Son emploi du temps est réglé comme du papier à musique. Il est 16 heures passées, dans un petit appartement du XIIIe arrondissement de Paris, Antoine prépare ses derniers effets avant de rejoindre le métro. Sur son ordinateur, il finit de graver quelques CD, où treize de ses reprises sont compilées. « La dernière fois, j’en ai vendu trois ! », se félicite-t-il. Ce sont surtout des chansons de bossa nova, genre dont il est tombé amoureux. Le guitariste est aussi amateur de variété française et internationale, de Cabrel à U2.
Chanteur officiel du métro parisien, Antoine B., 39 ans, multiplie aussi les petits concerts, dans des bars ou des soirées privées. « Avec tout ça, j’arrive à avoir un bon niveau de vie », raconte le chanteur à la voix posée, qui préfère ne pas dire combien il gagne, « l’argent du métro, c’est tout au black ». Il glissera simplement qu’à ses débuts, il gagnait entre 10 et 20 euros, pour trois heures de concert. Après quinze ans à travailler comme informaticien, Antoine a décidé de tenter sa chance dans le monde de la musique. Quitter les claviers d’ordinateurs pour préférer les touches du piano et les cordes de guitare.
Un dernier coup de peigne dans ses cheveux frisés et il est l’heure de partir. Cet après-midi, comme quatre jours par semaine, il emporte tout son matériel de musique dans un cabas : guitare, ampli, micro et une petite batterie pour faire fonctionner le tout. « Et un siège, pour m’asseoir. Je ne peux pas rester trois heures debout. Je prends aussi une polaire, il fait froid sans bouger », explique-t-il en souriant. Sous son jean un peu usé, il porte aussi un collant, « pour se réchauffer ». Dans le métro, malgré son attirail, il se faufile aisément entre les passants. Et pour cause, il connaît toutes les lignes presque par cœur, surtout celles à bannir. « Pour chanter, il y a des couloirs à éviter, là où il vente beaucoup, où les gens ne passent jamais ». Antoine a ses petites préférences : « les gros échangeurs, là où il y a beaucoup de monde. Et surtout les longs couloirs, les gens nous entendent de loin ».
« Le métro, c’est comme une vitrine de magasin »
Ce mercredi, il opte pour une station au cœur de Paris et l’un de ces longs tunnels. Pour ne pas mettre les musiciens concurrents sur la bonne voie, il préfère taire le nom de sa bonne planque. « 17 heures pile, on est dans les temps », se rassure Antoine, en déposant ses affaires à l’embranchement de deux lignes très fréquentées. Il n’oublie pas de déposer sa housse de guitare, où les gens laisseront une petite pièce, ou deux. A l’intérieur, traîne une feuille blanche où il a imprimé ses coordonnées. « C’est un endroit où je me fais des contacts. Un couple qui m’a vu dans les couloirs m’a appelé pour que je joue à leur mariage. Le métro, c’est comme une vitrine de magasin pour moi », raconte Antoine, maintenant prêt à chanter.
Les premières notes de Bang Bang, le tube de Nancy Sinatra, couvrent le brouhaha des voyageurs. Antoine a une voix claire mais puissante, son anglais est presque parfait. Par intermittence, le bruit de pièces qui tombent se fait entendre, des pièces de deux et un euros. Le chanteur, imperturbable, remercie les passants avec un large sourire. « C’est un bon jour, les gens sont sympas mais je suis toujours à l’affût, pour éviter de me faire agresser. Ca n’arrive pas souvent, mais on ne sait jamais ». Lui ne s’est jamais fait voler son matériel ni agresser physiquement, mais parfois, des jeunes ou des passants éméchés l’interrompent. Pas de quoi déstabiliser Antoine, toujours très concentré sur ses paroles et son jeu de cordes.
Devant lui, les passagers défilent par vagues. Certains sont trop pressés pour lui prêter attention, d’autres lui sourient timidement. Quelques-uns s’arrêtent pour l’écouter. Comme Aurore, qui dégaine son téléphone rose fluo pour noter le numéro d’Antoine : « Il chante bien, j’aimerais savoir s’il fait des concerts ». La jeune femme repart aussitôt, alors qu’Antoine entame Beautiful de James Blunt. Avec plus de cent chansons à son répertoire, le musicien a prévu de tenir jusqu’à 20 heures ce soir.