« Lucky », l’adieu bouleversant d’Harry Dean Stanton

« Lucky », l’adieu bouleversant d’Harry Dean Stanton

« Lucky », l’adieu bouleversant d’Harry Dean Stanton

« Lucky », l’adieu bouleversant d’Harry Dean Stanton

Au cinéma le 13 décembre 2017

Vieux cow-boy solitaire, Lucky passe ses journées à refaire le monde avec les habitants d'une petite ville perdue au milieu du désert. Alors qu'il sent la mort rôder, le vieil homme débute une tardive quête spirituelle. Premier film de John Carroll Lynch, Lucky est un sublime hommage à l'immense acteur qu'a été — jusqu'au bout — Harry Dean Stanton.

Dans une petite ville isolée de tout, Lucky (Harry Dean Stanton) passe ses journées entre son canapé, des longues balades à pied et le bar où il retrouve ses amis. Ses activités se résument à fumer, remplir des grilles de mots croisés et refaire le monde avec les habitués du bar notamment son ami Howard (David Lynch). Solitaire, ce vétéran de la Navy de plus de 90 ans se rebelle contre tout et surtout le temps qui passe.

Lorsque son médecin lui annonce que son corps commence à le lâcher, Lucky ressent l’impérieuse nécessité de trouver du sens à cette existence qui semble vouloir prendre fin prochainement. Une recherche intérieure débute alors pour ce vieux bougon peu intéressé par les interactions sociales.

LUCKY a Magnolia Pictures release © Photo courtesy of Magnolia Pictures

Les copains d’abord

Pour ce dernier tour de piste cinématographique, Harry Dean Stanton, disparu en septembre dernier, est entouré de personnes qui le connaissent bien. On retrouve au générique Ed Begley qui joue le docteur Christian Kneedler et évidemment David Lynch qui lui a confié trois rôles dans les années 90 : le détective dans Sailor & Lula (1990), Carl Rodd dans Twin Peaks : Fire Walk With Me (1992) et Lyle Straight dans Une histoire vraie (1999), le film le plus « normal » du cinéaste avec Elephant Man (1980). Tom Skerritt est également présent dans ce drame lumineux qui réunit des acteurs qui se sont souvent croisés sur les plateaux de tournage tout au long de leurs carrières.

Ce casting réalisé par affinités donne à l’ensemble une ambiance particulière de réunion de vieux combattants du cinéma, à la fois nostalgique et joviale, qui vient subtilement se mêler au propos du film. Souvent très drôles, les échanges entre les habitués du bar où Lucky passe le temps laissent aussi parfois place à l’émotion lorsque la finitude des choses s’impose à tous. Ainsi Howard exprime son désarroi depuis la disparition de sa tortue centenaire, comme un prélude animalier au deuil qui ne tardera pas à le frapper. Cette scène particulièrement émouvante est l’occasion de (re)découvrir David Lynch en tant qu’acteur.

LUCKY a Magnolia Pictures release © Photo courtesy of Magnolia Pictures

Pour orchestrer ces ultimes retrouvailles devant la caméra, un « petit nouveau » — deux fois moins âgé que Harry Dean Stanton — mais à la carrière déjà bien remplie. John Carroll Lynch — aucun lien familial avec David — a débuté en tant qu’acteur au cinéma dans Fargo (1996) des frères Cohen puis a tourné pour de nombreux réalisateurs : Clint Eastwood, Martin Scorsese, David Fincher, Seth Macfarlane… On l’a également aperçu dans une vingtaine de séries dont American Horror Story, The Walking Dead, Body of ProofLucky, son premier film derrière la caméra est également le dernier pour Harry Dean Stanton dans un rôle principal et si ce moment de cinéma est un sublime écrin pour démontrer une dernière fois son immense talent d’acteur cela n’a rien d’un hasard.

Testament cinématographique

Dès l’écriture, Lucky a été pensé pour Harry Dean Stanton par les deux scénaristes Logan Sparks et Grado Sumonja. Vieil ami de l’acteur, Logan Sparks s’est énormément inspiré de la vie de l’acteur pour le personnage en incluant des anecdotes et détails qu’il a vécus. Révélé au grand public par le rôle de Brett dans Alien (1979) de Ridley Scott et évidemment Paris, Texas (1984) de Wim Wenders — auquel des plans de Lucky marchant dans le désert font évidemment écho dans la mémoire du cinéphile —, Harry Dean Stanton a marqué l’histoire du 7ème art avec 200 apparitions dans des films, téléfilms et séries dont son surprenant rôle de père dépassé dans le teen movie Pretty in Pink (1986) de John Hugues et Howard Deutch ou encore ses prestations dans Las Vegas parano (1998) de Terry Gilliam et La ligne verte (1999) de Frank Darabont. Mais, à l’image des pellicules en nitrate avant la numérisation des films, rien n’est immortel et Lucky est arrivé à temps pour capter une dernière fois la génie du comédien à travers un film hommage dont la puissance poétique surpasse la thématique morbide.

LUCKY a Magnolia Pictures release © Photo courtesy of Magnolia Pictures

Après qu’il se soit écroulé suite à un malaise, Lucky apprend que le temps qu’il lui reste se compte plus en semaines et mois qu’en années. Subtil, le scénario de Lucky n’emprunte pas les pistes habituelles des histoires confrontant une personnage âgée à la mort. Le vieil homme n’est même pas malade et son combat ne sera pas celui contre un mal qui le ronge petit à petit. Lucky est juste âgé et son corps arrive au bout du chemin, c’est cette simple et implacable réalité que le vétéran de la navy doit affronter, seul. Car s’il est entouré d’amis, le vieux râleur reste solitaire et peu importe l’entourage l’expérience de la mort est une chose qui ne peut être partagée.

Le film refuse également de jouer la carte de la rencontre miraculeuse qui vient bouleverser le quotidien et la vision de la vie du vieil homme. John Carroll Lynch semble un moment envisager cette possibilité pour mieux la rejeter : Lucky doit trouver sa propre réponse à ce qu’il l’attend, ici pas de road trip libérateur ni de révélation provenant d’un ange providentiel tombé du ciel. Véritable voyage intérieur — le dernier —, sa quête est d’autant plus touchante que la réponse ne peut être qu’individuelle et fait écho à la réalité de l’acteur qui arrive, à l’image de son personnage, au bout du chemin.

LUCKY a Magnolia Pictures release © Photo courtesy of Magnolia Pictures

Sans fausse pudeur ni voyeurisme, John Carroll Lynch filme sans tabou le corps usé de Lucky/Harry Dean — à ce stade difficile de distinguer le comédien de son personnage — alors qu’il fait de l’exercice chaque matin pour se maintenir en forme. Un défi relevé haut la main par l’acteur, aussi classe en marcel et en slip qu’en tenue de cow-boy. Film testament assumé, Lucky est un sublime hommage à la fois drôle et bouleversant à un immense acteur qui bénéficie d’un scénario taillé sur mesure avec un propos subtil et honnête sur la mort.

Sans grand discours, avec une classe et une simplicité remarquable, Harry Dean Stanton quitte alors l’écran pour la dernière fois, dans la peau de Lucky, ce double bouleversant si proche de lui même. Le spectateur n’est évidemment pas dupe : ce dernier regard pour la caméra est celui de l’acteur qui fait ses adieux avec une grâce remarquable.

De façon assez ironique, Lucky est un premier film et le testament artistique d’un grand acteur qui offre son dernier souffle à cette quête drôle et poétique face à l’inévitable fin de tout. Un sublime cadeau fait à Harry Dean Stanton qui trouve dans ce malicieux enterrement cinématographique une occasion d’exprimer une dernière fois son immense talent, entouré de ses amis.

> Lucky, réalisé par John Carroll Lynch, États-Unis, 2017 (1h25)

Lucky

Date de sortie
13 décembre 2017
Durée
1h25
Réalisé par
John Carroll Lynch
Avec
Harry Dean Stanton, David Lynch, Ed Begley, Tom Skerritt
Pays
États-Unis