Une reine de carton

Une reine de carton

Une reine de carton

Une reine de carton

2 mars 2011

Virginie Pavan est cartonniste. Son métier ? Concevoir et fabriquer des meubles en carton. Les deux font bon ménage et elle l'a bien compris. Rencontre avec une artisane, écologiste jusqu'au bout des ongles.

Accent chantant de la Ville rose, cheveux courts, noirs, Virginie Pavan est cartonniste. Elle dessine et conçoit des meubles en carton. Etagères, placards, commodes, fauteuils, etc. : n’importe quelle pièce de mobilier peut être de carton. « On m’a posé des questions complètement folles : "Si je renverse une bouteille d’eau dessus, que se passe-t-il ? Si je le laisse dehors toute une nuit sous la pluie, que se passe-t-il ? Si ma fille laisse une allumette brûler dessus, que se passe-t-il ?" »

La pratique tend à se développer, mais nombre d’entre nous sont encore bien démunis face à ces meubles de cartons, persuadés qu’ils vont se désintégrer à la première goutte d’eau ou s’effondrer piteusement au moindre coup de vent. Qui maîtrise la technique saura que le carton a la tête dure. « Il s’agit seulement de maîtriser le savoir-faire. Un savant entrelacement de cartons assure la solidité du meuble. » Ses meubles peuvent tenir dix à quinze ans, elle parie là-dessus. On est loin des petits meubles en cartonnette des grandes chaînes de décoration d’intérieure. « Ils ne peuvent pas se risquer à faire du mobilier plus grand, ils ne sont pas assez solides. » Alors qu’elle, elle vient de terminer une armoire d’enfant de deux mètres de haut !

Une artisane cartonniste

La jeune femme de 34 ans est dans le carton depuis 2009. Après une école de commerce à Montpellier, elle monte à Paris en 2001 pour réaliser un stage de fin d’études à l’Unicef. Après dix ans d’un parcours professionnel entre associations humanitaires et environnementales, elle rêve « d’une activité manuelle, qui respecte mes convictions, qui me permette de rester chez moi et qui nécessite un faible investissement financier de départ ». Elle sera artisane cartonniste ! Et le terme d’artisane est très important : « Je refuse le titre d’artiste. Je crée des meubles manuellement, à partir d’une matière première et grâce à la maîtrise d’une technique précise. Ce sont des pièces uniques et sur-mesure. Ce n’est pas de l’art, c’est de l’artisanat. »

De stages en formations, elle acquiert le savoir-faire de l’artisan. « Je n’ai pas été formée par des clampins. J’ai eu une excellente professeure qui, elle-même, était passée par les très reconnus Cartonnistes associés. » Virginie Pavan se voit en ébéniste du carton. Les trente-cinq heures, connaît pas. Du carton abandonné dans l’arrière-boutique d’un magasin au carton transformé en pièce maîtresse de votre salon, les étapes sont longues et nombreuses. Il faut d’abord passer du temps avec le client, pour comprendre son besoin. La créatrice dessine ensuite le meuble et le présente à l’acheteur. S’ouvre alors la phase de réalisation pure, l’assemblage des cartons, le collage, le ponçage, la peinture, le vernis. Trois semaines seront nécessaires pour une armoire, trente heures pour un petit meuble de rangement…

Attachée à sa colle

Ce qu’elle aimerait faire, quand elle sera mieux implantée dans son activité : créer des petites séries de meubles pour les vendre moins chers. « J’aimerais pouvoir baisser les prix en jouant sur la phase préliminaire. Je continuerais les pièces uniques mais ferais aussi des mini-gammes. Je pourrais ainsi proposer des meubles en carton moins chers à des personnes ayant moins de moyens que la plupart de mes clients actuels ». Le coût de ces pièces uniques, parfaitement finies, s’élève entre 300 et 400 euros pour de petits meubles. Ensuite, le prix augmente en fonction des matières premières, de la difficulté technique du meuble, du temps passé pour le réaliser. Sa plus grosse vente : un meuble de cuisine de 1 500 euros.

Ce qui lui prend du temps, c’est aussi cette satanée colle qu’elle utilise et qui ne prend qu’en vingt-quatre heures. Il faut développer des montagnes d’ingéniosité pour faire sécher les meubles, pressés… sous d’autres meubles, ou à l’équerre dans un coin de pièce. Ses confrères lui disent qu’elle laissera tomber cette colle de malheur, mais elle y semble très attachée. Pourquoi s’entête-t-elle ainsi ? « Ma colle est respectueuse de l’environnement ! »

Deuxième marque de fabrique de la Toulousaine : cartonniste et écolo ! L’écologie, un argument de vente ? Probablement, mais il s’agit avant tout d’une posture militante qui l’habite depuis des années et façonne sa vie quotidienne. « C’est sans doute mes origines campagnardes. » Ses parents sont agriculteurs, et très loin de l’écologie, mais depuis toute petite, proche de la nature, elle s’en fait pour elle et veut la préserver.

Savoir-faire et écologie

Sa peinture est écolo, sa colle est écolo, son vernis est écolo. Même son hébergeur de site Internet se nourrit aux énergies vertes ! Seul point noir dans l’espace vert, le papier népalais qu’elle utilise pour recouvrir ses meubles et qui, on l’aura compris, provient du Népal. « C’est le seul qui soit si épais et résistant. Les autres ne sont pas adaptés pour habiller du carton. Ils se déchirent ». Pardonnons-lui l’écart népalais.

La plupart du temps, Virginie va chercher ses cartons dans des magasins, après les livraisons. « Ils doivent être impérativement secs, propres, et non déchirés. » Le plus souvent, elle s’approvisionne dans des boutiques de cycles, car les cartons y sont grands et solides. Elle rapporte sa matière première chez elle. Dans son salon, le carton fait partie des meubles. Un salon qui se transforme en atelier dès que sa petite fille de 3 ans n’est plus dans les parages. L’atelier redevient salon quand la petite rentre le soir, atelier quand elle part le matin, et souvent le soir aussi, quand elle dort. « La poussière de carton, à nettoyer tous les jours, c’est quelque chose ! »

Ponçage rime avec poussière. Qu’à cela ne tienne. Malgré les difficultés, Virginie Pavan s’accroche aux cartons. Son compagnon est le pilier financier de la famille, tandis qu’elle continue à se perfectionner et met en place une véritable stratégie pour conquérir, d’abord Levallois-Perret, sa ville, puis la région parisienne. « Si ça ne marche pas ici, ça ne marchera pas non plus dans des contrées plus lointaines. »

Un créneau prometteur

A ce jour, elle vend à ses réseaux amicaux et professionnels. A chaque fois, les retours sont prometteurs. Ces meubles, en modeste carton, sont tapageurs. Ils règnent en pièce maîtresse dans les lieux de la maison où ils se trouvent. Un peu comme leur créatrice d’ailleurs : une modestie non feinte et une assurance hésitante mais bien présente.

Virginie Pavan conçoit elle-même la plupart de ses meubles mais insiste, réservée : « Ce sont mes propres idées mais je suis certaine qu’elles existent ailleurs ! ». Le fait est qu’elle a créé sa propre marque D’Inspiration Carton, qu’elle conçoit ses meubles et s’apprête à mener une vaste campagne de communication et de prospection ; volontaire, ça oui, elle le reconnaît.

En couveuse jusqu’en juillet 2010, elle n’aura plus aucun filet après cette date. Sa marque est encore trop jeune pour lui prédire un avenir. Mais le meuble en carton est un marché porteur, chéri par une mouvance écolo qui dépasse désormais le simple statut de phénomène de mode. Et Virginie Pavan peut jouer une carte maîtresse : le savoir-faire de l’artisan, un atout recherché pour s’extraire de la pacotille qui plie sous le poids d’un bibelot. Alors oui, elle pourrait bien cartonner !