Question piège : combien de suites ont été données au « teen movie » American Pie [fn]Paul et Chris Weitz, 1999.[/fn] ? Deux ? Faux. Du moins, en partie. Car si American Pie 2 [fn]James B. Rogers, 2001.[/fn] et American Pie : Marions-les ! [fn]Jesse Dylan, 2003[/fn] ont eu droit à une distribution dans les salles françaises, quatre autres suites sont arrivées dans les bacs à DVD sans passer par la case ciné. Peut-être connaissiez-vous déjà ces « sequels » aux titres évocateurs –American Pie : No limit ! [fn]Steve Rash, 2005.[/fn], American Pie présente : String academy [fn]Joe Nussbaum, 2006.[/fn], American Pie présente : Campus en folie [fn]Steve Waller, 2007[/fn] et American Pie présente : Les sex commandements [fn]John Putch, 2009[/fn] – puisqu’en DVD, elles se sont écoulées, en moyenne, à 80 000 exemplaires en France. Un très bon score pour ces « potacheries » médiocres, sans grand lien avec l’original, si ce n’est des gags orientés vers les bas-ventres et le daron Eugène Levy (l’acteur canadien qui joue le père de famille) venu cachetonner. Une très bonne opération également pour l’éditeur Universal Pictures Video, qui a pu capitaliser, à moindre frais, sur cette franchise.
« Quand on sait que l’on a un mauvais film mais que l’on peut faire une bonne bande-annonce, on va opter pour une sortie directement en vidéo, confie avec une honnêteté appréciable Alexis Mas, chef de groupe nouveautés chez Fox Pathé Europa (FPE). Au cinéma, le même film, ferait peut-être un très bon premier mercredi, puis un week-end moyen, mais il dégringolerait parce que le bouche à oreille est négatif. Or, le bouche à oreille est quasi-inexistant sur le marché du DVD. »
Attention cependant à ne pas emprunter le raccourci prétendant qu’un film sorti directement en DVD (on parle de « direct to video » ou « direct-to-DVD ») est forcément une daube innommable. « C’était peut-être vrai il y a quelques années, mais aujourd’hui, ce marché n’est plus une poubelle, poursuit Alexis Mas. Il représente de 15 à 20% des sorties de films en DVD. » Et cette part devrait croître davantage à l’avenir.
D’un point de vue économique, « sortir un film en salles coûte cher. En plus des copies [fn]la fabrication d’une copie 35 mm coûte entre 1000 et 2000 euros, une copie au format numérique revient dix fois moins cher.[/fn], les budgets marketing sont conséquents », indique Eric Legay, directeur marketing d’Universal Pictures Video. Si le potentiel du film en salles est jugé relativement faible, une sortie directement en vidéo présente moins de risques. D’autant que, chaque mercredi, avec une quinzaine de nouveaux films qui débarquent, c’est l’embouteillage dans les multiplexes et cinémas de quartiers. « Face aux limites d’une distribution dans un nombre de salles restreint, [sortir un film directement en vidéo] est parfois un meilleur service à rendre à certains films », glisse un porte-parole de Wild Side. « A la fois pour tenter de s’y retrouver économiquement et pour [lui] permettre de mieux rencontrer [son] public. »
Ainsi, Moon [fn]Duncan Jones, 2009.[/fn], malgré les éloges quasi-unanimes dont il a été couvert dans tous les festivals où il a été projeté, n’a pas eu les honneurs du grand écran en France. « Les échecs en salles de Solaris [fn]Steven Soderbergh, 2002.[/fn], remake du film éponyme d’Andrei Tarkovski, 1972, et de Sunshine [fn]Danny Boyle, 2007.[/fn], deux autres exemples de science-fiction contemplative, ont dû être dissuasifs », imagine Alexis Mas. Edité en DVD et Blu-ray par France Télévisions Distribution, cette pépite britannique se vend très bien. Si, sur les forums internet, les cinéphiles se scandalisent que Moon n’ait pas été exploité au cinéma, ils se sont quand même procurés le DVD, le buzz positif ayant attisé leur attente.
Autre exemple : The Blind side (John Lee Hancock, 2009), qui a valu une statuette de la meilleure actrice à Sandra Bullock lors de la dernière cérémonie des Oscars. La prestigieuse récompense, souvent utilisée comme un argument marketing, n’aura pas suffi à assurer la carrière du film dans les multiplexes hexagonaux. Débordant de bons sentiments, il parle notamment de football américain, traitement et sujet peu fédérateurs pour le public français.
Les « direct-to-vidéo » permettent donc de s’adresser à des niches de marché qui, sans être négligeables, ne représentent pas un vivier de spectateurs suffisant pour garantir la carrière d’un film au cinéma. Les films produits par la World Wrestling Entertainment (WWE), avec des stars du catch telles que John Cena, font un carton auprès du grand public de province. « On vend 40 000 ou 50 000 exemplaires de chaque titre, confie Alexis Mas, alors qu’ils n’auraient sans doute pas rassemblé 600 000 spectateurs en salles.» Pourquoi 600 000 entrées ? Parce que les professionnels expliquent que le potentiel de ventes d’un film en vidéo représente environ 9 % du nombre d’entrées enregistrées au box-office. Il en va de même pour les séries-B d’horreur qui ravissent la communauté des amateurs de cinéma bis, ou pour certaines comédies américaines dans lesquelles cabotinent Will Ferell ou Adam Sandler, pointures de l’humour US ayant leur aficionados de ce côté de l’Atlantique.
Autre point fort des « direct-to-vidéo » : ce sont des films peu piratés. « Contrairement à ce que l’on peut penser, ce n’est pas la mise à disposition du matériel qui va entraîner le piratage du film, mais la publicité », insiste Alexis Mas. « Un long-métrage comme Kick-Ass [fn]Matthew Vaughn, 2010.[/fn] ne marche pas vraiment en DVD, beaucoup de gens l’ont rippé [fn] »Ripper » signifie récupérer sur son disque dur des données provenant d’un contenu multimédia tel que le CD ou le DVD.[/fn]. Paradoxalement, il a souffert de sa grande visibilité en salles… ».
Les uns « direct to vidéo », les autres victimes de leur notoriété. Les blockbusters survitaminés auraient donc des points communs avec leurs parents pauvres !
Retrouvez également l’article « Les trois direct-to-DVD qui valent le détour« , sur Citazine.