Des silhouettes grandeur nature mises en scène sur les murs de la ville. Une mêlée, un homme qui profite d’être caché derrière un livre pour observer sans être vu, un groupe d’individus qui attend, on ne sait quoi. Du papier kraft blanc, de l’encre de Chine. Le long d’un bras, d’une jambe s’étalent en ligne les sept lettres de son nom de scène, Levalet.
Au Cabinet d’amateur depuis le 27 février, il fait, avec l’insolence d’une jeunesse talentueuse, sa première expo solo. Il expose déjà et pourtant, il débute. Un matin, dans sa boîte mail, un message de Patrick Chaurin, le tenancier du Cabinet d’Amateur, un homme qui a du nez. Il l’a découvert par hasard et lui propose une expo. « J’avais collé deux fois dans la rue où il est installé sans m’en apercevoir. » Et il glisse, un peu crânement, « pour être honnête, le Cabinet d’amateur est la première galerie dans laquelle j'entre depuis que je suis à Paris ».
Nous lui avions donné rendez-vous rue du Faubourg-Saint-Denis. Besace en bandoulière et cheveux blonds en bataille. Une boucle d’oreille à gauche et un charme suranné. Levalet, c'est un jeune prof d’arts plastiques de 24 ans qui fait une entrée remarquée dans le milieu du street art parisien. Parce que ces œuvres ne ressemblent à rien de ce qu’on a pu voir jusqu’à maintenant. Parce que chacune d’elles provoque l’imaginaire.
Un œil neuf
Il est arrivé à Paris voici un an et demi, « pour préparer [son] agreg’ ». Installé à la Butte-aux-Cailles, il découvre l’incroyable profusion d’œuvres de street art sur les murs du quartier. Il n’a jamais vu un truc pareil. « A Strasbourg, il n’y a pas du tout de Street Art ! » Cette forme d'art, il ne la connaît pas. Ce n’est ni son milieu, ni son réseau. Ce n’est pas là d’où il vient. Lui a fait beaucoup de théâtre, 2 ans au conservatoire et 4 ans dans la Ligue de théâtre d'improvisation de Strasbourg. Il pratiquait aussi beaucoup la vidéo. Projetait des personnages, (déjà) sur les murs de la ville…
N’empêche, « voir ces choses complètement différentes qui poussent de partout donne l’autorisation de le faire soi-même ! » C’était parti pour Levalet.
Ses personnages en noir et blanc ont tous des visages nets, très clairement identifiables. Il s’agit de ses proches, ses amis, des comédiens auxquels il fait appel. Il a une scène en tête, ses modèles prennent alors la pose pour lui. « Je prends une photo. Je la retravaille sur ordinateur et la vidéo-projette sur du papier blanc. Et Je dessine, à l’encre de chine. » Il découpe la silhouette dans le papier et part la coller, au grand jour, sur un mur. Au début, surtout dans le quartier de la Butte-aux-Cailles dans le 13ème, et depuis deux mois, dans le 11ème arrondissement, dont il est tombé sous le charme.
Le choix du mur
Levalet a deux façons de procéder. Soit il a son collage et cherche un mur capable de l’accueillir en lui donnant du sens. « Si j’ai fait un personnage assis, profil gauche, alors je cherche un mur avec un angle droit côté gauche ». Sinon, c’est le mur qui provoque l’idée. Quand il le trouve, il le photographie, prend ses mesures, rien n’est laissé au hasard. « Si je fais un trompe-l’œil sur une vieille porte condamnée, je suis bien obligé de la mesurer pour être certain que ça rentre. »
Ces collages sont destinés à un lieu. Les dessins qu’ils donnent à la rue sont tous des originaux. Chacun d’eux est unique, ils ne pourraient pas se trouver ailleurs. « Non, seulement, je les ai fait pour un lieu précis, ça n’a donc pas de sens de sens de les reproduire ailleurs, mais surtout, je m’ennuierai à mourir à multiplier toujours les mêmes dessins ! »
Le lieu se trouve alors maître de la saynète qu’il va accueillir. Comme cet électricien empêtré dans des fils qui pendouillent. Cet homme qui tente de se hisser, entre deux parois. Ou ces deux autres hommes, décidés à grimper le long de piliers.
Pourquoi grimpent-t-ils ? Qu’espèrent-il trouver en haut ? On y est, l’imagination est en marche, on veut comprendre. On veut savoir pourquoi ces personnages se retrouvent dans de telles situations. « Je viens du théâtre, je raconte quelque chose. En fait, ces personnages sont mes comédiens que je mets en scène sur les murs. »
Action !
C’est vrai, Levalet ne vient pas du street art, il vient du théâtre. Et de la vidéo aussi. Et ça se voit, toutes ces personnes sont en mouvement. Elles viennent d’un endroit et se dirigent vers un autre. Parfois même le déplacement n’est pas que suggéré mais bien visible, Comme dans la Chute. « Avec ses trois personnages qui se cassent la gueule, ce qui m’intéresse, c’est le sens que peut produire un mouvement mis en image. J’essaie de faire des images en mouvement avec des images fixes, de leur donner une temporalité. Ces actions et ces mouvements m’intéressent par rapport au visage d’un lieu. »
Le passant assiste alors au spectacle et observe les péripéties d’un inconnu de papier, sur les murs de Paris.
Ce jour là, la gueule d’ange est un peu chiffonnée. Le matin, il donnait cours dans son collège de Seine Saint-Denis. Il se pétrit un peu le visage pour se réveiller. La veille se tenait le vernissage de son expo au Cabinet d’amateur. Il a montré ses endormis, un thème sur lequel il a déjà travaillé. « Le dormeur est esthétique, il permet des positions assez folichonnes. Des expressions de visage qu’on ne peut pas obtenir autrement qu‘avec cet état. »
Alors qu’il évoque ses dormeurs, tout en luttant contre une fatigue qui lui tire les traits, la situation est ironique. Il doit encore passer à la galerie avant de pouvoir se reposer. Lui et sa silhouette juvénile s’éloignent, dans un mouvement on ne peut plus prometteur.
> Levalet, Coups de sommeil, jusqu'au samedi 9 mars, au cbinet d'amateur, 12, rue de la Forge royale, 75011 Paris