« Drunk », la vie alcoolique

« Drunk », la vie alcoolique

« Drunk », la vie alcoolique

« Drunk », la vie alcoolique

Au cinéma le 14 octobre 2020

Quatre amis décident de vérifier la théorie d'un psychologue norvégien selon laquelle l'homme vit avec un déficit permanent d'alcool dans le sang. Si les premiers résultats sont concluants, l'expérience dérape rapidement. Sous couvert d'un défi farfelu, Drunk nous enivre avec une attrayante joie alcoolisée pour mieux faire surgir ce sentiment d'incomplétude, terriblement humain, qui nous laisse à la merci de la dépendance.

Lors d’un repas d’anniversaire, Peter (Lars Ranthe), professeur de chant, évoque la théorie étonnante d’un psychologue norvégien. Selon Finn Skårderud, l’être humain nécessite de maintenir son taux d’alcool à 0,5 gramme par litre de sang pour être totalement fonctionnel.

Ses collègues, Martin (Mads Mikkelsen), Tommy (Thomas Bo Larsen) et Nikolaj (Magnus Millang), enseignant respectivement l’histoire, le sport et la psychologie, sont intrigués. Les quatre amis décident de relever ensemble le défi. Avec une rigueur scientifique, chacun commence à s’alcooliser consciencieusement en espérant que sa vie en sera changée pour le meilleur. Et, dans un premier temps, c’est effectivement le cas. Avant que la situation ne devienne hors de contrôle.

Drunk © photo Henrik Ohsten

Parfaits cobayes

Picoler oui, mais pour la science ! Avec cette formidable excuse comme étendard, les quatre amis sont prêts à vérifier les bienfaits éventuels de l’alcool au-delà de son effet désinhibiteur. Évidemment, ces quatre profs de lycée tentent l’expérience par curiosité scientifique. Mais pas seulement.

Derrière les sourires de façade, les quatre amis possèdent des failles intimes. Lors du repas, Martin craque. Le prof d’histoire confie à ses amis que sa femme Trine (Maria Bonnevie) le délaisse et que ses deux enfants l’ignorent. Au lycée l’ambiance n’est pas meilleure : sa méthode d’enseignement est remise en cause par les élèves et leurs parents.

En réalité, ces enseignants quadragénaires envient secrètement la jeunesse des lycéens qu’ils instruisent. Cette expérience interdite vient pimenter des vies ternes, enfermées dans une monotonie étouffante.

Drunk © photo Henrik Ohsten

Si la théorie du psychologue norvégien est vraie, l’alcool pourrait miraculeusement sauver leurs vies professionnelle, sentimentale et familiale à la dérive. Sans se l’avouer, les quatre profs espèrent beaucoup (trop ?) de cette expérience pour laquelle ils sont des cobayes idéaux.

Bois, ceci est marrant

En adultes responsables, les quatre amis fixent les règles. Pas d’alcool le week-end et jamais après 20h. Un règlement qui rappelle celui asséné au propriétaire de Gizmo, l’adorable mogwai, qui devait lui aussi suivre un régime strict. Pour ne pas se transformer en horribles gremlins, les professeurs ne s’alcoolisent que sur leur lieu de travail.

Drogue légale s’inscrivant dans un rite social bien défini, l’alcool a l’avantage d’être moins détectée par l’entourage de nos quatre apprentis scientifiques imbibés. Et quelle libération que d’affronter la journée avec 0,5 g d’alcool dans le sang !

Drunk © photo Henrik Ohsten

Libérés, délivrés de leurs angoisses, les quatre profs se connectent à nouveau avec leurs élèves et leurs entourages. Ils redécouvrent le bonheur juvénile d’ignorer les conséquences immédiates de leurs actes.

La magie opère, les quatre amis se sentent mieux. Comme ils aiment à se le répéter, Churchill a bien gagné une guerre et Hemingway a écrit des chefs-d’œuvre en étant saouls comme des cochons. Pourquoi ne seraient-ils pas, eux aussi, touchés par la grâce éthylique ?

Un peu, beaucoup, passionnément

Mais l’ivresse est trop tentante. Devant les premiers résultats concluants, les professeurs décident de pousser l’expérience plus loin. Nouvelle théorie : chacun aurait un taux d’alcoolémie idéal. Martin, Tommy, Peter et Nikolaj partent donc à la recherche de cet équilibre parfait. Est-ce 0.5 g, 1 g, plus ? Avec une ultime étape : expérimenter le black out.

Drunk © photo Henrik Ohsten

N’est-ce pas en définitif ce que cherchent les quatre amis en mal de sensations ? S’extraire totalement de la société et redevenir l’animal que celle-ci met tant d’efforts à gommer. La désinhibition totale, chaotique et puis, plus rien. Ingurgiter cette pulsion de mort qui attend patiemment au fond du verre et s’y livrer corps et âme. Le coma éthylique comme but inavouable.

L’effet comique est imparable : aussi sûr qu’une personne qui tombe provoque l’hilarité, les attitudes ridicules des quatre compères totalement ivres déclenchent le rire. Un rire basique, un peu stupide à l’instar de la situation qu’il moque.

Mais lorsque les amis approchent du point de rupture, le ressort comique se fait moins souple. La machine se grippe et annonce un dur retour à une réalité décidément coriace.

Drunk © photo Henrik Ohsten

L’ivre ouvert

Thomas Vinterberg n’allait évidemment pas nous servir le même alcool bouffon que Very Bad Trip (2009). Chez le réalisateur danois, les fêtes de famille finissent mal en général — Festen (1998) — et on se retrouve même parfois accusé du pire à tort — La chasse (2012). Alors se saouler impunément…

Le cinéaste sait qu’il doit contrebalancer ces scènes de franche rigolade dans des états seconds par des conséquences. Car ainsi va l’existence, la vraie. La désagréable gueule de bois après l’euphorie, la solitude après l’orgasme, et, tout simplement, la mort après la vie. Mais cet inévitable revers de la médaille, Drunk ne l’impose pas.

L’alcool détruit des vies mais ne comptez pas sur le cinéaste pour asséner cette évidence avec un évènement dramatique aussi attendu que vulgaire qui viendrait punir les quatre amis de leur expérience controversée. Drunk a l’intelligence de mettre à distance la drôle d’expérience pour se concentrer sur le malaise qui l’a rendue si séduisante au départ.

Drunk © photo Henrik Ohsten

Sans alcool

Contrairement à ce que veut nous faire croire Mister Cocktail, sans alcool la fête n’est pas plus folle. Elle n’est d’ailleurs pas forcément festive, mais au moins elle est vraie. Ivres morts, les quatre amis ne sont plus vraiment eux-mêmes. En fuite permanente, l’alcoolique est celui qui finit par préférer cet autre à son reflet dans le miroir.

Après avoir confronté les quatre cobayes à leur double éthylique, Thomas Vinterberg les sort de leur cage pour les libérer de l’emprise réconfortante de l’alcool. En dehors du protocole, ils sont plus vulnérables car confrontés à leurs angoisses. Sans échappatoire, Martin, Tommy, Peter et Nikolaj redeviennent simplement humains, d’une touchante imperfection.

Subtil, Drunk se refuse à incriminer l’alcool ou à l’encenser. Cette crise de la quarantaine très alcoolisée renvoie le spectateur à son statut d’être imparfait en quête de transcendance. À l’affût de douces illusions qui permettent de rendre la vie moins pénible : la drogue, le sexe, l’amour et le cinéma, évidemment.

> Drunk (Druk), réalisé par Thomas Vinterberg, Danemark, 2020 (1h56)

Drunk (Druk)

Date de sortie
14 octobre 2020
Durée
1h56
Réalisé par
Thomas Vinterberg
Avec
Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Lars Ranthe, Magnus Millang
Pays
Danemark