Une enfance corsetée, un amour contrarié
Née dans une famille stricte, promise à devenir couturière, Mélanie découvre seule le piano, en deuil de sa petite sœur et du regard froid de sa mère. Ce geste intime ouvre une brèche dans son existence. Ses parents, voyant là un atout pour un mariage, acceptent quelques cours. Mais ce sont les prémices d’une vocation inextinguible : « c’est tout un monde qui s’offre à elle ».
Au Conservatoire, elle rencontre Louis-Amédée Hettich, chanteur et compositeur. L’amour éclot, ardent, passionnel. Mais ses parents refusent cette union et lui imposent un mariage arrangé avec un industriel veuf, riche et plus âgé. Si on lui refuse l’amour, elle aura l’argent. Dès lors, la jeune femme apprend à vivre entre passion contrariée et devoir conjugal : « Mélanie, mère et épouse, et Mel, compositrice. »
Mais dans ce monde, « au concert, à l’opéra, on joue Mozart, Beethoven, Haendel, Saint-Saëns, Franck. Des hommes. Un métier d’hommes. »
« Tu sais que les femmes ne sont pas prises au sérieux (…) tu formes donc le vœu, en toute logique, que l’on te prenne pour un homme. Tu proposes Mel. Un prénom tranchant, conquérant. »
Le désir encagé
« Tu es empêchée. Comme on est blonde ou brune ou grande ou petite, tu es devenue ceci : empêchée. (…) Tu ne sentais pas les barreaux de la cage quand tu ne cherchais pas à les franchir. »
Avec Le Désir dans la cage, Alissa Wenz dresse le portrait d’une société corsetée, patriarcale et sexiste, qui s’ouvre au nouveau siècle mais enferme les femmes dans des rôles assignés. Ce roman, en creux, devient un manifeste féministe. Car au-delà du destin de Mel, il dénonce « l’encagement des femmes, contraintes au rôle que leurs parents, leur mari, l’Église et la société leur assignaient. »
Encagement dont le mariage est le dispositif central : « La vie devient une suite de tâches aussi variées qu’absurdes (…) la vie se noie dans les détails. » C’est cela, « le devoir des femmes. Rendre leur mari heureux ». Chez Mel Bonis, Mme Albert Domange, les dîners mondains remplacent l’élan créateur, l’épouse supplante l’artiste.
Toute sa vie, Mel oscillera entre obéissance — à sa famille, à l’Église, à son mari Albert Domange — et passion : pour Amédée, pour la musique, deux désirs qui refuse de s’éteindre. Elle traverse des silences accablés, puis des moments d’élan où sa puissance créatrice ressurgit. La musique devient alors son véritable exutoire, colère et résistance mêlées : « La nécessité, l’urgence, il ne faut pas laisser gagner la peur. »
La Première Guerre mondiale commence à fissurer l’ordre établi. Néanmoins, lorsque débutent les Années folles, Mélanie Bonis est déjà âgée.
Avec Le Désir dans la cage, Alissa Wenz, écrivaine et autrice-compositrice rend justice à Mel Bonis et à son œuvre. Elle signe un texte bouleversant, à la fois portrait d’une femme singulière et plaidoyer pour toutes celles qu’on a muselées. « L’adresse sensuelle d’une musicienne à une autre, d’une femme à une autre ». Aux côtés de Mel Bonis, le lecteur retient son souffle, désire, aspire à plus grand.
« Tu as été sensuelle, créatrice, talentueuse, insolente, infidèle, inspirée, amoureuse. Personne ne soupçonnerait à quel point tu as été vivante. La vie passe comme dans un souffle. Qui saura qui a été Mme Albert Domange, Mel Bonis ? Ce qu’il y a au-dedans, ce qu’il y a au plus vrai, est-ce que l’on sait. »