« Madame Hofmann », raison de retraite

« Madame Hofmann », raison de retraite

« Madame Hofmann », raison de retraite

« Madame Hofmann », raison de retraite

Au cinéma le 10 avril 2024

Cadre infirmière, Sylvie Hofmann arpente sans relâche les couloirs de l'hôpital nord de Marseille depuis 40 ans. Confrontée à des soucis de santé, n'est-il pas temps de penser enfin à soi et prendre une retraite bien méritée ? Portrait lumineux d'une vie au service d'autrui, le documentaire Madame Hofmann est une plongée au cœur d'un hôpital agonisant porté par des figures sacrificielles à bout de souffle. Sébastien Lifshitz montre une nouvelle fois sa capacité à capter l'essence de son sujet avec un regard d'une grande humanité où l'intime et le collectif s'entremêlent, dans la joie et le drame.

Depuis 40 ans, Sylvie Hofmann est cadre infirmière à l’hôpital nord de Marseille. Celle qu’elle court dans les couloirs du service d’oncologie aime à proclamer « bienvenue dans ma vie ». Une invitation teintée d’ironie pour rendre compte de la pression quotidienne d’un métier comme un sacerdoce devenant de plus en plus compliqué à mener à bien.

Entre les patients, sa mère, son mari et sa fille, Sylvie se dédouble depuis toujours pour consacrer ses journées aux autres. Mais, depuis peu, un AVC est venu interrompre sa course folle contre le temps et le manque de moyens. Alors que l’hôpital est lâché par les pouvoirs publics, peut-elle envisager de penser enfin à elle et partir en retraite ? En a-t-elle le droit, mais surtout en a-t-elle vraiment envie ?

Madame Hofmann © photo AGAT Films - ARTE France cinema - Ad Vitam

Chronique d’une pandémie

La crise du Covid a donné envie à Sébastien Lifshitz, réalisateur du bouleversant Petite fille (2020) – lire notre critique – et du touchant Adolescentes (2019) – lire notre critique – de se pencher au chevet de l’hôpital. Après la première année de pandémie, son idée est de réaliser de portrait d’une femme en lutte dans ce monde traversé de multiples crises. Un film comme un constat pour chroniquer comment l’institution a vécu ce tsunami imprévisible et ses conséquences.

Par téléphone et visioconférence, son nouveau documentaire s’est préparé à distance pendant des mois avec des comptes-rendus de personnes rencontrées via les réseaux sociaux alors qu’il était à Paris. Au départ, Sylvie Hofmann devait juste fournir des contacts d’infirmières. C’était avant le coup de cœur du cinéaste pour cette femme directe et spontanée qui s’est imposée comme le cœur de ce nouveau projet. Un regard sur l’hôpital et ses héros du quotidien où l’état de l’institution œuvrant pour le bien commun et l’intimité se mêle avec grâce et gravité.

Madame Hofmann © photo AGAT Films - ARTE France cinema - Ad Vitam

Autopsie de l’hôpital

Une fois les autorisations obtenues, Sébastien Lifshitz pose ses caméras à l’hôpital nord de Marseille au sein du service d’oncologie où travaille Sylvie. Dans ce lieu confronté à la mort quotidiennement, une grande solidarité règne au sein des équipes. Mais derrière cette capacité à se serrer les coudes, le documentaire capte les plaies encore non cicatrisées d’une crise venue percuter un hôpital déjà fortement affaibli.

Derrière l’engagement de chacun.e dans le service, les discussions portent sur le sempiternel manque de moyens et de reconnaissance qui ne fait que s’aggraver. Ne voyant aucun avenir dans le service public, certains jeunes soignants envisagent même de quitter le navire en train de couler pour rejoindre le secteur privé offrant de la considération et de meilleurs salaires.

En appliquant une logique comptable au soin, les gouvernements consécutifs ont miné de l’intérieur l’institution. Un terrible constat s’impose alors : la cohésion du système ne tient plus qu’à un fil, il repose sur les épaules de personnes comme Sylvie. Mais pour combien de temps encore ? La jeune génération ne veut pas sacrifier sa vie sur l’autel de choix politiques dévastateurs et pour les anciens cette vie de dévouement finit inévitablement par se payer.

Madame Hofmann © photo AGAT Films - ARTE France cinema - Ad Vitam

Confessions intimes

Ce constat amer d’un immense gâchis est porté par les confessions de Sylvie Hofmann sur sa vie privée. Avec une franchise touchante, l’infirmière se livre sur ses difficultés de santé et sa vie familiale, deux sujets intimement liés. Au point que Micheline, sa mère, la rejoint à l’écran. Immigrée italienne orpheline à 7 ans, Micheline revient sur son parcours : travail dans les champs avant de rentrer à l’hôpital comme femme de ménage pour devenir aide-soignante.

Le récit de ce parcours exemplaire qui lui a permis de fuir la misère percute le constat d’abandon de l’institution qui parcourt le film. Portées par une détermination et un humour décalé salvateur, Sylvie et sa mère doivent affronter la même angoisse face à la maladie et la mort qui planent au-delà des murs de l’hôpital. Après de nombreux soucis de santé, Micheline doit en effet à nouveau se faire traiter pour un cancer décidément tenace.

Surmenée, Sylvie a fait un AVC la laissant partiellement sourde du jour au lendemain. Méfiante envers les gènes familiaux douteux, elle veut connaître ses « chances » de développer elle aussi un cancer. Les échanges entre les deux femmes montrent leurs différences de point de vue sur les traitements préventifs et l’évolution des mentalités sur la question de l’intégrité du corps face à la maladie. Ils imposent aussi l’idée d’une finitude que Sylvie doit affronter.

Madame Hofmann © photo AGAT Films - ARTE France cinema - Ad Vitam

Partir un jour

Cette intrusion intime dans les soucis de santé de Sylvie font écho avec l’importance d’un hôpital pour lequel Sylvie a sacrifié plus que des années. Cette prise de conscience un brin ironique impose le respect et recentre le propos sur un aspect humain qui dépasse largement la question d’une gestion purement technique ou comptable des établissements de soin.

Face à ces avertissements, Sylvie a une soudaine prise de conscience captée par la caméra de Sébastien Lifshitz. Le film glisse alors délicatement et se recentre sur l’intime. On quitte les couloirs de l’hôpital pour se retrouver au grand air auprès de Sylvie et de ses proches. En envisageant la retraite, la soignante semble prête à prendre un nouveau souffle pour enfin s’occuper d’un patient trop longtemps négligé : elle-même.

Documentaire d’une grande justesse, Madame Hofmann livre une autopsie inquiétante de l’hôpital public en auscultant ce qui lui permet encore de tenir debout tant bien que mal : l’humain. Sacrifice pour autrui et temps qui passe s’entremêlent magnifiquement au sein de cette réflexion sur notre irrémédiable finitude et l’avenir incertain de l’hôpital soutenu à bout de bras par des derniers combattant.e.s exténué.e.s.

> Madame Hofmann, réalisé par Sébastien Lifshitz, France, 2023 (1h44)

Affiche du film "Madame Hofmann"

Madame Hofmann

Date de sortie
10 avril 2024
Durée
1h44
Réalisé par
Sébastien Lifshitz
Avec
Sylvie Hofmann
Pays
France