L’heure du moyen métrage

L’heure du moyen métrage

L’heure du moyen métrage

L’heure du moyen métrage

Au cinéma le

Ni long métrage, ni court métrage, le moyen métrage est un format singulier. Objet frais et original à l'honneur au Festival du cinéma de Brive, dont la neuvième édition s'est tenue du 10 au 15 avril dernier. L'occasion de découvrir de nouveaux talents qui rêvent de longs métrages et des ovnis qui ne choisissent pas entre art contemporain et cinéma. Citazine y était. Débriefing.

Petits films entre amis

A Brive, chaque année, ce n’est pas la "grande famille du cinéma" qui se retrouve, mais plutôt une bande d’amis et collègues aux contours mouvants. Ils sont peu ou prou de la même génération et font leurs armes dans des formats courts, avec des petits budgets, en espérant réaliser ensuite un premier long-métrage (ce qui est sans doute moins difficile en France que dans beaucoup d’autres pays, mais prend souvent quelques années). Ils ne font pas forcément le même genre de cinéma mais collaborent fréquemment entre eux, changeant de casquette au gré des projets (réalisateur/-trice, acteur/-trice, monteur/monteuse, producteur/-trice, etc.).

Complet 6 pièces, de Pascale Bodet | Photo DR

Déjà passé au long avec La France, mais n’ayant pas vraiment le statut d’un François Ozon ou d’un Christophe Honoré, Serge Bozon continue à faire régulièrement l’acteur chez ses pairs. On le retrouvait ainsi à l’affiche de deux films en compétition, La Vie Parisienne de Vincent Dietschy et Complet six pièces de Pascale Bodet (où l’on croisait quelques musiciens pop français). Les castings des films français présentés à Brive mêlent d’ailleurs souvent acteurs professionnels, parfois connus, et ami(e)s du réalisateur, qu’on reconnaît au détour d’un plan. Un monde consanguin, voire incestueux ? Sans doute pas plus que d’autres, et travailler avec ses proches n’empêche pas de faire preuve d’audace, bien au contraire.

La France forte (mais autrement)

Dans l’ensemble, les moyens métrages français de la sélection se sont distingués par leur vigueur et leur variété. Première réalisation de Vincent Macaigne (né en 1978, valeur montante du théâtre français et acteur dans Un monde sans femmes de Guillaume Brac), Ce qu’il restera de nous, grand prix au festival de Clermont-Ferrand et déjà sorti en salles, trouve son accomplissement dans l’excès quasi permanent.

Ce qu'il restera de nous, de Vincent Macaigne | Photo DR

Vociférant et ne cherchant jamais à séduire, faisant fi des contraintes techniques, mais révélant un remarquable sens du cadre et du paysage, cette histoire de rivalité entre deux frères dont le père vient de mourir est filmée avec une énergie impressionnante qui l’empêche d’être juste glauque. Macaigne est assurément un homme à suivre. Une vitalité que l’on trouvait également dans le plus aimable et moins théâtral Vilaine fille, mauvais garçon de Justine Triet (lire plus bas).

Et ils gravirent la montagne, de Jean-Sébastien Chauvin | Photo DR

Sur un rythme plus contemplatif, l’intrigant Et ils gravirent la montagne de Jean-Sébastien Chauvin, déjà présenté dans plusieurs festivals, tire vers l’abstraction des motifs qui semblent empruntés au cinéma américain (grands espaces, amants criminels en fuite, objet mystérieux…). Un auteur à suivre. Habituée du festival, Lucie Borleteau revenait avec un film étonnant, La Grève des ventres, réflexion piquante et très personnelle sur la maternité et le féminisme aujourd’hui.

Au rayon documentaire, Lina Pinell et Chloé Mahieu frappaient fort avec Nos fiançailles (grand prix France-Brive 2012), plongée dans la communauté catholique intégriste de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, un monde quelque peu exotique regardé sans mépris ni moquerie. Sans grande surprise, le prix du public est allé à La Vie parisienne de Vincent Dietschy. Une fantaisie pop et acidulée sur un trio amoureux, où se succèdent les situations loufoques et décalées. Habitué des petits budgets, le réalisateur, qui créa Sérénade Productions à sa sortie de l’Idhec (produisant les premiers films de cinéastes de sa génération comme Dominik Moll, Thomas Bardinet ou Laurent Cantet), a tourné ce moyen métrage de façon particulièrement légère et spontanée, en vidéo, dans un esprit très Nouvelle Vague. De là vient une grande partie de son charme. Visiblement ravi de l’expérience, Dietschy a déjà mis en boîte de nouvelles scènes dans l’idée de produire un long – à suivre, donc…

La vie parisienne, de Vincent Dietschy | Photo DR

Histoire de ne pas être non plus trop cocardier, signalons, dans un registre plus réaliste, deux films de bonne facture : Sweetness de l’Allemande Lisa Bierwirth et Papa de l’Autrichien Umut Dag. Ce dernier est déjà passé au long métrage : Une seconde femme ("Kuma") sortira le 6 juin prochain sur les écrans français.

En avant la musique !

A Brive, cinéma et musique ont toujours fait bon ménage. Cette année, le jury était présidé par la comédienne Joana Preiss, également chanteuse et musicienne, qui prépare actuellement un album avec – excusez du peu – Arto Lindsay et Jun Miyake. Jury dans lequel on retrouvait également Pierre Barouh, dont on ne détaillera pas ici l’impressionnante carrière (l’article serait au moins deux fois plus long).

Joana Preiss et Pierre Barouh | Photo Vincent Arquillière

Côté live, on aura découvert l’univers étrange et décadent des Parisiens prometteurs de Phantom and the Ravendove, à travers un ciné-concert (Lynch, De Palma, Dreyer), une carte blanche et un live au Maryland, le bar du centre-ville où la plupart des festivaliers terminaient leurs soirées.

Enfin, on a regardé avec attention les génériques de fin des films en compétition, glanant des noms aussi variés qu’Eden Ahbez (Et ils gravirent la montagne), Viva & the Diva (Vilaine fille, mauvais garçon) Beautiful Swimmers (Snow Canon de Mati Diop) ou Mikado et Stéréo Total (La Vie parisienne). Pointu et toujours bien choisi.

Du bon usage de l’expérimental

Chaque année, la sélection présente plusieurs films relevant davantage de la vidéo d’art contemporain que du cinéma narratif au sens où on l’entend généralement (même si, bien sûr, la frontière entre les deux n’est pas aussi stricte que cela). Souvent, les réalisateurs sont issus d’un cursus artistique plutôt que d’une école type Femis.

Glorious Accidents, de Mauro Andrizzi et Marcus Lindeen | Photo DR

Avouons que la plupart de ces réalisations, souvent remarquables par leurs qualités plastiques, nous ont laissé perplexes, quand elles ne nous ont pas carrément plongés dans le sommeil : Glorious Accidents (une suite de courts récits "autour de la mort et de la transformation", mais sans liens évidents entre eux, tous racontés en voix off), Les Llunes de Galileu (histoire évanescente sans dialogues), Palacios de pena (évocation assez absconse de liens familiaux sur fond d’histoire du Portugal)…

Un film, justement récompensé du Grand Prix Europe-Brive décerné par le jury professionnel, et du prix du jury jeunes de la Corrèze, a heureusement montré qu’on pouvait adopter une démarche expérimentale sans ennuyer ou perdre le spectateur : Boro in the Box de Bertrand Mandico.

Boro in the Box, de Bertrand Mandico | Photo DR

Une autobiographie mi-réelle, mi-fantasmée, présentée comme un abécédaire, du réalisateur polonais (mais ayant fait l’essentiel de sa carrière en France) Walerian Borowczyk (1923-2006), auteur de films mariant érotisme et surréalisme. Issu de l’école de cinéma d’animation des Gobelins, Mandico déploie à travers cet hommage à un autre réalisateur un univers très personnel, sensuel et organique. On pourrait presque reprocher à ce film d’une quarantaine de minutes son trop-plein d’idées et de visions, à la fois poétiques, grotesques et obscènes, mais ce foisonnement donnait surtout de quoi se réjouir : oui, on peut s’affranchir de certains codes narratifs sans pour autant tomber dans le vide.

Vilaine fille, Mauvais garçon, de Delphine Triet | Photo DR

On peut aussi venir des Beaux-Arts et signer l’un des films les plus incarnés de cette édition : Vilaine fille, mauvais garçon (un titre emprunté à Gainsbourg, on suppose), première fiction de Justine Triet, qui avait déjà présenté quelques films à Brive les années précédentes. Rien d’arty ou de poseur dans cette rencontre, le temps d’une nuit qui part en vrille, entre un peintre fauché et une comédienne déjantée, mais au contraire une belle façon de trancher dans le vif du réel (précarité, folie, picole…) en refusant la sinistrose. Un de nos coups de cœur de cette édition 2012, qui n’en aura pas manqué.
 

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