Fukushima, réactions collatérales

Fukushima, réactions collatérales

Fukushima, réactions collatérales

Fukushima, réactions collatérales

22 mars 2011

Le 11 mars 2011, une catastrophe naturelle touchait le Japon. Un séisme secoua le pays, un tsunami l’inonda. Les deux le défigurèrent. Une autre catastrophe, non naturelle celle-ci, vint ensuite frapper la péninsule. Endommagée par le tremblement de terre et l’immense vague, la centrale nucléaire de Fukushima, au nord de Tokyo, et ses six réacteurs ne sont plus sous contrôle. Depuis, les liquidateurs donnent leur vie pour les refroidir. La contamination nucléaire est au centre des préoccupations et la situation n’est toujours pas stabilisée. En France, les anti-nucléaires ont repris le chemin de la lutte. Un ingénieur dans le nucléaire confie même qu’il remet en question sa carrière. Gaëlle Dory, Française expatriée au Japon, raconte son retour « subi » en France.
Diaporama Fukushima, réactions collatérales  - Dimanche 20 mars, une manifestation contre le nucléaire | Photo Charles Vandame
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Diaporama Fukushima, réactions collatérales  - Pour le Japon, contre le nucléaire | Photo Charles Vandame
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Diaporama Fukushima, réactions collatérales  - Une contestation qui hausse le ton depuis la catastrophe japonaise | Photo Charles Vandame
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Diaporama Fukushima, réactions collatérales  - Acteurs des milieux associatif et politique se succèdent à la tribune | Photo Charles Vandame
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Diaporama Fukushima, réactions collatérales  - Une manifestation organisée par le réseau "Sortir du nucléaire" | Photo Charles Vandame
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Diaporama Fukushima, réactions collatérales  - Un débat, un référendum, une sortie immédiate du nucléaire ? | Photo Charles Vandame
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Diaporama Fukushima, réactions collatérales  - Protégés contre la contamination nucléaire | Photo Charles Vandame
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Diaporama Fukushima, réactions collatérales  - La centrale de Fessenheim, dans la ligne de mire | Photo Charles Vandame
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Diaporama Fukushima, réactions collatérales  - Plusieurs générations réunies sur la place | Photo Charles Vandame
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> Une manifestation contre le nucléaire

Dimanche 20 mars était organisée, aux abords de l’Assemblée nationale, une manifestation contre l’énergie nucléaire. Après une période où la contestation était molle, émaillée par les cris des militants les plus radicaux, les voix contre le nucléaire se multiplient et la mobilisation s’intensifie. Citazine a assisté au rassemblement organisé par le réseau « Sortir du nucléaire ». Deux manifestants expliquent les raisons de leur présence.

> La remise en question d’un jeune ingénieur nucléaire

Mathieu, une trentaine d’années, est ingénieur dans le nucléaire. Son métier : dimensionner les circuits d’eau dans les centrales. Sous couvert d’anonymat, il raconte sa gueule de bois. Témoignage d’un scientifique, en proie au doute.
Comment est-il possible, malgré les risques et les dangers bien connus de l’énergie nucléaire, qu’une telle catastrophe puisse se produire ?

Un fossé existe entre le milieu scientifique et le monde extérieur. De chaque côté de la rive, on se regarde, souvent, en chien de faïence. Les ingénieurs, ces experts du pratique, n’ont-ils pas pêché par trop d’assurance, emmurés dans leurs certitudes ?

Les ingénieurs ne sont pas infaillibles. Ceux de Tepco (Tokyo Electric Power Company), la compagnie d’électricité qui détient et exploite la centrale nucléaire de Fukushima, avaient envisagé une vague de dix mètres. Deux mètres de plus, et peut-être que les réacteurs de la centrale auraient tenu le choc. Détenir une arme aussi dangereuse entre les mains et savoir que, malgré ses efforts, le risque zéro n’existe pas. Mathieu vient de l’apprendre, voici dix jours. Comment envisage-t-il le futur ?

> Témoignage : expatriée au Japon, elle est rentrée en France

Vendredi 11 mars.
Milieu d’après-midi, journée de travail terminée, je suis à l’appartement. Alors que je suis assise à la table de la cuisine, à envoyer quelques mails, je me sens soudain un peu nauséeuse. J’ai exactement les mêmes sensations que celles que l’on ressent sur un bateau qui tangue : j’ai le mal de mer ! Un peu inquiète, je me demande ce qui m’arrive, quand je vois les lampes au plafond danser silencieusement. Les plantes posées sur le sol se mettent elles-aussi à vibrer, et les rideaux se balancent. Je comprends que c’est un petit tremblement de terre et ma première réaction est de me dire : « Ouf ! ce n’est pas moi qui suis malade ! »

Les portes dans l’appartement se ferment toutes seules. Je me lève et vais vers la fenêtre : tout tangue silencieusement, et ça donne vraiment mal au cœur (une histoire d’oreille interne qui n’apprécie pas la situation !) Dehors, je vois les fils électriques se faire secouer, je vois les enfants qui jouent au base-ball dans le parc continuer à se lancer quelques balles puis laisser tomber après quelques secondes et se réunir au centre du terrain. Personne ne panique, moi non plus d’ailleurs, ce séisme n’est pas très fort et je suis persuadée de ne rien risquer. J’ai seulement hâte que cela s’arrête pour que cette désagréable envie de vomir cesse elle aussi. Nous avons déjà ressenti des petits tremblements auparavant, cependant c’est la première fois que la secousse est aussi clairement perçue, et dure aussi longtemps. Environ quinze minutes plus tard, nous ressentons une réplique.

Amusée (et un peu geek aussi…), je vais mettre cette petite anecdote sur mon Facebook. À peine quelques minutes plus tard, les commentaires d’amis inquiets commencent à pleuvoir. Je suis d’abord étonnée de leur réaction exagérée, quand on me dit que le séisme était de magnitude 8,8 sur l’échelle de Richter (réévaluée ensuite à 8,9) ! Après avoir regardé les info, je constate avec consternation que ma petite distraction de l’après-midi est une véritable catastrophe au nord-est du pays.

À Osaka en revanche, il n’y a aucun dégât. Tout est « normal », habituel. Les magasins, le travail, les transports : rien, absolument rien n’est perturbé par l’évènement. La seule différence, ce sont les sujets de conversation : avec les amis, avec les collègues, avec mes étudiants. Les mêmes questions sont toujours posées : « Vous L’avez senti vendredi ? Vous connaissez des gens dans la région de Tōhoku (1) ? »
Samedi matin, on parle des risques de tsunami, jusqu’à Osaka pourtant protégé par sa baie. Bien évidemment, ici, rien ne se passe. L’après-midi, je vais à Kyoto donner un cours à des enfants. En discutant avec eux et leurs parents, j’apprends que dans cette ville, pourtant très proche d’Osaka, ils n’ont pas senti la secousse la veille. Ici non plus, personne ne se montre inquiet. Juste désolé pour nos « compatriotes » du nord…

Alerte maximale en France, attitude rassurante à Osaka

Ce n’est que le lendemain que nous avons commencé à entendre parler de la centrale de Fukushima. J’ai bien conscience de la gravité de ce qui s’est passé dans mon pays d’adoption. Cependant, le traitement de l’information qui en a été fait en France nous a beaucoup agacés. Certes le Japon a probablement minimisé l’importance des dégâts, mais la France est partie dans la direction inverse ! Je ne m’exprimerai pas sur le nucléaire, car je n’ai pas les compétences nécessaires pour me permettre de donner mon avis. Cependant, sur des faits plus simples, l’exagération de certains journalistes était évidente. Ainsi les informations selon lesquelles les Japonais se ruaient vers les trains pour fuir étaient très amplifiées.

Idem pour les supermarchés pris d’assaut. À Osaka du moins, contrairement à ce qui a pu être dit, tout le monde était calme et rien ne laissait supposer que quelque chose sortait de l’ordinaire dans le pays. Pourquoi avoir volontairement enflé ces nouvelles ? Peut-être pour donner dans le sensationnel ? En tout cas, l’effet aura été fulgurant sur nos proches, qui nous ont assaillis de mails affolés, d’appels téléphoniques inquiets et inquiétants. Des amis nous conseillent de « faire des réserves de nourriture car les supermarchés sont dévalisés », de « prévoir très large pour nos temps de transport, car les gares sont assaillies », et ce, pas uniquement dans le nord du pays ! Rien de tout cela n’est vrai ici.

Le fossé entre cet état d’alerte maximale en France, et l’attitude rassurante et posée de tout le monde autour de nous à Osaka est très troublant. Nous jonglons entre les exhortations répétées de nos proches à fuir ce pays au bord de l’apocalypse, et les discours rassurants de nos amis et collègues, qui comme nous ne se sentent pas en danger dans le Kansai (la région où se trouve Osaka et Kyoto notamment. La capitale, Tokyo, se trouve dans le Kanto). Mes amis expatriés subissent les mêmes pressions de la part de leurs proches. Certains hésitent, d’autres restent persuadés d’être en sécurité et refusent de céder à l’inquiétude de leurs parents. La grande majorité de mes amis japonais quant à eux, sont confiants et ne comprennent pas comment on peut envisager de quitter Osaka puisque c’est précisément la ville où les personnes trop proches de Fukushima viennent se réfugier !

Nous essayons de recouper les informations émanant de différentes sources, mais tout est contradictoire et il est difficile de se faire une idée juste de la situation. Je contacte l’ambassade de France au Japon pour connaître leur avis quant aux risques dans le Kansai, et partager avec eux nos doutes quant à la décision à prendre. On me rappelle la ligne officielle : « notre région est épargnée et rien ne nous oblige pour le moment à partir ». Mais on me conseille quand même, en conclusion, de « suivre mon intuition » !! Voilà un conseil rationnel ! Cependant, je peux comprendre l’incertitude dans laquelle se trouve l’ambassade également : nous conseiller de rester alors qu’il est tout de même possible qu’un accident nucléaire nous atteigne ? nous conseiller de partir en abandonnant nos proches ici, nos emplois, nos vies, alors que le risque n’est absolument pas avéré ?

Rentrer en France : lâche et coupable ?

Face à l’angoisse de nos familles, mon mari et moi avons finalement accepté de rentrer en France pour quelques jours. Difficile de l’annoncer au travail. Mon mari s’est entendu dire que sa fuite démontrait son incapacité à faire face, même si officieusement, on comprenait sa décision. De mon côté, mes employeurs se sont montrés compréhensifs même si eux non plus n’avaient pas du tout l’intention de quitter la ville. Encore plus difficile, l’annonce aux amis. En écrivant le mail les informant de notre départ temporaire, je ne peux pas m’empêcher de me sentir lâche et coupable. Je cherche mes mots. Comment expliquer que je pense qu’ils ne risquent rien à Osaka, alors que, personnellement, je pars ?

Plusieurs nous répondent : les expatriés, comme nous, nous confirment avoir le même sentiment de confusion, entre l’ambiance calme qui règne ici et le catastrophisme venu d’Europe. Une amie japonaise nous souhaite « bonnes vacances » et nous parle ensuite d’une prochaine fête organisée en avril : aucune anxiété de son côté !

Dans l’avion, nous rencontrons quelques Français qui ont d’abord quitté Tokyo, où l’augmentation de la radioactivité avait effectivement de quoi inquiéter. Mais même une fois à Osaka, leurs proches ont insisté pour qu’ils quittent complètement le pays. Comme nous, ils ont déjà hâte de faire le voyage inverse et de rentrer au Japon. En transit à Séoul, nous croisons des militaires français qui nous expliquent être là pour « réceptionner 400 Français en provenance du Japon ». Dans le vol Séoul – Paris, je peux lire dans le Courrier International plusieurs articles provenant de journaux nippons, me prouvant encore une fois que les Japonais ne sont pas inconscients de la situation comme cela a pourtant été suggéré en France.
Nous sommes maintenant en France depuis quatre jours. Le Japon n’y est plus au centre de l’actualité, la Libye a pris le relai.

Par Gaëlle Dory

(1) Tōhoku est une région du nord-est du Japon, la plus ravagée par le séisme et le tsunami, et où se trouvent notamment les villes de Sendai et Fukushima.