Des enfants uniques : un lumineux premier roman sur l’amour à contre-norme

Des enfants uniques : un lumineux premier roman sur l’amour à contre-norme

Des enfants uniques : un lumineux premier roman sur l’amour à contre-norme

Des enfants uniques : un lumineux premier roman sur l’amour à contre-norme
Rentrée littéraire 2025

31 août 2025

Dans Des enfants uniques, premier roman d’une grande tendresse, Gabrielle de Tournemire raconte l’histoire d’Hector et Luz, enfants « différents » dans un monde qui ne sait pas leur faire de place. D’une écriture ciselée et lumineuse, elle dit l’amour, la solitude, la violence des normes, et la force de ceux qui, « autrement capables », aspirent simplement à aimer et être aimés.

Lignes de faille et lignes de force

Carlo, éducateur investi, doit désormais composer avec Hector, l’un de ces enfants « emmurés, taciturnes », qui choisit ses mots avec soin — et du temps, beaucoup de temps. Le binôme a « du mal au démarrage » mais Carlo s’attache, comment ne pas s’attacher ? La complicité finit par se tisser à coups de chaussettes assorties et de connivence muette, car « Vouloir remplir le vide par des banalités, par des ragots, c’est pour les valides. »

Hector, « maigre corpulence, marquée par un léger retard de croissance », tempérament toujours placide, humeur égale, émotions filtrées, voix « de vieux mage ». Un enfant unique — « parce qu’unique au monde, béni ou maudit, qu’importe ». Dès l’échographie, un fémur trop court fait redouter une anomalie chromosomique. Faut-il faire advenir cette vie, condamnée à la différence ? Rebecca pose la main sur son ventre qui s’agite, dit à Stéphane : « Il frappe à la porte (…) juste pour être sûr que quelqu’un l’attend dehors. » Décision est prise.

Hector est leur combat. Orthophonistes, kinés, séances de piscine : ses parents veulent lui construire un futur où il vivrait en toute autonomie. Mais à force de tout miser sur l’adulte à venir, ne lui volent-ils pas l’enfant qu’il est encore ? Hector est ce « petit homme instruit et cultivé, éloquent mais silencieux, endurant mais fatigué. » Hector a-t-il réellement le goût de la solitude, ou ne parvient-t-il pas à faire autrement ?

Au grand dam de Carlo, les parents d’Hector le font intégrer un nouvel IME, « un truc privé qui coûte une blinde ». Il y rencontre Luz, qu’il rebaptise Mouche, « micro-dame habillée comme une grande, avec des bottes à talons mais une maîtrise très approximative de son propre équilibre ».

Microcéphalie, retards, carences, défaillance du système nerveux. Les handicaps de Luz et Hector sont esquissés en creux, jamais nommés. Et pourtant, une même case pour deux réalités incomparables : handicapés.

Contre-coeur

Hector et Luz se rapprochent. Elle est vive, bavarde, fantasque. Lui, tout en silence et en retrait. Deux voix dissonantes : les mots précautionneux d’Hector contre le babil fougueux de Luz. Ils s’éprennent, maladroits et lumineux.

Pour Luz, être « normale », c’est être une grande sœur — et elle gouverne sa sororie avec autorité. Mais Luz ne coche aucune case. Lire, écrire, marcher longtemps, être autonome : autant d’exigences qu’elle ne remplit pas. Potentialités qui ont atteint leur limite. Régression à venir. Le mot potentiel, si souvent brandi, si profondément blessant.

Aux yeux des parents d’Hector, Mouche est « la part d’invisible dans des précisions bien ficelées » — mais aussi une menace : trop fantasque, trop instable, trop peu autonome. Elle entrave le potentiel de leur fils. Car « rendre leur fils heureux était moins important que le rendre autonome ». Hector a un travail, s’installe en foyer. Mais le monde d’Hector tourne désormais autour de la flamboyante Luz — et il faudra faire avec.

Autrement capables d’aimer

« Luz était un engagement pour la vie. (…)  Au sein du serment marital “dans la santé, comme dans la maladie”, Luz était la maladie. »

Assignée à résidence chez ses parents, Luz s’étiole en regardant ses sœurs partir.  Pourquoi ne pas vivre ensemble ? Pourquoi ne pas avoir un chez-soi, une vie de couple, un logement à deux ? Le couple handicapé : évacué de tous les formulaires. Mais Hector et Luz, eux, veulent vivre. Aimer. Toucher leurs rêves d’ordinaire. Être autrement capables. Et cela résonne jusqu’à la voix de Gloria, la petite sœur de Luz, qui dira : « Dans le handicap, y’a cap. »

Carlo, qui fait désormais office de grand frère, s’interroge, lucide : « Pourquoi avait-il sans cesse l’impression d’être face à une relation mineure, enfantine, à une relation naïve et innocente (…) ? » « Pourquoi enseigne-t-on à ces enfants à faire leur lit, dessiner, coudre, avant même de leur parler d’amour ? »
D’ailleurs, que savent-ils de l’amour, de ses codes et de ses règles ?

Des enfants uniques interroge une société toute entière construite sur des normes implicites, excluantes. Être handicapé, avoir « des vies lésées comme la leur », est-ce vraiment devoir se contenter de moins ?

Gabrielle de Tournemire aborde avec finesse, sans jamais sombrer dans le misérabilisme, les angles morts de notre société : maternité et handicap, sexualité et handicap, mariage et handicap — tous ces tabous soigneusement dissimulés dans le monde des valides. Elle met aussi en lumière les combats quotidiens des familles, des éducateurs, qui inventent des solutions là où il n’y en a pas, se battent pour un regard, un droit, une place. Et la joie que suscite chaque micro-victoire : une compétition de piscine, une fête d’anniversaire.

Car Hector et Luz, ces enfants uniques, « ces êtres entravés par un monde qui ne sait pas faire de place à leur amour », bousculent. Par leur pureté, leur force, leur manière de faire fi de l’aveuglement du monde

Avec une écriture ciselée, lumineuse, d’une douceur qui n’efface jamais la violence du réel. Gabrielle de Tournemire interroge sans relâche nos réflexes, nos systèmes, nos attentes. Ce beau premier roman nous force à regarder autrement : à comprendre que la norme est un moule, et que tous les enfants — uniques — méritent une vie où ils ne soient ni assignés, ni amputés de leur enfance ou de leur droit d’aimer. À lire absolument.

Couverture du livre Des enfants uniques de Gabrielle de Tournemire

Des enfants uniques de Gabrielle de Tournemire

224 pages
Date de publication
27 août 2025
Éditeur
Flammarion
Page du livre sur le site de l’éditeur