Malgré des situations différentes, Ali (Adeel Akhtar) et Ava (Claire Rushbrook) partagent le même sentiment de solitude. Leurs chemins vont se croiser grâce à leur affection commune pour la fille des locataires slovaques d’Ali, Sofia, 6 ans, dont Ava est l’assistante scolaire.

La chaleur et la gentillesse d’Ava réconfortent Ali tandis qu’elle apprécie son humour et sa complexité. D’une nouvelle lune à l’autre, un lien profond se tisse entre ces deux âmes en quête de renouveau. Évidente, leur connexion ne tarde pas à se transformer en passion enflammée. Mais les séquelles de la précédente relation d’Ava et l’insécurité émotionnelle d’Ali planent sur cet amour naissant.

Fusion de projets

Ali & Ava s’inspire très directement des rencontres marquantes faites par Clio Barnard sur le tournage de ses films précédents. Le personnage d’Ali est inspiré par Moey Hassan, un acteur, DJ et logeur à Bradford avec qui la cinéaste à travaillé lors du tournage de The Arbor (2010). Ce documentaire poignant mêlant images d’archives et reconstitutions jouées par des acteurs explore la relation ambigüe entre la dramaturge Andrea Dunbar et sa fille Lorraine et leurs trajectoires dramatiques.

Le personnage d’Ava a été inspiré par Rio, une mère et assistante pédagogique croisée sur le tournage de son second film Le Géant égoïste (2013). Un récit social sous la forme d’une fable contemporaine sur deux adolescents entraînés dans le trafic de métaux pour s’en sortir.

Tous en scène

Avec Kamal Kaan, consultant en scénario vivant à Bradford, Clio Barnard a créé les doubles fictifs de ses deux personnes et confronte leur amour à une adversité à la fois sociale et familiale. Des personnages que la réalisatrice décrit comme des « portraits biographiques fictionnels », écrits en lien avec ceux qui sont représentés.

Projet collaboratif jusqu’au bout, le processus créatif a également intégré les acteurs pour offrir plus de profondeur aux personnages. Ainsi Adeel Akhtar, découvert dans la comédie We Are Four Lions (2010), qui incarne Ali a participé à la création de son personnage de DJ propriétaire.

Sociologie romantique

Cette obsession pour la justesse des personnages se ressent également dans le traitement social de Bradford, ville où se déroulait déjà l’action de The Arbor et Le géant égoïste. Un regard qui se veut honnête et bienveillant sur cette ville anglaise située dans le Yorkshire de l’Ouest. Inspiré de personnages réels, Ali & Ava applique le thème du mélodrame à cette ville dans une version au réalisme social assumé.

La tendre romance contrariée qui unit Ali et Ava est l’occasion de décrire en filigrane la réalité de Bradford. À travers cette ville, Clio Barnard interroge le terme de communauté en mettant en avant ce qui la maintient soudée malgré les différences généralement vécues comme des obstacles insurmontables.

Ali & Ava vient casser l’image terne d’une ville post-industrielle divisée et pauvre en mettant l’accent sur l’entraide et la générosité de ses habitants. Ava incarne cette gentillesse naturelle qui charme particulièrement Ali. Ces valeurs positives mises en avant n’empêchent pas d’évoquer les ombres qui planent sur la ville et, de façon plus générale, sur la cohésion du pays.

Under pressure

Si Ali et Ava doutent de la possibilité de leur amour, ils doivent avant tout ce réflexe de protection à leurs situations personnelles compliquées. Ali souffre d’une séparation douloureuse qui le rend méfiant. Ava s’enferme dans le rôle d’une mère et jeune grand-mère célibataire qui doit veiller à l’équilibre de sa petite tribu. Ensemble, ils vont apprendre à briser ces limites qu’ils s’imposent en dévoilant leurs vulnérabilités respectives.

Mais, même s’ils comptent bien les combattre, Ali et Ava sont également soumis à des pressions de leurs proches. Ainsi Callum (Shaun Thomas), jeune père déboussolé par la mort de son propre paternel, rejette par principe cet homme qui surgit dans la vie de sa mère. Il incarne un racisme latent, aussi instinctif que stupide, dicté par un sentiment de dépossession.

Dans les rues de Bradford, comme ailleurs, les questions d’identité nationale, de culture, de race et de classe sont au centre de débats sociaux qui dérivent vers des discours politiques extrémistes. À l’instar de la rencontre entre Ali d’origine pakistanaise et Ava possédant des racines irlandaises, Ali & Ava prône une vision pragmatique et humaniste de ces problématiques.

De pire Empire

Ali & Ava est une grande respiration qui fait du bien, un pas de côté salvateur face à la dérive générale d’un discours politique extrême qui s’est installé dans le débat public. Cette romance résolument moderne vient contrer l’exploitation de la peur par les  « politiciens toxiques » selon Clio Barnard.

Les parents de deux amants proviennent respectivement d’Irlande et du Pakistan, deux pays qui ont fait partie de l’Empire britannique. Tous deux portent un héritage de violence et de racisme. Le fait qu’ils se retrouvent réunis par Sofia, gamine slovaque incarnant la nouvelle vague d’immigration dans le pays, n’a évidemment rien de fortuit.

Si ces questions d’identité et d’intégration ne sont pas au premier plan dans la relation entre Ali et Ava, elles transparaissent à travers la description réaliste de Bradford. À l’image du combat intime des deux célibataires, le film invite à prendre en compte les traumas du passé sans les laisser dicter leur loi. Et ne pas laisser les différences devenir des frontières infranchissables passe ici par la musique.

Hey mister DJ, put a record on…

Pour la première fois, Clio Barnard offre un rôle primordial à la musique dans un de ses films. Essentielle dans la vie d’Ali, la musique prend le relais de la jeune Sofia qui a permis la première rencontre entre le DJ et l’assistante scolaire. Ou plutôt les musiques, car là aussi la diversité est revendiquée, indispensable. Une profusion de sons qui n’empêche pas le rapprochement, bien au contraire.

Pourtant, les choses démarraient mal. Alors qu’il ramène Ava en voiture, Ali est horrifié d’apprendre que l’assistante scolaire est fan de country. Pire, elle confie également aimer la musique folk ! La BO du film est à l’image de ce choc des cultures musicales, un mix a priori improbable où se mêlent harmonieusement des styles éclectiques.

Mama You Been On My Mind de Bob Dylan accompagne l’ensemble du film et côtoie des morceaux aux sonorités très diverses aimés par Ali. On retrouve dans la playlist de ce passionné de musique l’électro de Daniel Avery, mais aussi du hip hop avec Ocean Wisdom parmi des titres de The Buzzcoks, Sylvan Esso ou encore The Specials. De son côté, Ava préfère des artistes de folk comme Sammi Smith ou Karen Dalton.

Malgré ces goûts très différents, Ali & Ava met en scène une communion musicale à travers de magnifiques scènes où le film se mue, le temps d’une danse, en une exaltante comédie musicale sociale. Omniprésente, la musique accompagne subtilement cette romance : elle invite à se défouler, à panser les plaies et, évidemment, à se rapprocher.

Tendre et stimulante, Ali & Ava est une romance moderne qui brille par un réalisme sincère et les bonnes ondes d’un message d’ouverture à l’autre qui fait du bien. N’en déplaise aux cassandres actuels, écouter deux chansons différentes n’empêche pas de danser ensemble. À Bradford comme ailleurs.

> Ali & Ava, réalisé par Clio Barnard, Royaume-Uni, 2021 (1h35)