Jaddo, médecine et confidences

Jaddo, médecine et confidences

Jaddo, médecine et confidences

Jaddo, médecine et confidences

24 novembre 2011

Sur son blog, sous le pseudo de Jaddo, une jeune médecin généraliste, raconte son quotidien depuis son entrée dans le monde médical. Des confidences, des histoires courtes, touchantes et parfois cruelles, aujourd'hui réunies dans un livre plein d'humour. Interview.

Jaddo, 31 ans, est médecin généraliste. Derrière ce pseudo, une jeune femme de caractère qui a décidé de raconter, d’abord sur un blog, puis aujourd’hui dans un livre, ses petites « histoires brutes et non romancées » de médecin. Avec un ton léger, toujours drôle, elle dépeint la réalité de son quotidien. Du service des urgences à l’hôpital à ses premiers remplacements. Rien n’est inventé, les faits et personnes ont simplement été maquillés.
Jaddo partage ses joies, ses doutes, ses indignations. Des histoires émouvantes, souvent révoltantes et qui font froid dans le dos. Parfois absurdes aussi. Dans Juste après dresseuse d’ours (vous comprendrez pourquoi ce titre dans l’interview…), Jaddo porte un regard honnête sur son métier, sans concession. Entre (sou)rire et colère. Avec beaucoup d’humour, Jaddo n’hésite pas à révéler ses « petites lâchetés quotidiennes » et son impuissance dans certaines situations. Entretien avec un médecin généraliste plein d’autodérision.

 

Jaddo, vue par le dessinateur de BD, Boulet. | Visuel © Boulet

Pourquoi avoir choisi ce surnom de Jaddo ?

Je ne l’ai pas vraiment choisi. Quand j’ai construit le blog, en suivant sagement les instructions, sourcils froncés, et qu’il a fallu remplir la case « pseudo », j’ai tapé trois fois sur le clavier, pour passer à l’étape suivante. C’est tombé sur « Rrr », mais ça aurait pu aussi bien être « Ttt ». C’est pas super pratique, « Rrr », comme pseudo. Du coup, les gens se sont mis à m’appeler Jaddo, comme l’URL du blog. C’est resté.

Juste après dresseuse d’ours : pourquoi avoir choisi ce titre pour votre livre ?

Tout simplement parce que, juste avant de décider d’être médecin, je voulais devenir dresseuse d’ours. J’avais 6 ou 7 ans. Et puis, un jour, en faisant une découverte fondamentale sur la neuro-anatomie, j’ai décidé que médecin, c’était vachement mieux.

Pourquoi avoir choisi d’ouvrir un blog ?

J’avais plein d’histoires sur le cœur. Des trucs que j’avais besoin de partager parce que je m’étais sentie très seule en les vivant. Je les ai racontées à des amis médecins, en petit cercle, sur des mailings lists[fn]Une « liste de diffusion » permet à un expéditeur d’envoyer un message à un ou plusieurs destinataires, par courrier électronique.[/fn] médicales pour commencer.
Mon « médecin-mentor-à-moi-que-j’ai » trouvait que j’étais « douée pour raconter l’absurdité de l’hôpital ». Il me disait de faire un blog. J’ai longtemps hésité à cause du secret médical. Il a insisté encore, plus longtemps, et finalement ce blog est né.

Vous vous sentiez mieux en l’écrivant : vous aviez besoin de ne pas garder ces histoires pour vous ? Besoin de témoigner ?

J’avais en effet besoin de témoigner. J’avais vu des choses tellement absurdes, tellement insensées, au milieu de gens qui avaient l’air de trouver ça tout à fait normal ! J’avais besoin de partager ma stupéfaction. Besoin de voir que ce n’était pas moi qui étais folle.

Pour dénoncer certaines pratiques de médecins ?

Oui, bien sûr, mais ce n’était pas un combat. Ce n’était pas une croisade pour « faire savoir ». C’était aussi pour dénoncer ma frousse, mes impressions d’incompétence, mon désespoir à me voir incapable de retenir un nom d’antibiotique. C’est vraiment juste que je l’avais dans les tripes et besoin de le vomir.

Je vomis ce que j’ai dans la tête

Certaines histoires sont très détaillées et très précises : avez-vous pris des notes pour vous souvenir du moindre détail ?

Non, jamais. Les histoires sont détaillées parce qu’elles m’ont marquée, alors, forcément, je m’en souviens. Je ne vis jamais un moment en me disant « Ohlala, ça, j’en parlerai sur mon blog ».
Les premières histoires sur mon blog, ce sont des histoires que j’avais dans le bide depuis des années, auxquelles j’avais pensé et repensé, que j’avais déjà racontées à mes proches, plein de fois. Elles étaient déjà « écrites », je les racontais de la même manière depuis des années.

Ecrivez-vous dès que vous rentrez chez vous, à l’hôpital ?

Toujours chez moi. Et le délai, ça dépend complètement. Parfois je raconte une histoire qui vient de se passer, parfois je raconte une histoire qui date de plusieurs mois. Il n’y a pas de règle.

Ecrire vous a-t-il permis de tenir dans les moments difficiles ?

Écrire, pas tellement. Je ne sais pas comment dire, mais… Je ne fais pas un « travail » d’écriture. Je vomis ce que j’ai dans la tête, ça sort d’un coup et ça sort tel quel. Je ne me souviens pas, par exemple, avoir complètement changé de point de vue sur une histoire parce que l’écrire m’avait permis de la voir sous un autre angle. Par contre, lire les gens qui me répondaient, oui, ça, ça m’a beaucoup aidée.
Quand on arrive la queue entre les jambes pour raconter un truc où on est nulle, et qu’on voit que d’autres disent « Moi pareil !! », c’est super réconfortant. De voir que ce qu’on raconte fait écho, qu’on n’est pas la seule à le vivre de cette manière, qu’on est comprise, même dans nos moments moches et nuls, qu’on partage les mêmes souvenirs révoltants que d’autres, c’est cicatrisant.

Quelle est l’histoire qui vous a le plus marquée ?

Ça, c’est comme si vous me demandiez quelle chanson de Brassens je préfère. Je suis bien incapable de choisir.

Ensuite, pourquoi l’idée d’en faire un livre ?

C’est pas moi qui ai eu l’idée, c’est Guy Birenbaum (éditeur chez Fleuve noir, NDLR). J’ai suivi.

 | Visuel Fleuve noir

La parution du livre a-t-elle modifiée votre façon de publier sur le blog ?

La parution du livre, non. Ce qui a changé un peu les choses, c’est le temps, et le fait d’être plus lue qu’avant. Au début, j’avais des années à raconter d’un coup, et je n’étais pas beaucoup lue. J’avais des tonnes et des tonnes d’histoires de côté, anciennes. Y avait qu’à les écrire.
Maintenant, forcément, le stock s’épuise un peu, et concerne des histoires plus récentes. Or, je suis plus lue qu’avant. Pour le secret médical, c’était assez fastoche de raconter à douze personnes des histoires qui remontaient à des années, dans une autre ville.
Là, si je raconte quelque chose qui m’est arrivée la semaine dernière, il y a un risque que quelqu’un se reconnaisse, même s’il est faible, et qu’il faudrait un sacré hasard pour que mon patient me lise. C’est forcément plus difficile, il faudrait maquiller davantage, ou attendre un peu. C’est pour ça que le rythme est moins soutenu qu’au début.

Quel regard portez-vous sur votre profession aujourd’hui, avec un peu de recul ?

Je n’ai aucun recul. Je vis mon boulot au jour le jour, en regardant mes pieds et mon nombril. Je laisse le recul à ceux qui savent en avoir, et je les écoute.

Est-ce que vous regrettez d’avoir choisi d’être médecin généraliste ?

Jamais de la vie. À aucun moment, même transitoire.

Comment vos collègues ont-il réagi après la parution de cette ouvrage ?

On me pose souvent cette question, et en fait, je n’ai pas de réponse, parce que je n’ai pas de collègues. Le Dr Carotte était ravi pour moi, le Dr Cerise ne connait l’existence ni du blog, ni du livre. Ma copine Lucie est contente pour moi, mais c’est ma copine avant d’être une collègue. Mes collègues médecins d’Internet sont ravis pour moi, mais ce sont mes amis-d’Internet avant d’être des collègues. Ils sont dans le même genre de démarches que moi : ils sont sur Twitter, ils ont un blog aussi, tout ça. En tout cas, je n’ai pas eu beaucoup de gens qui sont venus crier au scandale sur mon blog ou par mail.

Je reste anonyme car je ne veux pas que ça nuise à mon travail

Avez-vous eu des retours de patients qui vous ont parlé de l’ouvrage, sans savoir que vous en étiez l’auteure ?

Aucun. Ni du blog.

Au total, combien d’années sont compilées dans l’ouvrage ?

Heu. Ce n’est pas vraiment « compilé », ce sont des histoires picorées, piochées ici ou là, entre la P1 (première année du premier cycle d’études médicales, NDLR) et maintenant. Donc ça s’étale sur treize ans.

Et l’avenir dans cette profession, comment l’envisagez-vous ? Sachant que vous n’aviez pas envie de devenir « chef de service ni prof à la fac » ?

Je ne sais pas encore. À long terme, je me vois dans mon cabinet à moi (ou à nous), mais je n’ai pas de projet précis. La vie m’a toujours plutôt gâtée, elle m’amène des trucs chouettes sur des plateaux d’argent, je vais attendre de voir ce qu’elle a encore en stock pour moi.

Vous faites très attention à rester anonyme, autant sur internet que dans l’ouvrage : pour quelle raison ?

Parce que je ne veux pas que ça nuise à mon travail et à ma relation avec les gens. Je ne veux pas qu’un patient puisse rentrer dans mon bureau en se demandant si ce qu’il me raconte va finir sur Internet, ni si je l’écoute en médecin ou en raconteuse d’histoires.
Comme je le disais, je ne vis jamais le présent en pensant « Tiens, cette histoire-là, c’est de la bonne came pour mon blog », je suis entièrement à ce que je fais, à ce qui se passe. Les deux versants sont très séparés. Mais les gens ne peuvent pas le savoir, ne peuvent pas en être sûrs, et je ne voudrais surtout pas que ça fausse les choses.

Jaddo, sur Twitter.

Vous êtes très présente sur Twitter : vous demande-t-on souvent une consultation virtuelle ?

Étonnamment peu. J’ai dû avoir deux ou trois questions médicales personnelles auxquelles je ne pouvais pas répondre, toutes les autres (et elles sont très rares aussi) sont des demandes d’information à titre général, auquel il est possible de répondre sans problème.
Ça a été une des très agréables surprises de Twitter, justement.

Dans la vraie vie, c’est-à-dire en dehors du net, vous aimez raconter des histoires, médicales ou autres ?

Dieu du ciel, je suis inarrêtable. Il faut me lancer des trucs dessus pour me faire taire.

Dernière petite question : j’aurai besoin d’un certificat médical. C’est mon chef qui me le demande pour prouver que j’étais bien au boulot ? Vous pouvez faire quelque chose ?

[fn]Un chapitre, intitulé « Certifi(c)ons », est consacré aux demandes incessantes et saugrenues de certificat médical, en tout genre, que Jaddo a dû traiter. « Pour faire du basket, du yoga, prendre des cours de valse… ou pour pouvoir mettre une crème si elle se cogne à l’école »…[/fn]
Je soussignée, certifie que M. AR me déclare qu’il était bien au boulot. Certificat rédigé à la demande de l’intéressé et remis en mains propres pour faire valoir ce que de droit. Dr Jaddo.

> Juste après dresseuse d’ours, Les histoires brutes et non romancées d’une jeune médecin généraliste, Jaddo, Edition Fleuve noir.