Adam (Jake Gyllenhaal) mène une paisible vie de professeur dans la banlieue de Toronto auprès de sa fiancée Mary (Mélanie Laurent). Pour tromper son ennui et une certaine mélancolie, il décide de regarder un film comique conseillé par un collègue et ce qu’il va découvrir va le bouleverser. Il remarque dans le casting du film Anthony, un acteur qui est son sosie parfait. Profondément troublé par l’extraordinaire ressemblance, Adam décide de rentrer en contact avec ce double vivant à quelques kilomètres de chez lui.
Sa curiosité va l’entrainer dans une spirale destructrice qui aura des conséquences désastreuses sur sa relation avec Mary et, effet miroir oblige, sur le couple formé par Anthony et Helen (Sarah Gadon), sa femme enceinte de six mois.
Le double qui trouble
Cinéaste révélé au grand public par Incendies (2010) et confirmé par Prisoners (2013), Denis Villeneuve signe ici un trip perturbant à l’atmosphère pesante, autant pour ses personnages que pour le spectateur. Adapté du roman L’Autre comme moi de l’écrivain portugais José Saramago, Enemy est un véritable film d’ambiance, une expérience qui nécessite un lâcher prise total pour être appréciée à sa juste valeur.
Tout le long du film, le réalisateur joue habilement avec nos nerfs. Il met en scène les rencontres entre les deux sosies mais distille également des allusions qui laisse supposer une « réalité » bien plus terrifiante pour Adam que le fait d’avoir rencontré son double.
Le professeur est attiré par cet acteur de seconde zone, bien au-delà de la fascination exercée par la ressemblance physique, Anthony est tout ce qu’il pourrait être, il incarne une autre existence, d’autant plus facile à envisager qu’Adam se voit en train de la vivre.
Malgré des existences très différentes, Adam et Anthony connaissent des problèmes de communication dans leurs couples respectifs, et vont rapidement se sentir tentés par la compagne de leur sosie. Une attirance dangereuse et malsaine quand il est si facile de se faire passer pour « l’autre ».
Folie cauchemardesque
Enemy repose essentiellement sur la qualité d’interprétation de ses acteurs, Jake Gyllenhaal en tête, et une atmosphère quoi entretient – jusqu’à la dernière seconde – le doute et le malaise chez le spectateur. L’action se déroule souvent la nuit, à l’aube ou au crépuscule dans une lumière blafarde, il en résulte une ambiance ambigüe, entre rêve et réalité, un univers oppressant qui fait écho aux cauchemars d’Adam infestés de mystérieuses mygales.
La réalité, le rêve, le désir et la répulsion sont ainsi intimement mêlés pour brouiller les pistes de ces existences si différentes menées par deux êtres identiques. Maintenu dans une semi-obscurité permanente, avec des indices qui ne sont que partiels, le spectateur est, à l’image d’Adam, à la dérive.
Une sensation qui peut être frustrante mais ce drame psychologique, malin et percutant, prouve son efficacité en continuant de faire réfléchir bien après le générique de fin.
Subtil, Enemy est une hallucination envoûtante, sur le fil du rasoir quelque part entre deux réalités, qui réussit à tenir en haleine jusqu’à sa fin, radicale et très surprenante. Une habile leçon de manipulation, parfaitement maîtrisée, qui prend le risque de diviser, courageux et captivant.
> Enemy, réalisé par Denis Villeneuve, Canada – Espagne – France, 2013 (1h30)