En règle générale, les druides ne tombent pas des arbres. C’est pourtant ce qui est arrivé à Panoramix (Bernard Alane) alors qu’il cueillait du gui. Le druide s’en sort avec une cheville en mauvaise état mais c’est psychologiquement qu’il est le plus chamboulé. Prenant conscience que le village serait totalement démuni s’il venait à disparaître, Panoramix décide de parcourir le monde gaulois accompagné d’Astérix (Christian Clavier) et Obélix (Guillaume Briat) pour trouver un jeune druide talentueux à qui transmettre le secret bien gardé de la potion magique.
Une lubie qui ne réjouit personne au sein du village mais qui est finalement acceptée devant l’insistance du vieux sage. Sulfurix (Daniel Mesguich), un druide machiavélique qui déteste Panoramix, espère profiter de l’occasion pour prendre sa relève et se venger ainsi de son vieil ennemi. Entre ses mains, le secret de la potion magique aurait des conséquences dramatiques pour Astérix et ses amis.
Un Astérix tout beau, tout neuf
Dans l’univers foisonnant d’Astérix, cela fait déjà plusieurs années que les bandes dessinées se sont affranchies des pères fondateurs Albert Uderzo et René Goscinny et sont entre les mains de nouveaux créateurs. Pour les films d’animation c’était jusque là différent : malgré une certaine liberté d’adaptation, les scénarios étaient basés sur les bandes dessinées déjà publiées, parfois en fusionnant deux histoires entre elles.
C’est d’ailleurs cette tradition qui avaient été scrupuleusement suivie par Louis Clichy et Alexandre Astier lors de leur première — et très réussie — excursion en pays gaulois avec Astérix – Le Domaine des Dieux (2014) – lire notre critique, adaptation sur grand écran de la BD éponyme, pour la première fois avec des personnages en animation 3D.
Cette fois-ci, le créateur de la série Kaamelott et l’ex des studios Pixar sautent le pas en proposant une histoire totalement inédite, introduisant au passage de nouveaux personnages. Et le résultat, très convaincant, préserve les personnages incontournables et tout ce qui fait l’ADN des aventures d’Astérix tout en insufflant une modernité renforcée par rapport au premier opus.
Comme libéré par un scénario issu d’une page blanche, les cinéastes osent un décalage plus important que dans Astérix – Le Domaine des Dieux et des clins d’œil malicieux qui fonctionnent parfaitement dans l’univers d’Astérix. Le duo Uderzo et Goscinny incorporait dans chaque album des personnages et thématiques en phase avec leur époque, la tradition perdure.
Pour cette nouvelle adaptation, le ton est donné dès le début du film : le titre très dansant You Spin Me Round (Like a Record) du groupe Dead or Alive ouvre le bal. Astérix vivant dans l’antiquité avec un son new wave des années 80 : un décalage audacieux qui — étrangement — fonctionne à merveille tout comme un étonnant combat n’ayant rien à envier aux confrontations épiques entre des monstres et des robots géants issus de la culture japonaise.
Et parmi ces références décalées, Alexandre Astier se permet également un clin d’œil furtif aux nombreux admirateurs de Kaamelott avec l’irruption soudaine du générique de la série à un moment totalement incongru. De quoi titiller les nombreux fans qui attendent impatiemment le film dont la production a enfin été confirmée.
Concernant le graphisme aucune — mauvaise — surprise, les personnages en 3D sont dans la lignée du film précédent, toujours aussi réussis. La réalisation dynamique et l’enchaînement des vannes et autres galéjades soutiennent un rythme qui interdit l’ennui. Côté casting, les aficionados de Kaamelott seront ravis de retrouver certaines voix incontournables de la série qui rempilent dans leur rôle : Guillaume Briat, le roi burgonde, en Obélix, Lionnel Astier, Léodagan, en Cetautomatix, et Alexandre Astier qui endosse une nouvelle fois l’uniforme du centurion Oursenplus.
Roger Carel, voix historique d’Astérix qui avait annoncé sa retraite lors de sa participation au film précédent, a été remplacé par Christian Clavier. Sa prestation en Astérix est toujours préférable aux rôles qu’il incarne dans des comédies dont le succès public n’évacue pas le malaise qu’elles procurent. Elie Semoun est également de la partie, parfait dans le rôle de Cubitus, soldat romain tête à claques. Mais un graphisme sans faille et un casting au top ne suffisent pas forcément pour faire un bon film d’animation. Si ce nouvel opus frise la perfection c’est avant tout grâce à son histoire dans la lignée des bandes dessinées tout en prenant quelques risques.
Apocaliptix
C’est une évidence, Astérix et ses amis sont toujours confrontés à une épreuve. Sans problème, il n’y a pas d’histoire. Mais ce nouveau film d’animation dédié aux gaulois réfractaires à l’envahisseur se distingue à plusieurs niveaux. Tout d’abord, les Romains ne sont pas, comme souvent, la menace principale : ils ne font que profiter d’une situation de faiblesse dont ils ne sont pas responsables. Le vrai danger est ailleurs, incarné par Sulfurix.
Personnage réellement méchant, il n’est pas, contrairement à l’habitude, caricaturé ou moqué. Malin et cruel, ce druide ambitieux cherchant à mettre la main sur la formule de la potion magique a une grande capacité de nuisance. Sans que cela ne se ressente sur l’ambiance générale du film — qui reste un divertissement familial où les scènes comiques s’enchaînent —, cet Astérix inédit a un fond plus sombre que les aventures précédentes.
Certes, ce n’est pas la première fois que Panoramix perd pied : dans le film Astérix et le Coup du menhir (1989) — adapté des albums Le Combat des chefs et Le Devin — le druide, devenu complètement maboul, avait oublié la composition de la potion magique. Mais, cette fois-ci, c’est en toute lucidité qu’il estime qu’il est temps de transmettre son savoir. Son accident lui fait prendre conscience que personne n’est immortel, même un druide, et que le village serait rapidement décimé sans le breuvage magique dont lui seul détient le secret.
On retrouve là un ressort familier des aventures des irréductibles gaulois : la perte de leur avantage face à l’envahisseur romain. Mais la prise de conscience de Panoramix confronté à sa propre fin et potentiellement celle du village est plus anxiogène — et touchante — qu’une interruption temporaire de ses facultés. Mais alors qui pourrait le remplacer ?
À la recherche de la nouvelle druide
Astérix – Le Secret de la potion magique tourne évidemment autour de l’identité du successeur potentiel du vieux druide. Avec l’aide d’Astérix et Obélix, Panoramix fait la tournée des jeunes druides du pays qui s’avèrent tous catastrophiques. L’occasion pour les réalisateurs de créer une galerie de personnages irrésistibles aux noms improbables parmi lesquels un jeune druide ressemblant étrangement à une figure très connue qui propose de multiplier les pains comme preuve de ses pouvoirs. Parmi tous ces prétendants, il y en a une qui se verrait bien prendre la relève de Panoramix.
Mais Pectine, la meilleure élève du village, est trop jeune et surtout… c’est une fille ! En rusant, la fillette s’invite dans le périple du druide mais doit rapidement déchanter. Devant la forêt sacrée des druides un écriteau met en garde la gente féminine : « Interdit aux non-druides et évidemment aux femmes » peut-on y lire. Le terme « évidemment » rappelle la façon dont Alexandre Astier traite de sujets comme la peine de mort ou encore la torture dans la série Kaamelott.
Il porte un regard volontairement décalé et provocateur sur des pratiques d’un autre temps pour mieux nous renvoyer au chemin qui reste à parcourir sur les sujets actuels. Cette aventure d’Astérix est sur ce point la plus révolutionnaire de toutes, sur le fond et sur la forme. Elle ose interroger l’avenir du célèbre druide et bouscule au passage les certitudes et les traditions de la très virile et moustachue communauté gauloise.
Aventure totalement inédite, Astérix – Le Secret de la potion magique surpasse un premier opus déjà très réussi. Avec un fond plus sombre porté par un véritablement méchant, Louis Clichy et Alexandre Astier nous offrent une histoire d’une modernité remarquable tout en assurant le divertissement familial qui plaira aux petits et aux — très — grands enfants.
> Astérix – Le Secret de la potion magique, réalisé par Louis Clichy et Alexandre Astier, France, 2018 (1h25)