Harlem, ou tu le quittes

Harlem, ou tu le quittes

Harlem, ou tu le quittes

Harlem, ou tu le quittes

10 juillet 2012

Deuxième étape de notre série "Quartiers célèbres", Harlem, le mythe. En 1873 le quartier est rattaché à la municipalité de New York. La pomme vient de trouver ses pépins. Berceau (du Jazz à New York et du mouvement pour les droits civiques notamment), ghetto, négro et latino, seraient de bonnes bases pour un quatrain fantasmé. Harlem, l'un des quartiers de Manhattan, c'est une histoire ramassée, celle d'un pays où l'immigration est tout. Pomme pote melting-pot. Blancs puis Noirs puis Noirs et Latino, puis reblanc mais toujours Noirs et Latino, le quartier peine à se gentrifier mais les touristes n'ont aujourd'hui plus peur pour leur carotide. Alors les touristes osent même aller écouter du gospel dans les églises le dimanche matin. Et en un sens, ils n'ont pas tort, parce que la culture et l'histoire afro-américaine se trouvent ici…

Le Cotton Club | FlickR_CC_Jorbasa

Il était une fois… rien. Si, des champs et des Indiens, autrement dit rien pour les nouveaux colons hollandais et anglais. Un certain Peter Minuit rachète quand même cette terre pour 24 dollars aux autochtones, histoire de limiter la distribution de couvertures infestées de petite vérole[fn]Le général Amherst distribue des couvertures infestées par la petite vérole aux indiens en Nouvelle-Angleterre.[/fn]. Le batave pas peu fier de ses racines nomme alors son nouveau fief comme la ville néerlandaise d’Harleem. Voilà pour la petite histoire.

Dans la première moitié du 19ème siècle Harlem est un bled pépère. Du genre début de quête dans César III, le colisée en moins. L’industrialisation, l’urbanisation et l’arrivée annoncée du métro vont bientôt faire de la cousine germaine de la ville néerlandaise the place to be. La bourgeoisie New Yorkaise débarque avec ses grands chapeaux et fait fi de tous clichés en décidant de construire un terrain de polo, un opéra (Harlem Opera house) et des brownstones – maisons en grès rouge typiques d’Harlem.

Les brownstones, maisons typiques d'Harlem | FlickR_CC_b00nj

Oui mais voilà, les ouvriers prennent du retard dans la construction du métro. Si on ajoute à cela une inflation de l’offre de logements dans New York, on obtient ? Des prix de l’immobilier qui baissent. Résultats, les grands chapeaux décampent du nouveau futur quartier bourge et les opportunistes du vieux continent débarquent. New York constitue pour eux une chouette première escale et ce d’autant plus qu’Harlem vient d’être réhabilité par des nantis contrariés. Rapidement, une autre population va poser ses valises en carton dans le quartier, les Afro-Américains.

Naissance et Renaissance d’Harlem

Taquinés par des cow-boys sudistes persuadés de leur très grande supériorité intellectuelle, les Noirs migrent massivement dans le nord du pays, notamment à New York, notamment à Harlem. Le temps de se mettre un peu en place et BAM ! , c’est l’explosion. Explosion intellectuelle d’abord. L’élite noire repense la conception du "Nègre" en essayant de se défaire des stéréotypes des toubabs. Explosion culturelle ensuite.

Count Basie programmé au Savoy Ballroom | DR

Dans tous les domaines : littérature, photographie, peinture et musique, un souffle nouveau balaie tout. Ce moment porte un nom, il s’agit de la renaissance d’Harlem, une période qui commence en 1918 environ et se termine à la fin des années 30. Les clubs de jazz pullulent – plus de 40 (contre six aujourd’hui) – un peu partout dans le quartier, du Cotton Club au Savoy Ballroom en passant par l’Appolo Theatre. La musique est partout et les tripots pas vraiment clandés font le bonheur des flambeurs. Ça fume, ça joue, ça picole, même en pleine prohibition. Une identité nouvelle voit le jour, celle des déracinés africains et caribéens désormais installés aux Etats Unis.

Apollo Theatre | FlickR_CC_BobCatNorth

La résonnance spatio-temporelle est gigantesque. En effet, l’influence de ce mouvement est mondiale et les Niggas In Paris, d’Europe et des caraïbes se retrouvent dans ce discours. Il constitue également un socle solide à la contestation future. Car si le mouvement des droits civiques est un tremblement de terre, Harlem en est l’épicentre.

Du coup de bambou au coup de moins mou

Mais au lendemain de la guerre le quartier devient de plus en plus violent, les logements sont dans des états minables, les toxicomanes nombreux, les écoles à l’abandon et les Portoricains, chassés des autres quartiers de New York se réfugient ici, à l’Est exactement. La misère tapine sournoisement. Paradoxalement, et alors que les Noirs américains finissent par obtenir le Civil Rights Act en 1964, les habitants d’Harlem subissent des conditions de vie déplorables. Du coup, tous ceux qui le peuvent, même au prix de sacrifices considérables, mettent les bouts. Un tiers de la population s’envole. Et là, se balader une fois la nuit tombée ressemble presque à un acte suicidaire, tant les rues sont dangereuses.

Harlem, 125ème rue | FlickR_CC_Dougtone

Un plan de réhabilitation est un temps envisagé mais Reagan s’en bat les reins. Il faudra attendre les années 90 et ses chemises amples pour que des fonds publics et privés viennent revitaliser le quartier. Objectif avoué, gentrifier. En gros, transformer la plus populaire des rues en une gentille rue bourgeoise, en rameutant les classes moyennes et aisées. C’est la seconde Renaissance d’Harlem. Et bien que Bill Clinton y ait installé ses bureaux et ses secrétaires, la marche est longue. Mais Harlem reste vivant et ses petites morts régulières ressemblent à un prétexte, celui d’un quartier orgueilleux qui marche au come back.

Harlem, 125th street station | FlcikR_CC_professorbop