Brésil, le réveil du géant

Brésil, le réveil du géant

Brésil, le réveil du géant

Brésil, le réveil du géant

19 juin 2013

Français marié à une brésilienne, j'habite depuis quelques mois à Joao Pessoa, capitale de l'état de la Paraiba, dans le nord-est du Brésil. Ici, la contestation est pour l'instant surtout présente dans les discussions et sur les réseaux sociaux. La première manifestation est programmée pour ce jeudi 20 juin, et s'inscrit dans une dynamique de durcissement de la contestation dans les prochains jours et dans l'ensemble du pays. Avec cet article, je voulais partager mon point de vue sur les origines et les fondements de la contestation en cours.


Rappel chronologique            

Le jeudi 13 juin, à São Paulo, une énième manifestation contre l’augmentation du tarif des transports publics regroupent environ 60 000 personnes. Les manifestants subissent une forte répression policière afin de disperser une foule majoritairement pacifique et pourtant injustement qualifiée de « vandale » par les médias et les responsables politiques de l’État de São Paulo.

Dès lors, les réseaux sociaux diffusent rapidement de nombreux témoignages des violences subies par les manifestants mais aussi par des personnes qui ne faisaient pas partie du cortège et n’en partageaient même pas les opinions.

Cet excès de répression policière constitue le déclencheur d’un mouvement de contestation qui se formalise actuellement dans le centre des grandes métropoles et en marge des matchs de la coupe des confédérations et qui s’étend à l’ensemble du pays.

Ainsi, ce sont des centaines de milliers voire des millions de personnes qui sont aujourd’hui dans les rues. Mais pour réclamer quoi ?

Les revendications

La contestation initiale du coût des transports reste symbolique et catalyse des revendications plus globales concernant la mise en cause d’un système politique et la volonté d'une amélioration de la qualité des services publics. (cf. slogan "ce n’est pas pour des centimes, c’est pour des droits").

La jeunesse brésilienne est dans la rue pour réclamer plus de démocratie. Elle milite contre la corruption, contre les inégalités et pour une amélioration des services publics de transport, de santé, d’éducation, de sécurité publique, etc.

Les transports publics, qui sont généralement confiés à des entreprises privées, symbolisent ce que les brésiliens ne veulent plus accepter : un gaspillage d’argent public au profit de certaines entreprises privées, généralement liées au monde politique, qui s’enrichissent tandis que les services proposés s’avèrent chers et de piètre qualité (qui a déjà essayé de prendre le bus au brésil comprendra).

Autre exemple de dysfonctionnement rencontré sur les réseaux sociaux : à l’heure où se jouait, à Brasilia, le match Brésil – Japon dans un stade flambant neuf (le Brésil a investi des milliards d’euros pour la coupe du monde 2014), l’hôpital ne pratiquait plus d’interventions chirurgicales depuis plusieurs jours, faute de moyens financiers.

Le Brésil vient de vivre une période de forte croissance durant laquelle près de 40 millions de brésiliens sont sortis de la pauvreté pour entrer dans la classe moyenne. Durant cette période faste, des systèmes de quota ont été mis en place pour favoriser l’accès des minorités aux universités, etc.

Néanmoins, les inégalités persistent et les services publics restent très précaires.

Une nouvelle génération, qui n’a pas connu la dictature, est en train d’exprimer une rupture avec un modèle de gestion politique et son ras-le-bol.

A l’heure où le Brésil prend une place dominante sur la scène internationale, le conformisme qui prédominait cède la place à des revendications d’un nouveau modèle sociétal. Ce sont justement les récents progrès qui permettent de faire émerger une nouvelle conscience et des revendications, justifiées, de changement et de juste redistribution des richesses.

Il est important de comprendre qu’à la base, les manifestations ne visaient pas directement le gouvernement fédéral, comme cela était le cas dans les révolutions arabes (même si les grands médias, majoritairement de droite, l’affirment pour fragiliser le gouvernement). Elles exigent davantage un réel changement politique, le Brésil est un état fédéral, avec une certaine autonomie politique propre à chaque état. Ainsi, est-il bon de rappeler que l’autorité de la police militaire (et donc les éventuels ordres de répressions) relève de la compétence de chaque État et non pas du gouvernement fédéral.

Néanmoins, avec l’ampleur qu’ont pris les manifestations ces derniers jours, se sont ajoutés aux revendications concrètes le mécontentement, un sentiment d’injustice et d’indignations socio-politique, y compris contre le gouvernement.

Et après ?

Difficile d’évaluer les suites qui seront données au mouvement car ce ne sont pas des revendications ciblées qui peuvent se résoudre à court terme. L’essentiel est qu’on assiste à l’émergence d’une conscience collective, qui inquiète les politiques. Dans un pays où le vote est obligatoire, les citoyens réclament désormais des politiques non plus aux services de leurs intérêts privés mais qui représentent le peuple.

Des résultats symboliques apparaissent néanmoins puisque plusieurs villes ont annoncé la réduction du tarif des transports publics, alors que de nombreuses manifestations (plus de 500) sont programmées pour les prochains jours. Une volonté d’apaiser qui, bien que louable, ne fait que répercuter tardivement une ancienne baisse d’impôt concédée à toutes les entreprises de transport (en ce qui concerne la Paraiba en tout cas).

Les mouvements parallèles

Difficile d’évaluer le profil du manifestant. Néanmoins, il est certain que les cortèges comptent un certain nombre de manifestants qui, de manière moins médiatique, ont déjà battu le pavé au cours des derniers mois contre certaines propositions de loi ultraconservatrices (et régressives), portées notamment par les mouvements évangélistes, dont il faut retenir les trois exemples suivants :

– Projet "cura guay" (soigner les homosexuels), proposé par le député et pasteur évangéliste Marco Feliciano, nommé par l’Assemblée président de la commission des droits de l’homme et des minorités, et qui, en accord avec sa foi mais en contradiction avec sa fonction, a proposé une loi (votée ce mardi en commission – premier pas vers un vote à l’Assemblée) visant à faire de l’homosexualité une maladie nécessitant un traitement par les psychologues.

– Loi sur le statut de l’embryon (surnommée populairement "allocation viol"), votée à l’assemblée le 6 juin et devant encore être approuvée par le Sénat : elle vise à interdire l’avortement en cas de viol, l’un des rares cas où il était encore autorisé (avec les situations de risque de mort pour la mère lié à la grossesse et les cas d’anencéphalie). La loi prévoit d’obliger la victime de viol à garder l’enfant. Elle recevrait en échange une allocation pour aider à son éducation (jusqu’à 18 ans).

– Projet de loi PEC37 (de modification de la constitution) déposé par le député Lourival Mendes, visant à limiter les pouvoirs d’investigations du Ministère public, c’est-à-dire, selon une certaine interprétation, une loi visant à préserver l’impunité judiciaire des hauts fonctionnaires et responsables politiques. Une loi qui favoriserait la corruption, si elle était votée.

Encore ?