Made in England

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20 septembre 2010

Jeune artiste française, Marilou Rabourdin est partie à la conquête de Londres. La graphiste-designer, 30 ans à peine, compte bien s'y imposer.

Londres, ville moderne, bouillonnante, artistique par excellence, est une sorte de New York à l’Européenne où beaucoup viennent tenter leur chance. Quoi de mieux pour planter le décor lorsqu’on est une artiste au printemps de sa carrière ? Marilou Rabourdin, 28 ans, créatrice, graphiste, sac à idées, made in France, a saisi l’engouement de l’émigration outre-Manche pour se réaliser en tant qu’artiste. Elle nous ouvre les portes de son studio créatif, au cœur de l’Est londonien, qu’elle partage avec d’autres artistes de différentes nationalités. Portrait de cette jeune expatriée pour qui travail rime avec échange et art avec partage ; au cœur de Londres la Brumeuse, qui n’a jamais été aussi tendance.

Broadway market, Colombia road et son marché aux fleurs, Old street et ses bars trendy, Bricklane et ses bagel shops, Shoreditch et ses boutiques branchées : bienvenue à East London où rien ne se ressemble et tout se superpose. « On a notre espace dans une des arches sous le pont », avait précisé Marilou avant cet entretien. Derrière la grille à l’entrée, des arches, sous une voie ferrée, s’enchaînent les unes après les autres, toutes réhabilitées en bureaux. Attention ! ici, pas de dentistes, comptables ou généralistes, il faut quand même garder l’esprit. On y trouve plutôt des artistes, graphistes et architectes. Toujours est-il qu’à Londres, on peut travailler sous les ponts. Marilou, petit boute-en-train pétillant et motivé ouvre, en souriant, les portes de sa caverne aux mille couleurs.

L’espace est aéré et coloré, avec une mezzanine dans le fond. De nombreuses créations trônent ça et là sur les murs, les bureaux et la rampe d’escalier. Marilou partage cet open space avec un collectif de créatrices, les Puffs and Flocks, et d’autres graphistes et designers freelances. « On se donne des bons plans et parfois, des collaborations se créent », explique-t-elle. Pour Marilou l’échange tient une place importante, « les brainstormings permettent de partager différentes approches ». Pas de concurrence donc, le mot d’ordre, c’est le partage ! Cette proximité, c’est aussi le moyen de rester motivée, « le fait de savoir que tout le monde bosse autour de toi, c’est un moteur ». Marilou présente son espace : un ordinateur, de nombreux livres, divers accessoires, des photos sur le mur, souvenirs d’anciennes collaborations. « J’ai toujours rêvé d’avoir un studio à Londres », poursuit-elle en agitant un masque qu’elle vient placer sur le bout de son nez en riant. Le rêve semble être à la hauteur de la réalité, mais comment apprivoise-t-on l’une des villes les plus créatives d’Europe quand elle est si riche en concurrents ?

Après un BTS en design textile à l’école Duperré à Paris, et un DSAA à Roubaix, dans le même secteur, Marilou décide de tenter sa chance outre-Manche. Elle débute un Master en études de Design à la célèbre Saint Martin’s University of Arts, qui a, entre autres, rendu célèbres Stella McCartney et Alexander McQueen. En plus d’être enrichissante au niveau technique et culturel, cette étape est aussi un tremplin pour le début de sa carrière. « Mon Master n’était pas un enseignement théorique, c’était plus un cheminement : "à vous de mener la barque dans votre propre projet", principalement c’est "up to you", comme on dit ici. » Grâce à cet enseignement moins didactique, plus flexible, l’éventail de ses capacités se développe et son univers, jusqu’alors textile, compte désormais un excellent sens de la communication. Une idée lui vient alors : pourquoi ne pas créer un journal réalisé entièrement par des enfants. « Avec Kidz Krew, je voulais poser une question : comment la parole et le regard des enfants sur l’actualité peuvent-ils être aussi pertinents que ceux des adultes ? » Pour réaliser son projet, elle collabore avec différents graphistes, le producteur du contenu éducatif de la BBC, un psychologue et une classe de vingt-quatre enfants de 9 ans. Ce projet, à la fois audacieux, original, créatif et recherché, représente une de ses valeurs : l’art doit être accessible à toutes les générations. Cette étape marque la fin de son Master et attire l’attention de ses tuteurs, avec lesquels elle reste en contact.

L’absence de carcan artistique à Londres permet à Marilou de faire ses preuves : « Ici, ils laissent la chance au produit », explique-t-elle. Armée de confiance et d’instinct créatif, elle s’attaque enfin au monde du travail. Entre les stages non rémunérés et les boulots alimentaires, il faut de la persévérance et de la volonté. « Les entreprises en profitent, car pour des stages de plus d’un mois, elles doivent dédommager. Alors beaucoup d’agences prennent des jeunes pour quatre semaines maximum. » Malgré les galères, Marilou s’accroche. Elle crée son site internet pour illustrer son travail. Ludique et coloré, www.marilourabourdin.com est un peu à son image et à celle de ses créations. Fan de textiles, elle pratique la sérigraphie en créant des designs originaux. Amateur de supports papiers, elle utilise également rythmes et couleurs pour élaborer des graphiques acidulés, pour le magazine pour enfants Okido. Ou pour des projets plus sérieux: « En octobre, je vais participer à la création de l’identité visuelle d’une banque. C’est aussi créatif mais il faut respecter des règles. » Entre bonne humeur et débrouille Marilou fait son trou : « je vais aussi faire l’identité visuelle d’un type qui fait de super montres, c’est juste en papotant avec lui dans la rue que j’ai réussi à décrocher le boulot ».

Boulimique de travail, elle enchaîne les projets. « J’ai fait pas mal de stages dans la pub, le merchandising, la mode, j’ai même fait un packaging rigolo pour une marque de mousse à raser, "Queen of shave" .» Grâce au bouche-à-oreille, elle multiplie les expériences, jusqu’à ce qu’un de ses anciens tuteurs la mette sur un projet d’illustration pour un livre sur Nelson Mandela. Reflection on Nelson Mandela Icon of Peace d’Antoinette Haselhorst, est un recueil d’interviews sur le leader Sud-Africain. En travaillant sur le côté visuel et le design du livre, elle estime avoir énormément appris. « J’ai eu beaucoup d’échanges avec l’auteur. Beaucoup de gens m’ont fait confiance. » Une ligne de produits dérivés pourrait voir le jour très prochainement pour promouvoir le livre, donnant à Marilou l’opportunité de créer des accessoires basés sur ses propres designs. Le vent semble définitivement tourner en sa faveur.

Compte-t-elle un jour rentrer au pays ? « Pour le moment, rien ne m’y pousse et en tant que freelance, c’est facile de bosser entre Londres et la France. » De plus, Londres semble lui convenir. « C’est une grosse plateforme, avec des gens du monde entier », explique Marilou. Une ville liée à la vieille Europe qui a néanmoins de larges fenêtres ouvertes sur le monde. Inspirée par les contrastes de Londres, elle apprécie le décalé, l’étrange, le curieux : « avoir une ligne de chemin de fer à côté de jolies maisons. Tous les rythmes de la ville, c’est bien pour l’inspiration », s’exclame-t-elle. On y trouve aussi un excellent mélange d’expos en tous genres, de musées gratuits, d’événements variés. « C’est un bain culturel dans lequel il fait bon se baigner », résume l’expatriée. La jeune fille n’est sans doute pas prête de sortir de l’eau.