En 1998, Thomas Vinterberg a été révélé par Festen, uppercut qui a secoué le festival de Cannes, lui valant d’être récompensé par un Prix du jury. Filmé en DV, ce film montrait une famille imploser sur fond de révélations d’inceste et de pédophilie. Festen a d’autant plus marqué les esprits qu’il est sorti quelques années après que l’affaire Dutroux a défrayé la chronique, traumatisant l’opinion publique, jusqu’alors relativement peu sensibilisée aux horreurs pédophiles, et plutôt encline à ne prêter qu’une relative attention à la parole des enfants. Le choc a été tel que la tendance s’est inversée, pour déboucher à l’extrême opposé : accorder un crédit total et immédiat à ce que peuvent dire les plus petits, quitte à s’asseoir sur la présomption d’innocence.
L’affaire d’Outreau, et la sidérante erreur judiciaire qu’elle a entraîné, est le symbole de cette dérive. C’est aussi l’un des principaux matériaux sur lequel Vinterberg s’est appuyé pour écrire La Chasse, qui peut se lire comme le négatif inversé de Festen.
Le réalisateur danois explique que l’idée de ce nouveau long métrage lui a été soufflée par un psychiatre. Celui-ci s’est présenté chez lui, un dossier sous le bras. Le-dit dossier contenait de multiples sources d’informations relatant des erreurs judiciaire, des cas de personnes accusées à tort de pédophilie et clamant leur innocence… S’il l’a laissé de côté pendant plusieurs années, Vinterberg a fini par s’y intéresser, et à synthétiser, dans un scénario, une partie des éléments qui l’interpellaient.
Mads Mikkelsen, passif et immobile
La Chasse raconte donc l’histoire de Lukas, jeune quadra divorcé travaillant dans une garderie, qui se voit accusé de pédophilie. Pas de faux suspense, on sait dès le départ que cet homme n’a rien à se reprocher, et qu’il est victime des mensonges d’une fillette, trop petite pour avoir conscience de l’impact de ses fausses déclarations. Lukas perd son emploi, se retrouve mis à l’écart des autres habitants de la bourgade où il vit, subit menaces et intimidations. Son parcours ressemble d’autant plus à un calvaire, qu’il ne se révolte jamais vraiment, fait montre d’une certaine passivité face aux événements, et encaisse longtemps les coups sans broncher. Une sorte de martyre de la rumeur, de l’accusation de pédophilie – sans doute la plus infamante. Dans ce rôle, Mads Mikkelsen — prix d’interprétation mérité au dernier festival de Cannes — est très bon. Son jeu est tout en nuance, entre souffrance rentrée, désespoir tu et colère froide.
Beaucoup moins simpliste et schématique que ce que certains reprochent au film d’être, La Chasse met bien en lumière la manière dont une communauté peut se laisser envahir par les ragots, et les certitudes toutes faites, et en arriver à ostraciser l’un de ses membres. Car la petite fille, victime imaginaire, revient rapidement sur ses paroles, mais personne ne veut l’écouter. A commencer par sa mère, qui refuse d’entendre autre chose que ce qu’elle a décidé de croire. Détail qui a son importance, l’enfant par qui le scandale arrive est la fille du meilleur ami de Lukas, avec lequel il partage parties de chasse, et bonnes bouffes. L’amitié est l’autre thème fort du film. Vinterberg a voulu montrer comment ce sentiment prend forme entre les hommes, comment il peut se consumer, se déliter, disparaître. Comment, il peut éventuellement réapparaître. Cette amitié de 30 ans est à l’image de l’âme de Lukas, non pas détruite, mais balafrée. Plus rien ne sera jamais plus comme avant.
> La Chasse (Jagten), réalisé par Thomas Vinterberg, Danemark, 2012 (1h51)