Les cheveux longs, bruns et un nœud rose qui les retient. La jeune fille est petite, robe noire, l’œil souligné d’un trait sombre. Virginie Colson est réelle mais pourrait aussi être un personnage de Tim Burton. Discrète, petite voix douce et enfantine, c’est à Lydia, fillette énigmatique dans le film Beetlejuice, que nous pensons immédiatement. Dans le mille ! « Je l’ai vu à 8 ans et je n’ai jamais autant vu un film. Il est très important pour moi. »
Virginie Colson est une jeune créatrice de 28 ans. Sa griffe, Gabrielle Aznar, existe depuis 2005. Aznar ? « C’est le nom de ma mère. J’y suis très attachée pour cette raison et aussi pour mes origines espagnoles. » Gabrielle ? « On s’inventait des histoires avec un copain. Et mon personnage s’appelait Gabrielle, je l’ai gardé. » Inventer des histoires, c’est ce qu’elle fait sans doute de mieux. Non, elle sait aussi créer les poupées, héroïnes de ses histoires. Poupée-écharpe et petite poupée sont ses spécialités. Elle fabrique aussi des badges, des barrettes et d’autres accessoires. La poupée-écharpe se jette comme un renard sur les épaules. La petite poupée est soit inventée par Virginie, soit le portrait d’un inconnu. Les clients proposent une photo et décrivent l’ami ou le parent qu’ils désirent… version textile. « J’ai besoin d’une description très précise de la tenue. Je regarde attentivement la photo. C’est comme ça que je parviens à appréhender ces inconnus. Les petites poupées, pour moi, c’est comme si je dessinais mais avec des aiguilles. »
Gabrielle Aznar, un alter ego de tissu autour duquel gravitent amis, proches, personnages imaginaires. Tous sont des poupées qui portent un nom, ont une identité propre, un passé et un présent. Une visite sur son site et on comprend. Il s’articule comme une invitation au voyage dans un monde imaginaire, empli de charme, d’originalité et de curiosité. « Je voulais vraiment produire un minimonde, autonome. » Riche, ludique, « Poupée punk », selon ses propres mots : bienvenue chez Gabrielle Aznar ! « D’un côté, il y a la poupée toute jolie et mignonne et de l’autre, une face plus sombre. » Les deux aspects de sa personnalité.
Elle porte des nœuds roses dans ses cheveux et visite les cimetières avec enthousiasme. Elle joue à la poupée mais se passionne pour les coupes corporelles. « J’adore toutes les gravures anciennes de botanique et d’anatomie. Ces images m’inspirent. » Elle montre alors tout un coin de ses étagères, réservé à ces vieux livres, qu’on abandonne souvent à la poussière du grenier. Autre étrange affection, les cabinets de curiosité. Ces lieux où sont entreposés des objets insolites, des antiquités, des animaux empaillés. Cohabitation incongrue qu’elle chérit.
Dans sa bulle cohabite une trentaine de personnages qu’elle met en scène dans des lieux qui l’inspirent et qu’elle utilise pour créer ses collections. Au cimetière, se trouve Romain, professionnel en pompes funèbres, accompagné d’Alexandre et Circé, des vampires éternellement jeunes… On navigue dans des dessins qu’elle a elle-même réalisés. Au muséum d’histoire naturelle, c’est Jean-Philippe, Walter et Juliette que nous découvrons. N’est-elle pas schizophrène, partagée entre un monde réel et un autre dans sa tête bien faite ? « Non, le fait d’avoir un alter ego dans le monde des poupées m’aide à bien dissocier les deux. »
La poupée, véritable objet d’étude
Elle commence à vendre des poupées tout de suite après ses études. Arts appliqués au lycée puis un BTS styliste à Cholet et une formation de créateur concepteur textile à Lyon, elle termine son parcours par un travail d’études sur la "poupée reflet". Depuis, elle continue de sonder cette reproduction textile de l’être humain. « Il existe un véritable effet miroir entre la poupée et l’humain. La poupée est un reflet très complexe. » C’est pour ça qu’elle aime tant le sur-mesure, parce que les gens peuvent réellement investir la poupée qui leur ressemble. « Dans mon concept de la poupée-écharpe, il était important que les gens aient vraiment leur propre poupée. » On peut changer ensuite, adapter leurs vêtements et leur coiffure.
Quand elle présente, en 2004, sa poupée-écharpe qui clôt un an et demi de recherches, c’est la douche froide. Recalée ! « Mais un membre du jury n’était pas d’accord. Alors il m’a donné un coup de pouce. Si j’avais eu mon diplôme, je pense que cela aurait été plus difficile pour moi. » Son bienfaiteur, c’est Max Chaoul, créateur de robes de mariée. Elle quitte Lyon en 2004 et s’installe à Paris. « Au bout d’un an, j’ai pris un bon rythme et j’avais un travail à côté. » Elle bosse toujours à mi-temps, chez Lilli Bulle, magasin pour enfants et véritable showroom de ses créations pour enfants.
Lorsqu’elle a débuté en arts appliqués, elle ne pensait pas terminer dans le textile, mais toujours elle y revenait. Depuis des années, elle a amassé scrupuleusement du tissu, de la dentelle, du tulle… Elle récupère tout ce qu’elle peut trouver et ce qu’on lui apporte. « J’ai grandi dans le tissu et les métiers à tisser. Ma mère était licière pour les tapisseries d’Aubusson. » Elle aime le voir et le toucher ce tissu. Il l’inspire. C’est une véritable collection qu’elle possède aujourd‘hui. Les pièces dont elle est la plus fière – notamment cette dentelle dorée qu’elle évoque avec une excitation tangible – ne sont utilisées qu’avec parcimonie et pour des poupées spéciales. La fameuse dentelle a fait une superbe robe de soirée. Mais la poupée ne coûte pas plus cher. « Les tarifs de toutes mes poupées sont les mêmes. 140 euros, les poupées standard ; 180 euros, les poupées sur mesure. » Les créations de la demoiselle, indéniablement extravagantes, sont assez difficiles à vendre. Les plus fidèles clientes de ses poupées-écharpes : « Des femmes d’environ 50 ans qui ont un grain de folie et qui n’ont pas peur de le montrer ».
Pas question de faire de compromis, elle a en son travail une confiance sereine. Femme-enfant touchante, elle affiche une étonnante quiétude, la maturité d’un sage et la folie d’une fillette. Ses grands yeux aiment lire les épitaphes des défunts dans les cimetières. « Ma belle-famille a du mal avec ça. Mais les cimetières sont très intéressants. Il suffit de lire les plaques pour apprendre des choses sur l’histoire des gens, ce qu’il leur est arrivé. » L’espèce humaine, morte ou vivante, la concerne et la touche. « Pour moi, il n’y a rien de choquant là-dedans ! C’est naturel. » Il est rare de rencontrer une personne si à l’aise avec la mort. Elle n’est pas fascinée, elle l’appréhende pour ce qu’elle est, l’un des événements majeurs de l’existence humaine.
Les autres lui importent. Aussi conserve-t-elle un morceau de dentelle argent d’une vieille dame, décédée, qu’elle ne connaît pas. Elle a également gardé deux de ses livres, laissés dans la rue avec le tissu. Parmi ses affaires se trouvent également des diapositives qui ont appartenu à un voisin aujourd’hui disparu. « Je n’ai jamais connu ces gens. Mais en conservant leurs objets, c’est comme si je les faisais continuer à vivre. J’aime cette idée. »
Elle travaille au fond de l’appartement qu’elle partage avec son amoureux, dans le XIXe arrondissement. Au-dessus de la machine à coudre, le couple qu’ils forment dans le microcosme de Gabrielle Aznar, prend place sur deux petites chaises.