Les Pearlies, bienfaiteurs de Londres

Les Pearlies, bienfaiteurs de Londres

Les Pearlies, bienfaiteurs de Londres

Les Pearlies, bienfaiteurs de Londres

13 janvier 2015

Elles règnent sur Londres depuis plus d'un siècle, perpétuant une tradition victorienne aux valeurs altruistes. Surnommées Pearlies, à cause de leurs costumes traditionnels recouverts de boutons de nacre, ces "familles royales" déambulent dans les rues de la capitale pour récolter de l'argent au profit de nombreux organismes de bienfaisance. L'histoire à l'origine de leur saga n'est pas sans rappeler les romans de Charles Dickens. Loin du faste de Buckingham, ces régents décalés à la verve cockney sont issus des quartiers populaires et sont avant tout des régents de cœur.

En ce dimanche ensoleillé, ils sont une bonne dizaine agglutinés auprès de l’église Saint-Paul, au cœur de Covent Garden. Certains arborent de majestueux chapeaux à plumes, d’autres portent des casquettes en guise de couronne, tous sont vêtus d’un costume sombre orné de boutons de nacre. Certains de ces costumes peuvent peser jusqu’à 30 kilos et compter 30 000 boutons. Au milieu de la cacophonie ambiante et des hordes de touristes qui se bousculent, rien ne semble perturber les membres de la Pearly Kings and Queens Society. Les rois et reines de ce jour, retraités pour la plupart, sont postés sous le parvis, une tasse de thé à la main et sourient tranquillement aux badauds curieux qui, attirés par leur accoutrement singulier, ne peuvent s’empêcher de quémander une photo à leur côté. S’ils ajoutent une touche d’excentricité au folklore local, les Pearlies ne sont pas sortis pour faire de la figuration, ils sont ici pour récolter des fonds pour des associations caritatives.

L'histoire d'un orphelin balayeur

Ceux qu’on appelle aussi les Pearly Kings and Queens sont issus d’une lignée de bienfaiteurs et perpétuent une tradition anglaise vieille de plus d’un siècle. Un homme nommé Henry Croft est à l’origine de cet héritage culturel au sein duquel trônent des valeurs philanthropiques. A la fin du 19ème siècle, cet orphelin balayeur de rues qui travaille aussi sur les marchés, se lie d’amitié avec les membres d’une communauté de costermongers, ou marchands des quatre saisons, du quartier est de Londres, le quartier ouvrier. Ces marchands, de fruits et légumes principalement, avaient entre autres l’habitude de coudre des boutons sur les revers de leurs pantalons, vestes et chapeaux. Le  jeune Henry se serait inspiré du style vestimentaire et de l’esprit d’entraide et de générosité de cette communauté soudée à l’accent cockney pour former sa charitable entreprise. Pour faire la différence au sens figuré, Henry Croft sait qu’il doit d’abord faire une différence au sens propre. Il décide donc d’écumer les marchés pour collecter des boutons de nacre, perdus par les clients pour la plupart.

Il les coud un à un sur une veste en queue de pie, puis sur un pantalon et enfin sur un chapeau haut-de-forme jusqu’à obtenir un costume entièrement nacré, témoin de sa détermination. Sa mission : aider l’orphelinat où il a grandi. Pour ce faire, il se promène dans les rues de Londres en habit d’apparat et c’est en attisant la curiosité des  passants qu’il réussit à devenir une véritable attraction locale et à collecter ses premiers pennies, début d’une fortune dédiée aux plus démunis. Sa popularité devient telle que des hôpitaux et autres associations caritatives font appel à ses services pour lever des fonds au profit d’autres causes. Victime de son succès, Henry Croft a très vite besoin d’aide pour gérer ses bonnes œuvres. C’est auprès de ces amis les costermongers qu’il trouve les âmes charitables qui vont lui permettre de concrétiser un véritable organisme de bienfaisance. Ce Robin des Bois endimanché ne sait pas encore qu’il vient de créer la monarchie des Pearlies.

28 familles londoniennes

A sa mort en 1930, Henry  avait réussi à collecter l’équivalent d’environ 250 000 euros. Une belle victoire pour celui qui laissait aussi derrière lui 28 familles ouvrières, soit à l’époque une pour chaque borough (les quartiers de Londres), déterminées à perpétuer une coutume qui perdure encore aujourd’hui, plus de 125 après.

La mission suprême des Pearlies : apporter de l’aide à ceux qui en ont le plus besoin. Invités un peu partout, ils participent à de nombreux événements caritatifs lors desquels ils ne manquent pas de célébrer et partager leur héritage. "Lorsque nous allons dans les maisons de retraite, les hospices ou les écoles nous partageons l’histoire des Pearlies, nous chantons des chansons traditionnelles, c’est agréable de pouvoir mettre un sourire sur des visages", explique Carole. Elle et son mari Pat sont, depuis plus de 35 ans,  les Pearly King and Queen de Crystal Palace, un quartier au sud de Londres. "C’est bien de faire partie d’une tradition qui dure depuis si longtemps", confie Carole avec un sourire nostalgique. En plus de participer et d’aider à organiser de nombreux événements annuels, Carole et Pat sont à Covent Garden tous les mois pour collecter de l’argent au profit des organismes qu’ils soutiennent : hôpitaux, orphelinats, organismes de lutte contre le cancer, Alzheimer, la Croix Rouge et bien d’autres. Ce n’est pas la demande qui manque, "on reçoit des demandes de donation tous les jours, mais nous devons faire des choix tous les ans, explique Carole. A la fin de chaque année nous partageons l’argent récolté et le répartissons entre les différentes associations sélectionnées".

Une famille royale divisée

Si la mission est noble, les rivalités restent inévitables. Au fil du temps la communauté des Pearly Kings and Queens s’est transformée et des désaccords sont apparus entre les membres, divisant les familles en différents groupes. Aujourd’hui on distingue plusieurs organisations dont la Pearly Kings and Queens Association, l’organisation d’origine fondé par Henry Croft et la London Pearly Kings and Queens Society, créée en 2001, dont Carole et Pat sont désormais membres. "Nous suivons la même coutume que les autres mais nous faisons les choses différemment. Nous sommes plus… traditionnels", dit Carole en souriant. "Notre priorité est de collecter des fonds alors que d’autres font ça pour la gloire et n’appartiennent pas à la classe ouvrière". La devise de la London Pearly Kings and Queens Society : Honneur, confiance et loyauté. "Honneur car vous devez croire en ce que vous faites et vous le faites pour aider votre prochain, confiance car vous devez être une personne de confiance pour être en charge de l’argent collecté, loyauté car vous vous devez d’être loyal envers les gens avec qui vous travaillez et ceux que vous aidez", explique Carole fièrement.

Selon la coutume le titre de roi ou de reine Pearly se passe de génération en génération mais un titre peut être passé à une autre famille élue, s’il n’y a pas d’héritier par exemple. Aujourd’hui, la London Kings and Queens Society compte une majorité de retraités, les Pearlies ne sont pas rémunérés et un tel dévouement demande du temps et un engagement significatif. "Il y a quelques jeunes impliqués mais pas autant qu’avant", reconnaît Carole. Malgré tout la descendance semble assurée : l’une de ses filles est la reine de Croydon et ses enfants sont princes et princesses et participent aux événements officiels comme leurs aînés. Cette tradition haute en couleur ne donne donc pas de signe de fatigue.  "Regardez moi ça, on attire encore les foule !" lance fièrement Carole. "C’est vrai que le costume attire l’attention. Les gens s’arrêtent plus facilement", porusuit-elle.  Non loin de là, deux de ses compagnons sont encerclés par un groupe d’américains enthousiastes, promesse d’une séance photo et d’une donation certaine. 

"Il faut que j’y retourne, c’est bientôt l'heure de notre réunion", conclut la reine de Crystal Palace. Au programme, l’organisation du Harvest Festival, rendez-vous annuel de tous les Pearlies de la capital en octobre, durant lequel rois, reines, princes et princesses paradent dans les rues de la capitale. Une procession carnavalesque qui fait pleuvoir les dons et annonce le début d’une nouvelle saison sous le signe de la générosité. Les Windsor n’ont qu’à bien se tenir.