« Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé », drôle de déroute

« Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé », drôle de déroute

« Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé », drôle de déroute

« Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé », drôle de déroute

Au cinéma le 30 avril 2025

Fin décembre 1989, la révolution frémit en Roumanie. Dans cette ambiance confuse de contestation, six destins vont se croiser lors d'une journée historique marquant la fin du régime. Film choral tragi-comique, Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé revient avec ironie et un regard décalé sur les dernières heures du règne de Ceausescu. Une réjouissante mise en avant de l'absurde d'un pouvoir à l'autoritarisme très fébrile.

Quelques jours avant Noël, la Roumanie se prépare à faire la fête. Des festivités évidemment très encadrées par la propagande gouvernementale du dictateur Ceausescu. Mais le 20 décembre 1989 marque le basculement tant espéré par la population. Au cours de cette journée qui va marquer l’Histoire, les vies de six citoyens vont interagir jusqu’à l’inévitable chute du régime.

Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé © 2024 Memento

Spoiler : ça va couper !

De la déchéance du dictateur roumain, il reste dans la mémoire collective une image glaçante : le couple Elena et Nicolae Ceaușescu, l’air déconfit,  exhibés devant les caméras après leur arrestation. Le 25 décembre, quelques jours seulement après les événements relatés dans le film de Bogdan Mureşanu, le couple est condamné à mort par un tribunal militaire d’urgence. Un procès expéditif tenu à huis clos filmé pour la postérité qui a immortalisé la fin d’une des dernières dictatures d’Europe. Le couple est exécuté dans la foulée du jugement.

En Roumanie, la fin du régime de Ceaușescu est un sujet qui a été beaucoup traité au cinéma. En reprenant l’histoire de son court-métrage Cadeau de Noël (2018) qui est intégré au film, le cinéaste Bogdan Mureşanu a choisi le thème d’un film choral qui se déroule sur une journée. Les personnages se retrouvent impliqués malgré eux dans un événement qui les dépasse. Une dissolution des destins individuels dans la grande Histoire nationale qui fait écho à la dictature.

Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé traite cette révolution symbolique de la séparation entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest avec un regard tragi-comique totalement schizophrène. Contrairement au spectateur, les six personnages ne savent pas que la fin est proche pour le régime. Ils vivent sous la pression, dans un monde de peur et de paranoïa. L’aspect comique décalé provient de notre regard distancié qui se délecte de l’absurdité d’un système qui vit ses dernières heures sans le savoir.

Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé © 2024 Memento

Choral avant Noël

Film choral dense mais habilement mené, Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé entremêle les trajectoires de six personnages, tous en prise d’une façon ou d’une autre avec les exigences du régime. Les moments tragiques côtoient la comédie dans une atmosphère où la pression est amenée à nécessairement retomber. Pour cette « symphonie » de destins, le cinéaste s’est inspiré de la structure du Boléro de Ravel, un rythme qui va crescendo et fait écho aux injonctions d’un régime autoritaire et de l’étau qui resserre sur lui.

Après un premier montage, une version initiale du film s’étalait sur 3h40. En coupant dans chaque séquence, la durée a été ramenée à une longueur plus raisonnable. L’œuvre finale aurait probablement gagné en allégeant encore chaque histoire indépendante, ou en suivant moins. Malgré celà, Bogdan Mureşanu réussit à manier habilement chaque trajectoire pour les rassembler dans un grand final.

Visuellement, Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé joue la carte de l’authenticité avec une vision quasi documentaire. L’adoption du format 4:3, la caméra portée… autant d’éléments qui nous projettent à la fin des années 80. Le cinéaste a même colorisé les images pour qu’elles soient en cohérence avec les vidéos d’archives incluses dans le générique de fin. Les principes du Dogme95 impulsés par Lars Von Trier et Thomas Vinterberg renforcent cette immédiateté avec une caméra qui zoome sur les personnages comme pour rappeler l’atmosphère de paranoïa qui pèse sur chacun.

Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé © 2024 Memento

La révolution télévisée

L’image est au cœur du film car une grande partie se déroule dans les locaux d’une télévision évidemment soumise aux ordres du pouvoir. Parmi les six personnages, Stefan Silvestru (Mihai Calin), producteur de télévision, s’arrache les cheveux car une participante au programme de propagande des fêtes de fin d’année s’est enfuie. Tous craignent qu’elle donne une interview hostile au régime sur Radio Europe. Il faut alors trouver en urgence une remplaçante – Florina (Nicoleta Hâncu), une actrice de théâtre -, et bidouiller les images pour faire comme si de rien n’était. L’image télévisuelle comme symbole d’un récit officiel imposé où la moindre contrariété vient faire dérailler tout le processus, au grand bonheur du spectateur.

Avec ce regard amusé qui sait que tout celà est ridicule car touche bientôt à sa fin, Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé fait planer l’ombre de la peur et du soupçon sur des citoyens renfermés sur eux-mêmes par crainte de la délation. Et pour cause, à Bucarest, la population chuchote qu’une personne sur dix travaille pour la Securitate, la police politique de Ceaușescu, et qu’une sur quatre est un mouchard. Bonne ambiance ! Pas étonnant que Gelu (Adrian Vancica), père de famille, découvre avec horreur que son fils, inconscient des conséquences, a confié dans une lettre destinée au Père Noël que son père souhaite la mort de Ceaușescu.

Après des manifestations réprimées dans la ville étudiante de Timișoara le 16 décembre, le film se déroule sur une journée et mène au 21 décembre où tout bascule, à 12h08 précisément. Ceaușescu est hué pour la toute première fois en public par une foule qui ne peut plus cacher sa défiance lors d’un meeting retransmis à la télévision. Contrairement à ce que chante Gill Scott Heron, la révolution roumaine a bien été télévisée. Que les successeurs au pouvoir du dictateur n’aient pas été au niveau des espoirs de la population est une autre histoire. Comme le suggérait Orson Welles, une fin heureuse dépend, évidemment, du moment où l’on arrête l’histoire. Bogdan Mureşanu s’en tient à l’espoir et une tragi-comédie en équilibre.

Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé © 2024 Memento

Avec son titre clin d’œil à l’émission de propagande qui n’a au final jamais été diffusée, Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé séduit pour sa vision originale de la chute d’un des derniers dictateurs d’Europe. On frémit devant le risque pour les personnages d’être démasqués autant que l’on sourit devant l’autoritarisme ridicule d’un pouvoir dont l’absurde brutalité se retourne finalement contre lui.

> Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé (Anul nou care n-a fost) réalisé par Bogdan Mureşanu, Roumanie – Serbie, 2024 (2h18)

Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé (Anul nou care n-a fost)

Date de sortie
30 avril 2025
Durée
2h18
Réalisé par
Bogdan Mureşanu
Avec
Adrian Văncică, Nicoleta Hâncu, Emilia Dobrin, Iulian Postelnicu, Mihai Călin, Andrei Miercure
Pays
Roumanie - Serbie