleine fondation de la IIIe République entre 1890 et 1914. "Cette période, caractérisée par des politiciens sans réel pouvoir, est prétexte à la dérision. On n'hésite pas à tourner le président de la République au ridicule", explique Claudine Chevrel, commissaire de l'exposition.
Représenter une vertu à travers un personnage
Si les supports publicitaires évoluent, certains personnages, eux, restent les chouchous des publicitaires de toutes les époques. Et d'autres sont boudés. "Louis XV et Louis XVI avaient des maîtresses, ils étaient perçus comme peu vertueux, la publicité les a donc peu retenus. Jeanne d'Arc en revanche est une sainte, elle représente la pureté : on utilise notamment son image pour vendre du savon", note Claudine Chevrel.
Henri IV, très populaire, est également embauché pour vendre toutes sortes de produits, de la bière utilisant sa célèbre phrase "ralliez-vous à mon panache blanc", à l'Armagnac, rappelant les racines du roi dans le Sud Ouest. Sans oublier Napoléon, "largement en tête des personnalités historiques dans la publicité", indique Claudine Chevrel, des réfrigérateurs aux pastilles, faisant également référence à la campagne de Russie car destinées à soigner ceux qui ont pris froid. Mais les illustres personnages ne sont pas les seuls dépeints par la pub. Les artisans de l'Histoire que sont les soldats tiennent aussi une place importante. Ainsi le soldat devient-il à la fin du XIXe siècle le symbole de la virilité en s'affichant sur la réclame avec des produits très masculins à l'époque que sont les cigarettes et les alcools.
L'Histoire de France revisitée par la pub est pleine d'humour, mais aussi d'anachronismes. Ainsi, Roland ne serait pas mort à Ronceveaux mais se serait enfui… sur un vélo de la marque portant son nom. "La publicité a toujours utilisé l'Histoire par le biais de l'humour et du détournement. Si le consommateur rit, il va se souvenir de la marque et acheter", analyse Claudine Chevrel. Rire avec la pub, cela nécessite de comprendre les époques, personnages ou slogans auxquels elle fait référence, à l'image des supermarchés Leclerc qui reprendront le slogan et un graphisme de mai 1968, "il est interdit d'interdire", pour le détourner et vanter leurs prix bas.
Les hommes politiques actuels loin des affiches de pub
Quid des personnages qui sont en train d'écrire l'Histoire ? "On ne pourrait plus se moquer aujourd'hui de nos politiciens comme on le faisait sous la IIIe République, car on a désormais un article du Code civil protégeant la vie privée, dont découle le droit à l'image", rappelle Claudine Chevrel. La pub ne caricature plus un président en exercice, ou dont les ayant-droits pourraient contre-attaquer. "Quelques publicitaires se sont aventurés à utiliser l'image de présidents contemporains comme Georges Pompidou et Nicolas Sarkozy, et à chaque fois que ces hommes politiques les ont attaqués, ils ont gagné leur procès".
"Les 9 dixièmes des images présentées dans cette exposition ne pourraient plus faire l'objet de publicité maintenant", estime Claudine Chevrel. Soit parce qu'elles mettent en avant l'alcool et le tabac, ce qui est désormais interdit, soit parce qu'elles caricaturent l'image d'un politicien, ce qui n'est plus possible pour une utilisation commerciale. ll reste cependant toujours une fenêtre pour les facétieux désireux d'utiliser un trait de caractère ou un détail de la vie de nos politiciens : "les périodes d'élections sont encore aujourd'hui des moments de plus grande liberté. Les publicitaires savent qu'ils peuvent aller un peu plus loin sans que les candidats ne les attaquent, par peur de passer pour des gens sans humour".
> L'Histoire de France racontée par la publicité, jusqu'au 27 avril 2013. Bibliothèque Forney, 1 rue du Figuier, 75004 Paris – Du mardi au samedi de 13h à 19h. Entrée : 6 euros / 4 euros (tarif réduit).