« Au-delà des collines », un amour à exorciser

« Au-delà des collines », un amour à exorciser

« Au-delà des collines », un amour à exorciser

« Au-delà des collines », un amour à exorciser

Au cinéma le

D'apparence austère, le second film de Cristian Mungiu, inspiré d'un fait divers, se révèle fascinant et soulève des questions qui invitent à la réflexion

Cette semaine, deux films "inspirés de faits réels" sortent sur nos écrans. The Impossible, signé Juan Antonio Bayona retrace l’histoire extraordinaire d’une famille espagnole prise au piège du tsunami qui a frappé l’Asie du Sud-Est en 2004. Et Au-delà des collines, récit d’un exorcisme qui tourne mal, dans un monastère roumain, et qui prend certaines libertés avec un fait divers ayant défrayé la chronique dans les Carpates en 2005. Le premier joue pleinement la carte de l’émotion, assumant le mélodrame et les effets dramatiques (musique omniprésente, bons sentiments, dimension humaniste), pour un résultat pas désagréable — on le regardera en versant les larmes que l’on est venu faire couler. Le second, bien plus austère dans son approche, ne laissant aucune prise confortable au spectateur, s’avère bien plus intéressant.

C’est pourquoi, l’essentiel de cette chronique lui est consacré. Cristian Mungiu, a été révélé en 2007, avec 4 mois, 3 semaines et 2 jours, récompensé d’une Palme d’Or. Ce film racontait, dans un dépouillement formel et avec un parti-pris radical — il se compose uniquement de plans séquences et ne compte aucune musique additionnelle — un avortement illégal dans la Roumanie de Ceausescu. Cette chronique saisissante d’une époque, du parcours de deux jeunes femmes prisonnières d’un système, se suivait comme un thriller. Mungiu ne portait aucun jugement moral sur ses protagonistes. On retrouve peu ou prou les mêmes ingrédients dans Au-delà des collines. Les plans séquence ne sont plus systématiques, mais la froideur clinique demeure. L’absence de condamnation morale aussi. Non que le réalisateur manque de courage — au contraire. Il cherche surtout à faire réfléchir le spectateur, ne lui livre pas un argumentaire prêt à penser. En sortant de la salle, les questions affluent, il est délicat de se prononcer sur les actes qui sont décrits. Sont-ils entièrement condamnables ? Peut-on trouver des circonstances atténuantes ? Les positions contradictoires se superposent, et il faut vraiment laisser le film "travailler" dans notre esprit, au fil des jours, pour y voir plus clair.

Le point de vue du juge

Au-delà des collines nous conduit donc dans un monastère orthodoxe isolé, dirigé par un prêtre ferme sans être tyrannique. Des Soeurs de tous les âges vivent dans cette endroit. Voichita est parmi les plus jeunes. Un jour, elle reçoit la visite de son amie Alina, qui a prévu de rester sur place quelques semaines. Rapidement, on découvre qu’il y avait davantage que de l’amitié entre les deux jeunes filles avant que Voichita ne prenne le voile. Alina est amoureuse, rentre tout juste d’Allemagne, où elle a vécu quelques mois, et vient chercher celle qu’elle aime, pour qu’elles s’installent ensemble, loin du monastère. Voichita semble détachée des sollicitations d’Alina. Le drame va se nouer lentement. Alina, qui a connu l’Europe occidentale, forcément perçue comme un territoire de "débauche", et qui fait preuve d’une attirance "coupable" pour une autre jeune femme, ne se fait pas vraiment à la vie du groupe.

Mungiu choisit de ne pas se placer du point de vue d’Alina, mais de celui du prêtre et des Soeurs. Nous percevons donc les événements — les crises de la jeune fille, ses emportements, ses provocations — par le prisme de leur regard. Ce que les religieux voient, ce n’est pas une femme passionnément amoureuse de son amie, mais une femme "possédée", qu’il faut absolument délivrer du Mal qui la ronge. Il nous mène ainsi jusqu’au drame. Mungiu parle de l’obsession religieuse, qui trouble le libre-arbitre, sans jamais être anti-clérical. Certains n’auraient pas résisté à l’envie de se saisir d’une telle histoire pour dénoncer les esprits étriqués, les conceptions rétrogrades de l’Eglise orthodoxe, et pour faire de ces religieux des fanatiques dangereux. Les actes qu’ils commettent n’empêchent pas de provoquer l’effarement du spectateur, mais l’enchaînement des événements paraît d’une logique implacable, et ce que l’on voit à l’oeuvre est proche de ce que Hannah Arendt appelait la banalité du mal. A ceci près qu’il n’est pas question ici d’un régime totalitaire, mais d’un système qui fonctionne avec ses codes, ses devoirs et ses privations.


Au-dela des collines – Bande-annonce par lepacte-distribution

Au-delà des collines, réalisé par Cristian Mungiu Roumanie/France/Belgique, 2012 (2h30)
 

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