Je reconnaissais dans ses yeux aveugles le mal qui l’aurait rongé toute sa vie, cette fièvre de grandeur, cette maladie d’orgueil, ce désir démentiel de s’élever au-dessus du commun des mortels.
Le père de l’auteur arrive au crépuscule d’une vie de flambeur menée grand train. Impotent et en mal d’argent, il demande à son fils de consacrer son prochain livre à leur grand-père et arrière-grand-père. Cet aïeul, Louis, est mort en 1914 sur le champ de bataille à la suite d’une charge de cavalerie aussi héroïque que suicidaire contre les forces allemandes.
Gloires et blessures
Mais qu’est-ce que l’honneur, sinon la peur de le perdre ?
Réticent à s’engager dans ce projet d’écriture, mais soucieux de cette dernière chance de se rapprocher d’un père absent, Thibault de Montaigu finit par se lancer sur les traces du héros familial.
D’un côté, il y a la vie et la fin de Louis et celles d’autres ancêtres tout aussi illustres. Notamment ce Montaigu qui, refusant de fuir la Terreur, monte à l’échafaud comme s’il ne s’agissait là que d’un entracte déplaisant, en cornant la page du livre qu’il était en train de lire.
De l’autre, la difficulté d’accompagner un parent en perte d’autonomie. Même si le père de l’auteur, grabataire, se cramponne obstinément à ce qu’il lui reste de panache.
Chaque famille a sa part de secrets. Mais pourquoi le drame qui a tué le capitaine de cavalerie aurait-il laissé une blessure chez ses descendants ?
L’héritage familial, ce si lourd fardeau
À mesure que la découverte des atavismes de l’histoire familiale agit comme une circonstance atténuante aux défaillances paternelles, Thibault de Montaigu réalise qu’en lui proposant de s’intéresser à leur aïeul, c’est une preuve d’amour que lui a pudiquement donné son père.
On peut regretter quelques longueurs et redondances, un récit qui se perd parfois. Un ton qui dans sa « splendide désinvolture » a des relents d’un splendide égocentrisme et d’une certaine suffisance. Petite particularité de ces vieilles familles aristocratiques françaises auxquelles appartient Thibault de Montaigu ?
Ceci étant dit, on prend plaisir à cette narration sous forme d’enquête, prétexte singulier d’un rapprochement entre un père et son fils. C’est un livre autobiographique à l’écriture sensible et à la portée universelle. Au-delà des pudeurs, des non-dits et des incompréhensions, il raconte avec justesse combien peut peser le fardeau que l’on transmet malgré soi aux générations suivantes. Et combien les atavismes de l’histoire familiale sont aussi des circonstances atténuantes au comportement parfois erratique de ceux qu’on aime.
Clin d’œil à Anne Ancelin, et à ses recherches sur la psychologie intergénérationnelle.