La Paz, Santa Cruz et splendeur

La Paz, Santa Cruz et splendeur

La Paz, Santa Cruz et splendeur

La Paz, Santa Cruz et splendeur

7 novembre 2011

Du haut de ses 4 100 mètres d'altitude, entouré de sommets enneigés avoisinant les 6 500 mètres, El Alto domine la ville de La Paz, elle-même perchée à 3 600 mètres. Prenez de la hauteur et ouvrez vos yeux pour un road trip en Bolivie. Déconcertant, chaud, humide et coloré.

L’atterrissage est à couper le souffle. Non, définitivement, nous n’avons pas choisi le bord de mer comme destination de vacances : la tête qui tourne, le manque d’oxygène, les membres qui tremblent… La vue sur la capitale, une cuvette débordant de constructions en tous genres, est également impressionnante : d’entrée, on en prend plein la figure. Et puis ça continue : les couleurs, les odeurs, la foule, les cireurs de chaussures cagoulés à chaque coin de rue, les scripts qui tapent – à la demande et en pleine rue – des textes sur de vieilles machines à écrire, las brujas, (les sorcières, littéralement) qui proposent – entre herbes médicinales et poudres de toutes les couleurs – des embryons de lamas pour chasser les démons de votre nouvelle maison, les mini-vans qui sillonnent la ville en gueulant le nom de la ligne à tout va, « la B, la B, la B ! », les ruelles qui montent et qui descendent comme pour dire : « oui mon vieux, tu es à 4 000 mètres d’altitude, ça te pose un problème peut-être ? »

Minés par l’Espagne (et les autres)

Nous sommes sur l’Altiplano, un haut plateau de 3 700 mètres d’altitude qui domine toute la partie occidentale de la Bolivie. Notre première escale ? Oruro. Avec Potosi, ce sont des cités minières connues pour leurs "collines" riches en minerais : cuivre, étain, mais avant tout argent. Dès 1545, l’Etat espagnol puise dans la montagne des quantités colossales de métal précieux qui alimentent les caisses de la couronne espagnole (qui le dilapide vite fait bien fait, soit dit en passant).

 

On raconte même que la quantité d’argent extrait dans les mines de Potosi aurait suffi à construire un pont au-dessus de l’Atlantique pour relier Potosi à la péninsule ibérique ! Pour extraire de telles quantités d’argent, les colons ont mis des millions d’Indiens au travail forcé, puis, une fois ces derniers décimés par les éboulements et les problèmes respiratoires dus à la poussière dans les mines, ils les ont tout simplement remplacés par des esclaves venus d’Afrique. En tout, on estime à 8 millions le nombre d’hommes qui périrent dans ces mines dans des conditions atroces.

La vie en fanfare

Aujourd’hui, les mines sont organisées sous forme de coopératives menées par des mineurs ne désespérant pas de trouver LE filon d’argent et surtout de zinc, puisqu’il constitue aujourd’hui 40 % de ce qui est exploité. Pour cela, ils sont obligés d’aller chercher toujours plus profond dans la montagne, parfois par plus de 50° C. Mais de manière générale, les mineurs extraient tout juste de quoi survivre…
Ce n’est pas pour cela qu’ils se plaignent. Ici comme ailleurs, il semblerait que la bonne humeur soit inversement proportionnelle au PNB local. Les habitants d’Oruro sont pauvres ? Qu’à cela ne tienne : la ville est célèbre dans tout le pays pour son carnaval.

Quelques semaines avant qu’il ne démarre vraiment, les fanfares et les danseurs déambulent déjà dans les rues. A quelques heures de là, à Sucre, même ambiance : pendant tout le mois qui précède la grosse fête, les jeunes balancent des bombes à eau dans toute la ville et sur n’importe qui. Ils vont même jusqu’à se poster au bord des routes pour viser les fenêtres ouvertes des bus qui passent… Ça fait du bien de redescendre un peu : 2 700 mètres d’altitude.

L’Altiplano dans toute sa splendeur…

Pour nous déplacer en ville, nous avons le choix entre les minibus et les micros, mais pour les longues distances, il faut monter dans les flotas, des bus 4×4, surélevés, avec des roues comparables à celles de nos tracteurs, le minimum pour parcourir les pistes en terre cahoteuses, boueuses et souvent traversées pas les rivières. Imaginez des sièges montés sur des machines à laver en mode "essorage". Le but de notre périple : découvrir le sud de l’Altiplano, réputé pour ses paysages incroyables et désertiques. Il est d’abord hors de question de rater le Salar de Uyuni, qui n’est rien de moins que la plus vaste réserve de sel au monde.

A la saison sèche (avril-décembre), sa surface est blanche sur une bonne épaisseur, comme un désert de glace. Mais à la saison des pluies, une fine couche d’eau le recouvre sur quelques centimètres, et lui donne un aspect de miroir : on perd ainsi la notion d’horizon et on a l’impression de flotter dans les airs. Puis direction Los Lipez, une région qui regorge de phénomènes géothermiques en tous genres : volcans de plus de 6 000 mètres d’altitude, lagunas de toutes les couleurs, geysers, sources d’eau chaude… Le site est classé réserve naturelle notamment pour la faune qu’il abrite : flamencos (flamants roses), vigognes et autres animaux incroyables…

…et nous, pauvres (riches) touristes

Ce road trip, on en rêvait depuis un reportage de Nicolas Hulot survolant le Salar de Uyuni en montgolfière, traversant ces paysages démentiels puis entamant l’ascension du volcan Licancabur avant de redescendre en parapente, libre comme l’air. Nous, on a commencé par l’atterrissage : pour découvrir le coin, on est obligé de passer par un circuit organisé. Pas le choix : on traverse un immense désert, les pistes sont difficilement repérables et peu praticables puisqu’elles montent jusqu’à 4 900 mètres d’altitude.

Notre "guide" est en fait un chauffeur de taxi mécano mutique, totalement blasé par les espaces grandioses que nous traversons. Des nuées de 4×4 nous rejoignent, à chaque étape, pour montrer à des clones de nous-mêmes des paysages dont la beauté surréaliste est ternie par les hordes de véhicules et leur concert de moteurs… Ce désert fantastique n’est protégé par aucune loi, ce qui le laisse à la merci de l’exploitation d’entreprises attirées par cet espace qui est aussi l’une des plus grandes ressources de lithium au monde. L’envers du décor.

Santa Cruz, une autre Bolivie

Mais la vie continue et nous avons rendez-vous avec Santa Cruz. Finis les lamas, les hautes montagnes, les déserts de minéraux, les paysans, l’artisanat. La ville s’est développée en un rien de temps. Avec près de 2 millions d’habitants, elle constitue le moteur économique du pays ; on peut dire adios aux petits repas pour trois sous à chaque coin de rue ! La géographie du lieu aussi est bien différente : on se trouve à la lisière de la forêt amazonienne, à 450 mètres d’altitude, sous un climat semi-tropical. Au programme : 35 degrés, chaleur et humidité.

 

Les alentours sont très verts, denses et occupés par une faune diversifiée… Le contraste est omniprésent. Les marchés jonchés de fruits en tout genre côtoient les hypermaxis où l’on trouve presque tout. Les petites boutiques de survie alimentaire avoisinent les shops de fringues classes. Les tacots rouillés roulent à côté des gros 4×4 flambants neufs. Les serveurs triment pour 80 € par mois tandis que d’autres ont les moyens de se payer une villa avec piscine et occupent leurs journées en se faisant refaire le nez.

Hasta la victoria…

Politiquement parlant, Santa Cruz est aussi à part. Elle est en constante opposition avec le gouvernement Morales. Le président, d’origine indienne des hauts plateaux et plus précisément de la ville minière d’Oruro, est très apprécié dans l’occidente, mais dans la région de Santa Cruz, l’oriente, la population se méfie de ses actions socialistes et de sa lutte contre le capitalisme. Ici, il n’est donc pas rare de voir des manifestants dans la rue : les bloqueos. D’ailleurs, depuis qu’on est là, il y en a tous les jours, et ils sont tenaces ! Là encore, on perçoit l’envers du décor à chaque coin de rue. On ressent de la sympathie, de la colère, de la tristesse, de l’impatience, de la déception, de la joie…

Mais dans un voyage, il vaut mieux ne pas faire le tri des émotions fortes et garder tout en vrac dans un coin de sa tête. En vrac ? Les vendeurs d’ampoules qui branchent toutes les lumières en pleine rue pour montrer qu’elles fonctionnent. Les pâtissiers qui exposent leurs énormes gâteaux à la crème de toutes les couleurs. Les chauffeurs de bus qui, le soir, transforment leur véhicule en hébergement pour leur famille. Les gamins qui vendent de l’eau de vie en pleine rue pour étancher la soif des musiciens de fanfare. Les autobus qui roulent à tombeau ouvert sur les pistes défoncées. Les baños publicos (toilettes publiques) dans un état répugnant où quelques Indiens viennent faire leur toilette intégrale. Les vendeurs de gélatine de toutes les couleurs. Les étals de viande mouchetés de fiente de pigeon. Et des lamas, encore et toujours, au détour de tous les chemins.

 

> Article initialement publié dans Shi-zen.

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