Lors d’un trajet en taxi, Tsugumi (Hyunri) confie à son amie Meiko (Kotone Furukawa) avoir fait une rencontre prometteuse avec un homme. Elle en est persuadée, Kazuaki (Ayumu Nakajima) pourrait être son prochain compagnon. Si Meiko semble se réjouir de la nouvelle, elle cache à Tsugumi que ce prétendant est son ex petit ami. Et qu’elle ressent encore des sentiments pour lui.

Sasaki (Shouma Kai) n’a jamais digéré l’humiliation infligée par son professeur Segawa (Kiyohiko Shibukawa) lorsqu’il était étudiant. Des années après, il convainc Nao (Katsuki Mori), avec qui il entretient une relation intime, de piéger Segawa. Sous prétexte de faire dédicacer le livre du professeur qui vient de paraître, Nao va tenter de le séduire en enregistrant la conversation. Mais le traquenard devant compromettre l’enseignant tourne mal.

De passage dans la ville de sa jeunesse pour une réunion d’anciens élèves, Natsuko (Fusako Urabe) croise par hasard dans la rue Aya (Aoba Kawai), une ancienne camarade de classe. Du moins, c’est ce qu’elle imagine. En vérité, leur échange est le fruit d’un malentendu. Le simulacre de retrouvailles se transforme en une relation troublante entre les deux femmes.

À fond la forme

Alors que Drive My Car (2021), adaptation de nouvelles de Haruki Murakami, vient de recevoir l’Oscar du meilleur film international, Ryûsuke Hamaguchi est déjà de retour dans les salles obscures françaises. Une activité soutenue pour le réalisateur japonais qui précise que ce nouvel opus sous forme de triptyque est le début d’une série composée de sept histoires au total ayant pour thème « coïncidence et imagination ».

Au jeu des influences cinématographiques, Ryûsuke Hamaguchi confie volontiers son admiration pour Howard Hawks et John Cassavetes. Mais c’est bien Éric Rohmer qui l’inspire le plus. Selon le cinéaste japonais, ce dernier a su combiner Hawks et Cassavetes en fusionnant le fond et la forme.

L’influence du cinéma d’Éric Rohmer plane en effet au-dessus de Contes du hasard et autres fantaisies. L’esprit du cinéaste de la Nouvelle Vague, focalisé sur les pensées et les émotions de ses personnages, se retrouve dans l’œuvre de Ryûsuke Hamaguchi qui offre à ses héroïnes une profondeur remarquable.

Woman’s World

Sans surprise, les histoires de Contes du hasard et autres fantaisies sont centrées sur trois femmes. Un focus sur les personnages féminins que l’on retrouve dans Asako I & II – lire notre critique – ou encore Senses (2015). Une œuvre fleuve de plus de 5h portée par un magnifique quatuor féminin dont les cinq parties sont disponibles sur le site d’ARTE jusqu’en juillet 2022.

Ryûsuke Hamaguchi a confié avoir eu du mal par le passé à écrire ses personnages féminins. Il les conçoit désormais de la même façon que leurs partenaires masculins en puisant dans son propre ressenti. Une initiative s’affranchissant de la distinction  des genres qui porte ses fruits tant les portraits de femmes proposés sonnent justes.

Les trois histoires sont vécues à travers le point de vue de femmes qui sont à l’initiative. Ou plutôt en responsabilité de leurs choix car le cinéaste prend un malin plaisir à les projeter dans des situations mettant leurs émotions et leur degré d’adaptation face à l’imprévu à rude épreuve.

Co-incidence

Intrigué par les possibilités narratives induites par la coïncidence, Ryûsuke Hamaguchi plonge ses protagonistes dans des situations pour le moins déroutantes. Ainsi Magie ? propose un triangle amoureux inattendu mettant en péril une amitié. La Porte ouverte décrit avec malice une tentative de séduction qui ne se déroule pas comme prévu et Encore une fois se joue des apparences de fausses retrouvailles.

Le titre original du film, Gûzen to sôzô, dont une traduction littérale pourrait être « hasard et imagination », donne une bonne idée de l’intention du cinéaste. Au-delà du mécanisme de l’imprévu, prétexte à la création situations originales, Contes du hasard et autres fantaisies met l’accent sur cette imagination qui permet de se sortir ou non du piège tendu par le destin.

La Roue de la Fortune

La traduction anglaise du film, Wheel of Fortune and Fantasy, appuie l’idée d’une destinée, à l’image d’une grande roue hasardeuse, bouleversant les plans de nos héroïnes. Cependant, une fois les dés lancés, chacune doit puiser dans cette imagination célébrée, influencée par des désirs et sentiments parfois troubles.

Loin d’être de simples marionnettes du destin, les trois femmes sont invitées à reprendre en main la situation. Ryûsuke Hamaguchi use habilement de cet artifice du hasard pour créer une faille dans le quotidien. Sans la protection de la normalité, les trois femmes sont renvoyées à elles-mêmes.

Prises au dépourvu, le mensonge devient plus difficile à manier. À défaut de les rendre impuissantes, ces situations imprévues leur offrent cependant une opportunité de changer les choses. Mais encore faut-il savoir ce qu’elles désirent…

Hasard, mon beau miroir

Au fil des trois histoires, chaque héroïne est confrontée à des degrés différents à ses désirs mais aussi ses regrets. Au pied du mur, elles sont invitées à une introspection révélatrice. Ainsi, Meiko doit assumer des sentiments amoureux jusque-là refoulés. Nao remet en cause ce qui l’a poussé à vouloir trahir Segawa. Et Natsuko renoue avec une tendre nostalgie.

Ce dernier segment nostalgique est particulièrement touchant en raison du lien inattendu qui se crée entre Aya et Natsuko. Les deux femmes pensent chacune avoir reconnu une ancienne camarade de classe mais leur intuition les trompe. Ce quiproquo donne lieu à des échanges d’une grande subtilité sur les fantômes du passé et les regrets qui nous hantent.

Ensemble, Aya et Natsuko décident d’en tirer profit en transformant le jeu de dupes amusant en un jeu de rôles particulièrement émouvant. L’imagination célébrée par le cinéaste est d’autant plus belle qu’elle est partagée dans cette dernière histoire. Elle insuffle de l’espoir dans un hasard qui ne fait pas toujours bien les choses.

À travers trois trajectoires détournées par le hasard,  Ryûsuke Hamaguchi démontre une nouvelle fois sa remarquable maîtrise de l’intime. Malicieux et touchant, Contes du hasard et autres fantaisies invite à tirer profit des hasards de la vie, issues de secours salvatrices au sein d’un quotidien trop bien organisé.

> Contes du hasard et autres fantaisies (Gûzen to sôzô), réalisé par Ryûsuke Hamaguchi, Japon, 2021 (2h01)